Balance ton comportement !

René Fiori
Psychanalyste

Voici le premier : « comprimé électronique », « médicament connecté », « médicament intelligent », « première pilule traçable numériquement », c’est selon, dont la Food and Drug Administration (novembre 2017) vient d’autoriser la mise sur le marché américain. Sur le plan technologique, il s’agit d’une pilule contenant un antipsychotique (une molécule d’aripiprazole) qui, une fois dissoute dans l’estomac, produit une impulsion électrique au contact des sucs gastriques. Le signal est capté par un patch posé sur la cage thoracique (qui doit être remplacé chaque semaine). Les informations – date et heure de l’ingestion du médicament – sont transmises, via la technologie Bluetooth, sur une application du smartphone du patient. Ce dernier peut ensuite autoriser son médecin à accéder à ces données via un site internet. Le capteur logé dans l’estomac mesure en permanence son acidité. Ce « médicament technologique » doit encore recevoir l’aval des assurances. Le médicament lui-même était déjà commercialisé depuis 2002 par une firme Japonaise, et s’y est adjoint une firme américaine pour l’aspect technologique. L’aspect qu’on estime novateur (pour qui ?) conjugué à la véritable technolâtrie qui subjugue la bureaucratie et les autorités en place – dans quelque pays que ce soit _ rejette au second plan ces effets bien mal nommés qu’on dit « secondaires ». D’abord la transmission des données ne se fait pas en temps réel, mais sur une durée de quelques heures (mais cela pourra être amélioré). Ensuite il y a des effets inconfortables d’irritation du patch sur la peau. Plus inconfortables encore, « vomissements, nausées, constipations, maux de tête, étourdissements, et insomnies », peuvent être au rendez-vous, (comme cela est d’ailleurs le cas pour certains effets, pour d’autres anti-psychotiques). Enfin se pose la question de l’accès, confidentiel ou non, partagé ou pas, des données. Est-ce vraiment novateur ? Les termes utilisés sont éloquents : traquer, surveiller, traçabilité, vérifier… Pense-t-on vraiment que la prise de médicament en sera améliorée par le patient schizophrénique, comme cela est attendu ? La démonstration n’a en effet pas été faite. On a du mal à le concevoir, quand on connaît le rapport du patient psychotique à la contrainte que constitue la régularité, et aussi la difficulté de son entourage à le convaincre de prendre ses médicaments. Fait-on naître une nouvelle responsabilité à assumer, soit par le patient, soit par la famille, ou par les deux, avec à la clé, une prise en charge ou non, par les assurances ?

À la commercialisation de cette pilule dénommée Ability Mycite, nous mettrons en contrepoint quelques autres des nouveautés technologiques apparues cette année 2017. La mise au point, au Québec, d’un t-shirt connecté, pouvant capter et transmettre la fréquence respiratoire en temps réel et qui a, semble-t-il, quelque utilité pour le diagnostic des maladies respiratoires. La réalisation, au Mexique, d’un soutien-gorge connecté qui pourrait contribuer au dépistage du cancer du sein. Mais surtout, en Belgique, l’implantation, dans la main de certains employés (volontaires !) de la société Newfusion, d’une puce RFID (Identification par radio fréquence) leur permettant d’ouvrir la porte d’entrée de leur société, ou d’activer leur ordinateur.

Cette série peut nous aider à saisir que, si les deux premiers objets connectés (IoT, Internet of Things) pourraient contribuer à une détection plus précoce de la maladie – il faudrait rentrer dans le détail – les deux derniers s’avèrent n’être que des traceurs électro-numériques des comportements. Il y a là un usage qui nous conduit à l’« idéologie comportementaliste » : surveillance, modelage, adaptation, conditionnement, se poursuit là, via un contrôle, plus rapide, plus précis, du comportement. Sous couvert de bien-être, ne vient-elle pas, à coup sûr, consonner avec une appétence de la foule à la servitude volontaire – selon la formule de La Boétie – déjà bien démontrée en d’autres occasions ? Par cette délégation à l’Autre scientiste de l’accès à nos comportements, cette conduite sacrificielle escamote la mutilation qu’elle engage (Lacan, Le Séminaire X, L’angoisse, p. 320), mais qui est bien réelle : notre libre arbitre. Ironie du sort, avec la pilule connectée, nous retrouvons l’intérêt porté au suc gastrique qui a tant occupé Pavlov !

Voir le numéro 79 de Pratiques


mercredi 22 novembre 2017, par René Fiori

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