Va-t-il falloir s’engager auprès des autorités avant de monter au front ? Il paraît que je suis médecin généraliste en zone de guerre. Depuis 30 ans, je soigne les habitants d’une ZUS ; zone urbaine sensible. Ce qualificatif a dix ans. Auparavant, je travaillais en milieu populaire. Mais maintenant, c’est la guerre, c’est le président qui le dit.
Certes, ma cité n’a jamais été un havre de paix, et comment le pourrait-elle puisque ce quartier cumule un ensemble de problématiques sociales, toutes conséquence de politiques économiques et sociales construisant avec obstination les inégalités sociales que nous connaissons et qui favorisent l’économie parallèle. Mais là, j’aborde un sujet tabou, le politiquement incorrect, puisque ce que je constate chaque jour, ce que j’ai compris lors des mes dizaines de milliers de consultations avec les habitants de la cité, n’a pas lieu d’être exprimé. Comprendre l’étiologie de cette situation de guerre est, au dire des guerriers de l’Etat, de l’angélisme, de la complicité, voire du soutien à l’armée d’en face, c’est-à-dire les jeunes des quartiers.
Avant les « émeutes » de 2005, la police pourchassait, à juste titre, les auteurs de violences à autrui, le trafic de drogue, le recel. Cela provoquait des confrontations plus ou moins violentes, mais circonscrites. A l’occasion d’événements tragiques, la mort d’un jeune dans lequel la police était impliquée, l’explosion avait lieu, avec l’expression de la colère, la tristesse face à la mort, le sentiment d’être traités comme des sous citoyens par la société.
Face à cela, une politique de rénovation urbaine, le plan Espoir banlieues, qui fait suite à un autre plan, etc. Mais toujours, dans ces quartiers, les victimes des crises qui se succèdent. Il est vrai que les habitants de ces quartiers ont les mêmes obligations que les autres citoyens de ce pays : respect de la loi, respect des institutions, mais de plus, ils doivent accepter, sans rien dire, d’être les victimes privilégiées du chômage, soupçonnés d’être les fraudeurs aux prestations sociales, les acteurs principaux du travail précaire... et maintenant, des Français pas très authentiques...
Transformer ces zones urbaines en zones de guerre et le revendiquer en tant que tel, c’est malheureusement donner du sens à la colère des jeunes, valoriser leurs violences, leur fournir l’envie d’en découdre avec l’appareil répressif de l’Etat, c’est le sens du discours de Grenoble.
Mais alors, quel va être le rôle des acteurs sociaux, médicaux, associatifs, humanitaires qui, chaque jour, tentent d’éviter la déflagration ? Allons-nous être sommés de choisir notre camp, celui de l’Etat face aux habitants, car la guerre sera totale puisque les parents seront emprisonnés pour défaut d’éducation en milieu hostile ?
Le cabinet médical, lieu d’expression de la souffrance du corps, de la souffrance psychologique, de l’exclusion sociale, va-t-il devenir l’infirmerie de campagne où seront soignés les victimes de la guerre des cités ?
Je ne veux m’engager dans aucune guerre, je veux continuer à soulager ces souffrances déjà tellement importantes, je veux participer à la réduction des inégalités de santé. C’est suffisamment difficile pour qu’au lieu de faire la guerre, l’Etat nous foute la Paix.