J’avais quitté la faculté de médecine en 1997 très fâché de ne pas avoir été formé correctement. D’avoir même été « déformé » par des enseignants dont le point de vue très partisan était de faire de nous des futurs spécialistes d’organe voués à travailler à l’Hôpital ! Conditionné par notre sélection à soigner d’une certaine manière, au profit d’une certaine catégorie de la population. Aucun (ou presque) ne m’avait permis d’entrevoir un projet professionnel épanouissant à être à proximité des patients comme acteur de santé de premier recours ! Honte à eux, et honte à la faculté qui n’avait pas vu l’énorme gâchis que cela pourrait engendrer.
Alors il a fallu se (re)construire ; se former avec l’aide d’un groupe de pairs et d’un groupe de formation médicale continue indépendants des cadeaux et de l’influence de l’industrie du médicament qui avaient commencé à inoculer leur suave venin dans mes veines dès les premiers stages hospitaliers par des « petits déjeuners conviviaux » et « outils pédagogiques » d’« aides bibliographiques » et de « réunions de préparation au concours »… Avoir l’audace de mettre en doute les paroles des leaders d’opinion grands patrons ; de la presse médicale gratuite pour préférer la lecture critique de la revue Prescrire et participer par mon abonnement indéfectible à l’indépendance financière de celle-ci ! Il m’a fallu aussi assumer qu’il était temps pour moi de témoigner et d’écrire mes expériences dans la Revue Pratiques et de partager sur son site les épisodes de mon activité de médecin de quartier…
Il a fallu 15 ans pour m’accepter comme çà et me considérer comme un professionnel de santé mature et un « senior » ... Le plus dur restait encore à faire ! Pour pousser la logique jusqu’au bout j’ai décidé d’y retourner, à la fac ! Mais plus sur les bancs en tant que spectateur ! Je me suis dit qu’il fallait descendre dans l’arène ! Il était temps maintenant, si ce n’est de montrer la Voie, de montrer que d’autres voix existaient et que la Santé ne commençait pas dans les salles d’opérations ni dans les couloirs de l’hosto ! Que la Santé n’était pas la propriété intellectuelle des médecins ; que d’autres professionnels de santé y participaient de manière tout aussi importante et que même des non-soignants, professionnels ou bénévoles étaient des acteurs de la santé et qu’il en allait de même pour les familles et les patients eux-mêmes…
J’ai demandé à devenir Maître de stage universitaire agréé. Voilà, j’étais prêt à accueillir des étudiants en médecine ! Ce que j’ai commencé à faire depuis quelques mois. Et c’est là que le doute a commencé à me prendre. Qu’allais-je dire ou montrer, comment ne pas dire trop de bêtises ? Etais-je sûr que ma pratique était orthodoxe ? Comment assumer ce qui n’était pas de L’Evidence Based Medecine ? Tant pis, il fallait se jeter à l’eau, j’apprendrais à nager après, j’espérais surtout que je flotterais suffisamment pour pouvoir nous emmener au fil de l’eau des consultations…
Alors j’ai installé une chaise à ma droite, libéré une partie de mon bureau pour qu’il puisse écrire, déplacé mon clavier pour ne pas le gêner et affiché dans la salle d’attente que dorénavant j’aurais le matin un étudiant qui assisterait aux consultations. J’en appelais à la compréhension des patients mais ils étaient en droit de refuser sa présence.
Il a fallu expliquer pourquoi tel patient au bout du rouleau revenait pour une prolongation d’arrêt de travail ; pourquoi cette mère était épuisée de supporter une situation familiale complexe et envisageait une hospitalisation comme un répit. Il a fallu expliquer les acronymes qui résument le dossier informatique et pourquoi je prescrivais tel traitement. Il a fallu montrer que la vraie vie c’était vraiment compliquée, que les situations rencontrées en médecine générale étaient souvent peu banales… Parler, parler et encore parler. Montrer que dans le temps d’une consultation on pouvait aborder 3 ou 4 motifs de consultations. Montrer que notre pratique était aussi basée sur des compétences acquises avec l’expérience. Que l’interrogatoire et l’examen clinique restaient la base de notre analyse ; que les examens complémentaires avaient un coût et et qu’il fallait savoir les utiliser à bon escient. Expliquer enfin que la médecine générale avait deux alliés de poids, c’était le temps et la relation intime que nous avions pu développer avec nos patients et qui nous permettaient de « sentir » quand ça n’allait pas, avant de les comprendre…
Mes premiers jours ont été épuisants, à vouloir tout maitriser, tout décortiquer, tout expliquer… Depuis, je me suis un peu calmé ; faut dire que l’exercice libéral nous pousse aussi à un certain rendement et à une certaine économie de moyens… Diable de système ! Mais je pense aussi que l’immersion est aussi opérante dans un modèle pédagogique basé sur le compagnonnage.
Je laisse faire plus facilement les gestes et les entretiens ,maintenant que j’ai vu ce dont était capable ces étudiants de 4ème année (1ère année du Diplôme de Formation Approfondie en Sciences Médicales selon la nouvelle nomenclature). Je les incite à être plus actifs dans leurs questionnements et les incite à ECRIRE leurs questions, leurs recherches et surtout leurs expériences et leurs émotions.
Il n’est pas facile de montrer un savoir-faire, quand on n’est même pas sûr de bien faire… Mais c’est mieux que de ne rien montrer du tout. Alors, c’est décidé : je continue !