Et si le don de gamètes n’était plus anonyme ?

Qu’en pensent les enfants issus de PMA ?

Tout enfant se pose ou se posera un jour des questions sur sa famille et sa filiation.
D’où je viens, qui suis-je et où vais-je (qu’y a -t-il après la mort ?)

Dominique le Houézec

Afin de tenter de répondre à la question de la levée ou non de
l’anonymat du don de sperme, il me semble qu’il est souhaitable
d’intégrer ce point particulier (environ 1300 enfants nés par cette
technique chaque année en France pour 800.000 naissances) dans le cadre
plus général du secret des origines et de la filiation.
Tout enfant se pose ou se posera un jour des questions sur sa famille et sa filiation.
D’où je viens, qui suis-je et où vais-je (qu’y a -t-il après la mort ?)sont les questions métaphysiques essentielles que chacun d’entre nous
continue de se poser.

Tout enfant ou adolescent recherchera donc à savoir si son père est bien
son père, pourquoi il est né, s’il a été vraiment désiré, si ses parents
l’aiment et ne vont pas l’abandonner, le remplacer ou moins l’aimer que
l’enfant né après lui.

Le secret des origines (scénario n° 1 de Jean Pierre Lellouche) est
malheureusement une réalité assez fréquente et probablement très
sous-estimée, que ce soit par le biais d’une insémination avec donneur
cachée ( via le don de sperme et plus rarement le don d’ovocytes),
l’adoption non révélée, l’enfant né de circonstances jugées infamantes -
d’un viol, d’un inceste, d’une "infidélité", d’un père "de passage" ou
jugé dégradant (enfant nés de pères Allemands durant l’occupation).
Ces
secrets de famille aboutissent à des non-dits, des révélations tardives
par la bande, des fardeaux trans-générationnels sources de souffrances
prolongées que nous connaissons bien. Notre rôle de médecin de l’enfant
est de favoriser la levée de ces énigmes que l’enfant ressent et
subodore et l’empêchent surement de se construire sereinement.

Tous les professionnels de l’enfance sont donc globalement d’accord pour
penser que pour que chaque enfant puisse grandir dans un climat de
confiance et d’amour parental que ses origines lui soient dites ( à un
moment où il soit en âge de comprendre) lorsque celles-ci sont
atypiques, inhabituelles on non choisies (abandon, adoption, couple
homosexuel, mère porteuse, monoparentalité...).

En ce qui concerne plus spécifiquement ce que la médecine dénomme
"procréations médicalement assistées" (PMA), le scénario est souvent
plus complexe car faisant rentrer un tiers (le Médecin) en tant que
presque troisième parent (technicien bien sûr mais aussi en empathie
avec un couple en désir d’enfant). Ces techniques relativement
innovantes sont de plus soumises à un recul du temps limité à l’opposé
de l’adoption par exemple qui existe depuis la nuit des temps (/Tu
quoque mi fili !/) et dans toutes les ethnies.

Comment donc considérer l’insémination artificielle dans tout ce magma
de nouvelles parentalités que nous offrent les PMA (dons de sperme, dons
d’ovocytes, stimulations ovariennes avec sélection d’embryons ?). Et
l’enfant à naitre dans tout cela, est-ce que ca le regarde, faut-il lui
dire et quand, qu’en pensera-t-il, comment le vivra-t-il ? Et le père
géniteur, le père biologique, le "père donneur" ("le père d’honneur"
liront certains dans leurs inconscients), pourquoi a-t-il donné sa
semence, qu’espérait-il, qu’attend-t-il en retour, que reste-t-il dans
sa tête de ce don 18 ans plus tard ?

Bien sûr un don de sperme n’a pas les mêmes conséquences que de se faire
prélever un peu de son sang, de ses plaquettes ou encore de la moelle
osseuse. Cette semence pourra rencontrer jusqu’à 10 ovocytes et donner
donc au maximum dix fois la vie. Mais ce père géniteur n’a pas là pour
but de prouver son potentiel génétique puisque chaque donneur doit déjà
avoir assumé au moins une fois une paternité. Une mini-enquête sur les
motivations des donneurs peut être consultée dans un article de "Rue 89"
à l’adresse
http://www.rue89.com/2010/10/20/pourquoi-ils-donnent-leur-sperme-enquete-sur-un-tabou-172216.
Quelques-uns d e ces "donneurs" ont été interrogés, la plupart disent
s’etre présentés dans un CECOS par militantisme et ou parce qu’ils
avaient eu à connaitre des cas de stérilité dans leur entourage proche.
Aucun ne dit qu’il se sent « père » mais certains disent « mes enfants »
d’un ton un peu coupable, comme s’ils ne pouvaient pas s’en empêcher.

