Le Monde du 18 février publie un supplément de 8 pages intitulé sans détours Les Cahiers de la compétitivité et consacré à « la lutte contre le cancer ». Il suffit de le parcourir pour y retrouver partout les slogans habituels (« Manger, bouger... », « La génétique, un espoir »…), les mots d’ordre officiels (« se mobiliser..." « développer les partenariats »..., « poursuivre les actions engagées »...) et l’autopromotion des laboratoires en « publi reportage ». Il faut d’ailleurs s’y reprendre à deux fois avant de découvrir, en tout petits caractères, qu’il s’agit de « publicité » et, en bas de page, que « la rédaction du Monde n’a pas participé à la réalisation de ce supplément », promu par un mystérieux « Institut National de lutte contre le cancer ». A défaut d’y avoir « participé », le quotidien aura contribué à semer la confusion entre information et propagande.
En six ans et malgré tant de publications à charge, le message n’a donc pas varié d’un pouce : les malades n’ont toujours pas compris les causes de leur cancer (alimentation, tabac, alcool...), et leur comportement doit changer. Pour le reste, la pudeur exige de ne pas aborder la question des cancérigènes industriels, agricoles ou domestiques massivement présents dans l’environnement, et appelés à le rester : même les jouets pour enfants contiennent des substances dangereuses que l’Union européenne peine à interdire.
Très attachée à cette doctrine, l’Académie de médecine attribue encore 0,1% des cancers, pas plus, à la pollution, qui aurait donc baissé depuis le rapport Doll et Peto de 1980. Ce sont les mêmes qui assuraient en 1997 que l’amiante pouvait être utilisée, et cela trois mois avant son interdiction. Malgré 2000 morts par an dues aujourd’hui à l’amiante, personne n’aura été inquiété ou condamné pour diffusion de fausse nouvelle ou mise en danger de la vie d’autrui.
Depuis le Plan cancer 2003, deux tiers des cancers restent "inexpliqués" et le dernier rapport INSERM évoque enfin la responsabilité « des modifications de l’environnement » dans l’augmentation de l’incidence de certains cancers. Cette réalité devenue une évidence, des brochures nous annoncent encore que les résidus de pesticides dans les fruits et légumes ne constituent pas de risque pour la santé.
L’Institut National contre le Cancer (INCa) voudrait-il nous faire oublier une vérité pourtant simple ? La lutte contre le cancer passe avant tout par la lutte contre les cancérigènes. Les institutions, apparemment coupées de toute réalité, comprennent-elles seulement que la propagande du plan cancer, déjà difficilement soutenable en 2003, n’est plus crédible aujourd’hui et que cette obstination, sur un tel sujet, tourne au mépris ? Les Français s’interrogent sur les causes de trop nombreux cancers et ne sont plus dupes d’un optimisme qui s’apparente à la cécité. Ils savent que les conseils de prévention bénéficient surtout aux privilégiés tandis qu’une prévention véritable profiterait à tous. Ils veulent enfin comprendre la cause d’une telle incurie. D’ailleurs, la Cour des comptes a demandé que transparence soit faite sur les liens entre l’Institut et les entreprises privées. Question : Qui finance l’INCa ?
A l’heure où des signes d’exaspération se multiplient dans toutes les couches de la population et dans tous les domaines, « la société civile », n’a que faire de rapports secrets, de publicité déguisée ou de bons conseils. Ce que montre le supplément officiel sur la" lutte contre le cancer", ce n’est pas que l’espoir progresse, mais que la population est méprisée, la situation bloquée, et que seule l’inversion d’un rapport de forces entre les malades et l’institution pourra la dénouer.
Geneviève Barbier, Armand Farrachi, auteurs de La Société cancérigène, (Points Seuil 2004/2007)