Marie-Odile Soyer-Gobillard, PH.D.,
Directeur de Recherche Emérite Honoraire au CNRS, Sorbonne Université, Paris 6-Laboratoire Arago, Présidente de HHORAGES (Halte aux HORmones Artificielles pour les GrossessES), [1]
Laura Gaspari, M.D.
Médecin Pédiatre, Unité d’Endocrinologie et Gynécologie Pédiatriques, Hôpital Arnaud de Villeneuve, CHU-Université de Montpellier.
Charles Sultan, M.D., PH.D.
Professeur Emérite, Unité d’Endocrinologie et Gynécologie Pédiatriques, Hôpital Arnaud de Villeneuve, CHU-Université de Montpellier.
Trois études récentes apportent un éclairage inédit concernant les effets délétères de l’exposition in utero à des progestatifs de synthèse sur le neuro développement : troubles psychiatriques dont l’autisme. Le mécanisme moléculaire, de type épigénétique, montré dans certaines études, représente pour les générations futures un risque important.
Les hormones sexuelles féminines regroupent principalement les estrogènes et la progestérone. Elles sont en général administrées aux femmes sous forme de produits synthétiques qui miment les effets des hormones naturelles et se fixent sur les mêmes récepteurs. L’impact neuro développemental des progestatifs de synthèse (PS) sur le cerveau des enfants exposés in utero a été étudié pour la première fois dans la cohorte de Hhorages, une association nationale de soutien aux patients, inscrite au portail épidémiologique de l’INSERM (1, 2). Largement utilisés en contraception ou en thérapie de substitution hormonale, les PS sont connus pour avoir un impact sur le cerveau adulte (3, 4), mais il n’existait jusqu’à présent aucune donnée sur leurs effets postnataux après une exposition in utero. À partir d’une enquête réalisée auprès de 1 200 femmes de Hhorages (5), auxquelles ont été administrées des hormones synthétiques lors de leur grossesse, sur les 1 934 enfants de cette cohorte, nous avons détecté 115 enfants issus de 46 familles dans lesquelles au moins un enfant avait été exposé à un ou plusieurs progestatifs de synthèse administrés seuls et dont la liste sur les ordonnances conservées est la suivante : 17α-hydroxyprogestérone caproate, n= 32 (SP retiré en 2000, mais ré-autorisé en 2011), heptanoate de 17αhydroxyprogestérone (Progestérone synthétique) : 10 (retiré en 2002), acétate de chlormadinone (SP dérivé de l’hydroxyprogestérone) : 11 (retiré en 1970), dydrogestérone (6-déhydroprogestérone, isomère synthétique de progestérone : 4 (contre-indication totale chez la femme enceinte, non retirée), « progestérone naturelle » de soja, micronisée : 4 (non retirée), Norethistérone Base (PS) : 1 (contre-indication totale pour les femmes enceintes ; retirée en 1998).