La préservation de l’anonymat de ces dons est défendue (Scénario N° 2 de
JP LELLOUCHE) par les responsables des CECOS qui craignent sinon la
survenue d’une chute du nombre de donneurs qui n’ont pas forcément envie
de se retrouver 18 ans plus tard avec une grande famille recomposée ou
plutôt imposée. C’est ce qu’explique le Pr JP WOLF, responsable du CECOS
de Cochin
http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/13/et-l-avis-des-demandeurs-et-du-donneur-de-sperme_1422746_3232.html

Le donneur veut rester anonyme car il n’a jamais par ce geste envisagé
de connaitre ou encore moins reconnaitre les enfants issus de ses
spermatozoïdes. Il n’a "jamais eu le projet de devenir père une fois de
plus lui-même"
. Charlotte Dudkiewicz, psychanalyste du CECOS de
l’hôpital Tenon a la même opinion sur les effets négatifs que pourrait
avoir cette levée de l’anonymat. Elle prend l’exemple de la SUÈDE qui a
opté pour cette attitude de "transparence" qui aboutit en fait à une
opacité : les parents stériles n’oseraient plus révéler à leur enfant
les circonstances de leur procréation ou vont s’adresser à des pays ou
l’anonymat est préservé.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/22/la-levee-de-l-anonymat-est-une-erreur_1429976_3232.html.

D’autres psychanalystes ont des avis opposés (Scénario N°3 de JP
LELLOUCHE). Muriel Flis-Trèves, psychanaliste du service du professeur
René Frydman à Antoine Béclère, dénonce dans le respect de cet anonymat
la création de "trous de mémoire", l’enfant devenu adulte a le droit de
connaitre ses origines. Elle cite un avis du conseil d’État qui écrit
que "l’anonymat comporte à long terme des effets préjudiciables à
l’enfant, essentiellement parce que ce dernier est privé d’une dimension
de son histoire".

D’autres partisans de la levée de l’anonymat vont
même jusqu’à dénoncer l’homophobie de certains psychanalystes puisque
nombre de ces IAD sont destinées, à l’étranger surtout, à assurer une
progéniture à des parents de même sexe. L’association "L’alliance pour
les droits de la vie" qu’Olivier LECOURT a cité va même, dans son
argumentaire pour le droit à connaitre son père biologique, jusqu’à
mettre en avant le risque de transmission d’une maladie héréditaire que
l’on ne pourrait pas soigner à temps si l’anonymat est respecté et un
scénario à venir de catastrophe sanitaire...

Partisans ou détracteurs de ces deux scenarii opposés ont du mal à
dialoguer car les uns se font porte-paroles des voeux, des désirs des
procréateurs quand les autres s’inquiètent du sort et des
questionnements de ces enfants livrés à l’expérimentation.

Ces enfants "procréés" veulent absolument connaitre leurs pères
biologiques, voire leurs grand-pères génétiques pour la génération
suivante nous dit-on. Ceci est naturel puisque en lien avec les
"fantasmes de l’origine" et "la scène primitive" des Freudiens. Aucun
enfant ne peut croire dans son inconscient qu’un homme ait pu pénétrer
sa mère. Il se créé donc un père imaginaire magnifique. La révélation à
cet enfant de sa procréation assistée va conforter ce fantasme
inconscient qui devient brutalement réalité.
Pourtant comme le dit Aldo
NAOURI la fonction du père n’a rien à voir avec le père géniteur.
L’image paternelle s’est construite petit à petit autour de l’homme qui
a été présent aux côtés de cet enfant durant des années, l’a nourri
matériellement, intellectuellement et affectivement. C’est ce père qui
seul a eu un projet d’enfant au contraire du père biologique qui n’a
donné que ses cellules vivantes et la moitié de son capital génétique à
cet enfant qu’il ne souhaite pas connaitre puisqu’il ne l’a jamais
investi comme un fils ou une fille.

Même si ce droit à connaitre à tout prix ses origines se pratique dans
d’autres pays étrangers, mettre en loi un désir de reconnaissance de son
capital génétique dans un tel contexte est surement quelque chose de
l’ordre de l’apprenti sorcier. Comme le dit intelligemment Elisabeth
PINO, on pourrait imaginer qu’à ce titre , la jurisprudence autorise
ensuite tout enfant lambda à demander à ce que soient réalisées des test
ADN sur son père officiel afin de s’assurer que cette personne qui se
dit ou s’est déclaré comme son géniteur est bien le père biologique.

Jean-Pierre Lellouche :

Le texte que nous a adressé DLH résume très bien la situation .Il
précise ce que sont les 3 scénarios que je proposais il donne les
références d’’ articles prenant position pour ou contre la levée de l’
anonymat .Mais il me semble qu’il faut aller plus loin et analyser les
arguments qui sont proposés par ceux qui défendent telle ou telle
position .

Avant de la faire je voudrais dire que le texte que nous a adressé
Elisabeth PINO, me semble être très important et très utile. Il faut en effet se
poser ces questions juridiques et notamment sur l’héritage et les
poser à des juristes (en ce qui me concerne j’ai demandé leur avis à
deux juristes et je vous dirai leurs réponses)

Critique de quelques arguments

1 DLH écrit "L’alliance pour
les droits de la vie"
qu’Olivier LECOURT a cité va même, dans son
argumentaire pour le droit à connaitre son père biologique, jusqu’à
mettre en avant le risque de transmission d’une maladie héréditaire que
l’on ne pourrait pas soigner à temps si l’anonymat est respecté et un
scénario à venir de catastrophe sanitaire... »

Cet argument semble ne pas convaincre DLH et il ne me semble pas non
plus très convaincant mail il faut aller au delà et demander à
cette "’alliance pour
les droits de la vie" de préciser ce qu’ elle redoute et demander à des
généticiens et à des spécialistes de cette question de quantifier le
danger si danger il y a.

