On était cinq ou six à s’être dit ça vaut le coup d’être tenté !
L’humour carabin, les traditions initiatiques, les rites de passage pour les futur·e·s médecins hospitalier·ère·s, rien ne pouvait justifier que les internes (et quiconque) subissent cette fresque sexiste qui trônait depuis des lustres dans la cantine de l’internat de l’hôpital Purpan. [1]
Appuyé·e·s par des membres de l’association PouruneMEUF [2], nous nous étions retrouvé·e·s chez A., interne et adhérente du Syndicat de la Médecine Générale. L’action devait se dérouler le surlendemain entre midi et deux, avec affichage d’une banderole et distribution de tracts.
Le jour J, on entre dans la place un peu avant l’heure pour repérer les lieux. L’internat est soi-disant un lieu privé, loué par l’association des internes de l’hôpital et accessible aux cotisant·e·s. En fait, c’est la cantine de tous les médecins et chirurgiens hospitaliers. Du personnel hospitalier est détaché pour venir servir les patrons, PH, chefs de clinique [3] et bien sûr les internes. Au bas mot 100 à 200 repas doivent être servis tous les midis de semaine et donc pas loin de 400 passages devant ce tableau grand format de 3 m sur 2 m. Mais plus grand monde ne s’en étonne tellement il fait partie du paysage.
Il représenterait une période révolue, celle des gauloiseries et des paillardises ; le bon temps de l’humour carabin… On ne fait plus maintenant de rituel humiliant ou sexiste comme avant… Mais on le montre encore !
Il représente des hommes en soutanes d’un certain âge avec les visages des mandarins locaux [4]. À leurs pieds, des femmes nues et colorées, dans des positions suggestives, « s’offrent » à leurs regards, à leurs langues ou à leurs sourires. Au-dessus d’eux des bulles illustrent leurs doctes discours par des planches anatomiques. En arrière plan le Capitole et un chapiteau antique digne des peintres de la Renaissance, la scène indique à quel point cette assemblée est sérieuse !
« Et vous qui êtes-vous ? » me lance un patron, ancien président de l’internat, voyant que je ne fais pas vraiment partie du style de la maison en civil [5].
Je lui réponds que je suis médecin syndiqué et que tout ce qui se passe à l’hôpital nous concerne. Que ce lieu n’est pas si privé que ça puisqu’il accueille des internes et des employé·e·s qui n’ont pas vraiment le choix et doivent subir ça (en montrant la peinture) tous les jours.
« C’est de l’humour potache, c’est une vieille tradition, ça ne fait de mal à personne, il ne faut pas prendre ça au 1er degré »…
La banderole sur laquelle nous avions écrit « Ceci est du harcèlement sexuel, qu’en pensez-vous ? » n’aura pas tenu dix minutes par-dessus la fresque. La secrétaire de l’internat est rapidement venue l’enlever.
« Votre action n’est pas du tout appréciée… Il fallait faire une demande écrite… » Et bien sûr planent les représailles et la menace d’être expulsé·e·s de l’internat.
Action courte mais symboliquement forte. Beaucoup sont passé·e·s sans s’arrêter, d’autres ont rigolé, mais certain·e·s semblaient solidaires dans leurs regards silencieux.
C’est la banderole qui a choqué les représentant·e·s de l’internat, pas ce qu’il y avait dessous…
C’est ça l’humour carabin…