Parmi les 115 enfants nés de ces 46 mères, nous avons observé trois groupes : Groupe 1 : 18 enfants premiers-nés non exposés (9 garçons + 9 filles), sans troubles. Groupe 2 : 62 enfants exposés aux PS (40 garçons + 22 filles). Parmi les 49 patients atteints de troubles psychiatriques, 10 souffraient de troubles somatiques et psychiatriques et 39 de troubles psychiatriques seuls. Parmi ceux-ci, nous avons noté : schizophrénies : 29 (25 garçons + 4 filles) ; dépressions graves et troubles bipolaires : 16 (6 garçons + 10 filles) ; troubles du comportement, agressivité, troubles du comportement alimentaire : 4 (0 garçon + 4 filles). Il convient de noter que les garçons souffrent principalement de psychose schizophrénique (25 garçons contre 4 filles), alors que les filles souffrent principalement de troubles bipolaires (10 filles contre 6 garçons). Groupe 3 : 35 enfants (21 garçons + 14 filles) nés après une exposition antérieure, exempts de troubles, sauf 1. Le groupe 1 + groupe 3 (18 + 35 = 53 enfants) a servi de contrôles intrafamiliaux. Parmi les 62 enfants exposés aux PS, 49 présentaient des troubles psychiatriques (79,03 %), alors que seuls 6 (4 garçons + 2 filles) présentaient des troubles somatiques seuls (9,67 %) et 7 (5 garçons + 2 filles) ne présentaient aucun trouble (11,29 %). Schizophrénie (N = 29), troubles bipolaires et dépression profonde (N = 16) constituaient la plupart des troubles psychiatriques, alors que les troubles de l’alimentation (N = 2) et les troubles du comportement (N = 2) étaient moins nombreux. Sept séries de tentatives de suicide (une série comprenant entre 2 et 15 tentatives de suicide par personne) ont également été comptabilisées. En plus des troubles psychiatriques, certains enfants présentaient aussi des troubles somatiques (2) tels que, chez les garçons : hypospadias, pas de méat urinaire, cryptorchidie bilatérale, ambiguïté sexuelle ; chez les filles : stérilité hormonale, hirsutisme énurésie, désordre de la différenciation sexuelle (opéré), ambiguïté sexuelle, rétrécissement de l’urètre.
Nos travaux montrent une corrélation indiscutable entre les troubles psychiatriques présentés par les enfants exposés in utero aux PS et le traitement administré à leur mère pendant leur grossesse, qu’ils soient accompagnés ou non de troubles du développement sexuel. Les progestatifs étant connus pour induire une activation neuronale du récepteur GABA* avant la naissance, (*l’acide gamma aminobutyrique ou GABA est un neurotransmetteur très répandu dans le cerveau ayant pour fonction de diminuer l’activité nerveuse des neurones sur lesquels il se fixe), le système GABAergique peut contribuer conjointement à l’apparition d’une schizophrénie, à l’anxiété, à la dépression, aux troubles paniques ou à d’autres troubles psychiques (6).
Dans le domaine de l’autisme, en Chine, Paul Yao et son équipe (7) ont montré que l’exposition prénatale à un PS induisait un comportement semblable à celui de l’autisme chez les jeunes rats. Après injection d’un PS, le lévonorgestrel (LNG) du 1er au 21e jour à des rates gestantes, une partie de la progéniture a montré in vivo un comportement de type autistique. L’autre partie, réservée aux études cytochimiques, immunologiques et biochimiques du compartiment limbique disséqué du cerveau, en particulier de l’amygdale, l’hippocampe et l’hypothalamus, a révélé une augmentation de la méthylation (hyper méthylation) de l’ADN (un phénomène épigénétique) sur le promoteur du gène du récepteur aux estrogènes Erβ dans un compartiment particulier du cerveau, l’amygdale. Cette hyper-méthylation est plus sensible chez les mâles que chez les femelles. Yao et son équipe (8) ont confirmé ces travaux dans une étude épidémiologique cas témoins menée auprès d’une large population chinoise de l’île de Hainen (8 millions d’habitants) dans laquelle ils ont recherché des cas de Troubles du Spectre Autistique (ASD pour Autistic Spectrum Disorders). Sur 37 863 enfants âgés de 0 à 6 ans, ils ont trouvé 235 cas identifiés d’ASD et 682 sujets témoins. De manière significative, ils ont observé que les facteurs suivants étaient présents dans les antécédents de la mère :
- utilisation d’une PS pour prévenir une menace d’avortement
- utilisation d’un contraceptif progestatif au moment de la conception,
- consommation prénatale de fruits de mer ou de crustacés contaminés par un oestro-progestatif au cours du premier trimestre de la grossesse (100 % des mères). Les auteurs signalent en effet que dans les fermes d’élevage maritimes, les animaux sont contaminés par des COC (Contraceptions Orales Combinées) ou estro-progestatifs administrés afin de les empêcher de pondre et peser ainsi plus lourd à la vente ! Les auteurs concluent donc que l’exposition prénatale aux PS et estro-progestatifs est corrélée au développement de troubles autistiques (8).