2 « D’autres partisans de la levée de l’anonymat vont
même jusqu’à dénoncer l’homophobie de certains psychanalystes puisque
nombre de ces IAD sont destinées, à l’étranger surtout, à assurer une
progéniture à des parents de même sexe »

Je crois qu’il y a eu des gens qui ont pris des positions hostiles à
partir d’ une pensée psychanalytique dogmatique. Ces pratiques nous
mettent en présence de phénomènes que nous ne connaissons pas et que
nous n’ avions pas prévu. ll faudrait que chacun de nous les aborde
avec humilité . Je ne crois pas que l’ accusation d’ homophobie soit
toujours pertinente mais il me semble qu’il y a eu pas mal de
positions péremptoires dogmatiques énoncées à priori .

Il faudrait donc que nous interrogions les milieux psychanalytiques pour
qu’ils précisent en dehors de tout militantisme simpliste ce qu’ils savent
ce qu’ils redoutent ce qu’ils conseillent. En privilégiant ceux qui n’ ont
pas trop de certitudes définitives.

3 DLH cite Charlotte Dudkiewicz, psychanalyste du CECOS .

Cette psychanalyste écrit une tribune très intéressante dans le Monde. Mais DLH ne prend de cette tribune que ce qu’elle écrit sur l’ exemple
de la Suède et qui est de très loin le moins bon et le plus
contestable.


« Or, justement, l’exemple de la Suède cité par Le Monde temoigne d’effets
contraires. Depuis la levée de l’anonymat en 1984, pas une seule demande
d’identité du donneur n’a été présentée. Mais les médecins eux-mêmes
constatent que les parents, du coup, ne disent plus rien de la conception à
leurs enfants. Souvent, même, les couples vont dans d’autres pays où
l’anonymat reste la règle. »

L’affirmation « les médecins eux mêmes constatent » est reprise avec un
conditionnel par DLH : « les parents stériles n’oseraient plus révéler à leur enfant
les circonstances de leur procréation »

qui montre bien ainsi qu’il n’ est pas totalement convaincu par cet
argument de nature épidémiologiique.

Pour parler de ce qui se passe en Suède il faut étudier ce qui se passe
en Suède et avoir la compètence pour étudier ce qui s’y passe.

Charlotte Dudkiewicz, a un avis qui m’intéresse énormément lorsqu’elle parle de ce qu’elle connaît et de ce qui l’intéresse, en revanche
lorsqu’elle parle de la Suède elle me semble chercher un argument et
elle est alors me semble-t-il dans la même dynamique que celle qui
fait que l’alliance pour les droits de la vie utilise l’argument du
risque de transmission de maladies héréditaires.

4 DLH cite l’ article : "Et l’avis des demandeurs et du donneur de sperme ?"
Le Monde.FR | 13.10.10 | 09h18,
de Jean-Philippe Wolf

On y lit des tas de choses importantes Ce spécialiste est visiblement
très compétent et très motivé mais il écrit aussi ceci : « Mais même dans les pays comme l’Angleterre ou les enfants ont le droit de
connaître l’identité du donneur, moins de 10% font la démarche de la
demander. Et moins de dix pour cent d’entre eux vont jusqu’au bout de la
procédure : cela fait 10% de 10% des 20% qui savent le secret de leur
conception. Et on veut changer la loi de l’anonymat pour prétendre régler le
problème de ces quelques personnes au risque de plonger dans le silence tous
les parents qui ne diront dès lors plus la vérité à leurs enfants ! »

10 % de 10 % de 20 % c’est de façon évidente des chiffres inventés . Ou
de l’épidémiologie intuitive à visée idéologique.

Il s’agit au mieux d’approximations et d’ailleurs l’auteur écrit
« dans les pays comme l’Angleterre », indiquant bien par là en ne citant pas les pays qu’il veut donner une
indication générale et qu’il n’y a pas eu de mesure ou même seulement
d’évaluation sur le terrain .

Je ne sais pas de façon précise ce qui se passe en Suède, je ne sais
pas de façon précise ce qui se passe dans l’ esprit et dans l’inconscient de celui qui donne son sperme, je ne sais pas ce qui se
passerait pour lui s’ il était confronté 18 ans plus tard à l’enfant
dont il a permis la venue au monde, je ne sais pas non plus ce qui se
passerait pour cet enfant.

Mais je sais que je n’en sais pas moins que ceux qui n’ en savent
pas plus que moi (Pierre Dac cité approximativement).

Et je pense qu’il faudrait organiser le débat pour que chacun puisse
dire ce qu’il sait.

effet du secret sur les enfants (Le Monde)

samedi 30 octobre 2010


Dominique Le Hoézec et Jean-Pierre Lellouche sont tous les deux pédiatres à Caen
vous pouvez les retrouver dans l’interview de décembre 2009

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