D’autre part, en analysant le liquide amniotique conservé de 128 enfants mâles ASD, dans une cohorte danoise, Baron-Cohen et al. (9) ont pu mesurer des concentrations en hormones sexuelles stéroïdes (progestérone, 17 alpha-hydroxyprogestérone, androstenedione et testostérone) plus élevées dans ces cas d’autisme que chez les témoins non autistes, mettant pour la première fois en évidence une activité stéroïdogénique foetale plus élevée dans les cas d’autisme. Ultérieurement, en utilisant la même cohorte et les mêmes méthodes, ces auteurs (10), ont recherché la présence et analysé les niveaux d’œstrogènes trouvés dans le liquide amniotique chez les garçons avec et sans autisme ; ils ont observé que les concentrations d’estrogènes étaient plus élevées chez garçons atteints d’autisme et ils ont conclu qu’un excès d’œstrogènes pendant la vie fœtale est associé au développement de l’autisme dans une plus grande mesure encore que celle imputée aux progestatifs.
Ces résultats viennent à l’appui de l’hypothèse émise par Strifert en 2014 et 2015 (11, 12) du lien entre contraception orale des mères et prévalence de troubles du spectre autistique chez les enfants.
PS et estrogènes administrés durant la grossesse sont donc fortement corrélés dans le développement de troubles psychiatriques dont des ASD : En ce qui concerne les estrogènes, l’analyse d’une cohorte de 1.002 enfants de Hhorages*, dont 720 ont été exposés in utero à des estrogènes synthétiques a permis la mise en évidence de troubles psychotiques sévères (schizophrénie, bipolarité) et de nombreux suicides et tentatives de suicides qui se sont manifestés à la post adolescence (13, 14). À partir de l’analyse moléculaire de sang périphérique d’un groupe d’enfants psychotiques (schizophrènes et/ou bipolaires) issus de cette même cohorte, comparée à un groupe témoin intrafamilial et un groupe témoin extra-familial, Rivollier et al (15) ont pu montrer en 2017 que les enfants exposés in utero à ces estrogènes synthétiques présentaient une modification épigénétique (une hyperméthylation) spécifique et non globale, au niveau de deux gènes impliqués dans le neuro développement : ZFP57 (16, 17) et ADAM TS9 (18), ce dernier gène étant également impliqué dans le contrôle de la morphogenèse des organes, sexuels en particulier, qui sont souvent anormaux après l’exposition au DES. Par contre une hyperméthylation globale du génome a été observée dans une population témoin de jeunes schizophrènes non exposés au DES (Kebir et al. 2016).
En conclusion ces travaux montrent une corrélation entre l’action des progestatifs, des estrogènes et/ou des estro-progestatifs de synthèse sur le cerveau fœtal et les troubles psychiatriques dont des ASD présentés par les enfants exposés. Certains d’entre eux montrent que cette action relève d’un mécanisme de nature épigénétique (hyperméthylation au niveau de certains gènes). Ce mécanisme implique de facto un risque important d’effet trans-générationnel (19) représentant pour les générations futures un danger considérable.
Références :
1- Soyer-Gobillard, M. O., Puillandre, M., Paris, F., Gaspari, L., Courtet, Ph. et Sultan, Ch. Neurodevelopmental disorders in children exposed in utero to PS treatment : Study of a cohort of 115 children from the HHORAGES Association. Gynecological Endocrinology, 2019 ; 35 (3) : 247-250.
2- Soyer-Gobillard, M. O., Gaspari, L. et Sultan Ch. Evidence for a link between in utero exposure to synthetic estrogens and PSs and mental disorders : a long and crucial history. In : R. Woolfolk & L. Allen (Eds), Mental Disorders (20pp.), IntechOpen, London, 2019, In Press. ISBN 978-953-51-6626-9. On line.
3- Dub A. Hormones sexuelles et troubles psychiques. La Lettre du Gynécologue. 1998 ; 234 : 20–26.
4- Muye Z, Brinton R.How PS, a synthetic female hormone could affect the brain. Atlantic. 2012 ; 1–16.
5- Soyer-Gobillard MO, Sultan Ch. Behavioral and Somatic Disorders in Children exposed in utero to Synthetic Hormones : a Testimony-Case Study in a French Family Troop, In : State of the Art of Therapeutic Endocrinology, Editor Dr. Sameh Magdeldin, Niigata University, Japan. InTech, 2012 ; pp. 67-86.
6- Schmidt MJ, Mirnics K. Neurodevelopment, GABA system dysfunction and schizophrenia. Neuropsychopharmacol Rev, 2014 ; 40(1) : 1–17.
7- Zou, Y. et al. Prenatal levonorgestrel exposure induces autism-like behavior in offspring through ERβ suppression in the amygdala. Mol Autism., 2017 ; 8 : 46, 16pp. Doi 10.1186/s13229-017-0159-3.
8- Li, L. et al. .Prenatal PS Exposure Is Associated With Autism Spectrum Disorders. Front. Psychiatry, 2018 ; 19 November 9 : 12pp.
9- Baron-Cohen, S.et al. Elevated fetal steroidogenic activity in autism. Molecular Psychiatry, 2015 ; 20 : 369-376.
10- Baron-Cohen, S. et al. Foetal oestrogens and autism. Molecular Psychiatry, 2019, 9pp.
11- Strifert, K. The link between oral contraceptive use and prevalence in autism spectrum disorder. Medicine Hypotheses, 2014 ; 83 : 718-725.
12- Strifert, K. An epigenetic basis for autism spectrum disorder risk and oral contraceptive use. Medicine Hypotheses, 2015 ; 85(6) : 1006–11.
13- Soyer-Gobillard, M.O. Ces maladies que l’on pourrait éviter : Distilbène® et troubles psychiatriques ? Pratiques, 2015 ; 69 : 72-74.
14- Soyer-Gobillard, M. O., Gaspari, L., Paris, F., Courtet, P. & Sultan, C. Association between fœtal DES exposure and psychiatric disorders in adolescence/adulthood : evidence from a French cohort of 1 002 prenatally exposed children. Gynecological Endocrinology, 2016 ; 32(1) : 25-29. doi : 10.3109/09513590.2015.1063604.
15- Rivollier, F. et al. Methylomic changes in individuals with psychosis, prenatally exposed to endocrine disrupting compounds : Lessons from diethylstilbestrol. PLoS One, 2017 ; 12(4) : 12pp. e0174783, 10.1371/journal. pone.0174783.
16- Quenneville, S. et al. In embryonic stem cells, ZFP57/KAP1 recognize a methylated hexanucleotide to affect chromatin and DNA methylation of imprinting control regions. Molecular Cell, 2011 ; 44(3) : 361-372. doi : 10.1016/j.molcel. 2011.08.032. PMID : 22055183.
17- Lemarchant, S. et al. ADAMTS proteoglycanases in the physiological and pathological central nervous system. Journal of Neuroinflammation, 2013 ; 10 : 133. doi : 10.1186/1742-2094-10-133. PMID : 24176075.
18- Mittaz, L. et al. ADAMTS1 is essential for the development and function of the urogenital system. Biology of Reproduction, 2004 ; 70(4) : 1096-1105. doi : 10.1095/ biolreprod.103.023911. PMID : 14668204.
19- Kebir O, Chaumette B, Rivollier F, Miozzo F, Lemieux Perreault LP, Barhdadi A, et al. Methylomic changes during conversion to psychosis. Molecular Psychiatry, 2016 Apr 26 : 1-7. doi:10.1038/mp.2016.53.20- Skinner, M. K. Endocrine disruptor induction of epigenetic transgenerational inheritance of disease. Molecular and cellular endocrinology, 2014 ; 398 : 4-12.