Décidément, les vacances ne sont pas propices au travail !
Cette chronique ferme une longue parenthèse de 5 semaines, pendant lesquelles je n’ai rien écrit pour ce journal.
Ce n’est pas faute d’avoir à dire, ni d’inspiration -ce n’est pas pareil : sans matière, on ne peut rien écrire, mais sans que la matière ait pu s’organiser avec un minimum de désir et surtout un fil à tirer pour qu’une pensée attrape et lie cette matière au désir, il n’est pas possible d’écrire-.
Ce n’est pas non plus que j’étais en vacances. J’ai travaillé, bien au contraire. Mais ce n’était pas le travail habituel. Enfin, il y en avait bien, de celui-là -recevoir, écouter, fabriquer quelque chose avec ce qu’apportent ces personnes qui viennent voir un psychiatre, et pour ce qui me concerne en alimenter le chantier de la question de la folie dans la Cité- mais bien moins depuis quelques mois, que je récupère en pointillés les congés que je n’ai pu prendre ces 8 dernières années.
C’est la faute de cet autre travail, qui s’est ouvert avec ce temps qui s’est libéré. C’est nouveau, et ça occupe, ça m’occupe, temps et espace, âme et corps. C’est une plongée dans la même question, la folie dans la Cité, mais dans un éloignement du champs médical dont j’ai maintenant la certitude qu’il n’est plus possible d’y poursuivre le traitement de cette question. La folie se moque de l’évidence, de l’autorité -même haute et sanitaire-, des protocoles, des évaluations et du crédit, et ce n’est pas avec ça qu’on fera société avec elle. La folie se loge, chez chacun d’entre nous, dans la poésie des créations artistiques, elle y trouve un asile vivable et même accueillant.
Alors, pendant ces 5 semaines, dans mon temps « libre », m’ont occupé
- la poursuite du tissage des « performances » réalisées avec les patients et collègues du centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) à l’occasion du festival des jardins de la ville -yarnbombing (enveloppement des arbres et du mobilier urbain d’une partie de la ville avec des étoffes de tricot) et l’attrape-peur (cabane où les visiteurs du festival pouvaient déposer leurs peurs avant de commencer en toute sérénité leur déambulation dans la ville pour voir les diverses manifestations et réalisation du festival)-, notamment par la mise en route du numéro zéro du journal en gestation depuis quelques mois, et qui en rendra compte ;
- un conseil d’administration de l’association culturelle qu’on a créée ici pour expérimenter le lien entre psychisme et Cité, sous la forme d’un pique-nique et d’une exploration du festival des jardins de la ville
- l’animation d’un stage sur la psychothérapie institutionnelle et dans la foulée les 27èmes Rencontres de St Alban ;
un voyage dans la région d’Orléans pour assister à une journée d’étude sur « la révolution espagnole, matrice et terreau de la psychothérapie institutionnelle » ;
- la première journée de travail du tout jeune atelier théâtre du CATTP avec un homme de théâtre ;
- et pour terminer, la réunion du collectif Rencontres pour faire le bilan des 27èmes Rencontres et mettre en perspective les prochaines.
- Et écrire.
Je préfèrerais parler de cela, mais il faut que ça décante. Pour l’instant ça flocule. On ne peut pas écrire sur ce qui est en cours, et nouveau.
Enfin, on peut écrire en journaliste, raconter ce qu’on voit. Ou ce qu’on éprouve, mais alors, c’est comme les courriels, c’est pas une écriture, c’est un cri, adressé à soi-même. C’est le problème des échanges de courriels, même adressés à un ou des interlocuteurs : on ne parle pas à ceux-ci, absents par leur corps et ses réactions, et dans l’instantanéité ou presque de nos affects, mais présents par le mannequin que nous avons fait d’eux dans notre imagination, habillé des oripeaux que nous leur prêtons, et sans que la pensée ait pu organiser les affects de son arbitrage.
Et pendant ce temps, le monde a continué de tourner, et de produire des symptômes de normalité et de folie raisonnable.
Ainsi, la ministre, socialiste, de la santé, a signé, via la délégation de signature donnée à la directrice des affaires juridiques du ministère, un courrier au Conseil d‘État faisant part d’observations défendant la loi du 5 juillet 2011 que son parti avait dénoncé en participant, mollement il est vrai, à la lutte du collectif « Mais c’est un homme ... », dont il fait partie, contre cette même loi.
Et (informations recueillies sur divers sites d’internet -où, au passage, on peut constater que les informations ne sont souvent que le copier coller d’une seule source initiale, parfois jusque dans les formulations mêmes- et auprès d’un collègue qui travaille dans le service où a été soigné cet homme) c’est au nom de cette même loi qu’un berger cévenol, a été hospitalisé d’office le 27 juin 2011. En rentrant d’une hospitalisation pour des soins somatiques, 5 ans plus tôt, il avait eu la surprise d’apprendre que le maire de sa commune avait fait abattre son troupeau, de crainte qu’il ne divaguât dans la commune. Lorsqu’il a rencontré le maire pour avoir des explications, le ton est monté, et deux gifles, probablement agrémentées de quelques menaces sous le coup de la colère, ont été l’occasion du dépôt d’une plainte par le premier magistrat de la commune, par ailleurs magistrat de profession, qui a abouti à une incarcération préventive de 18 mois, suivie d’un procès où l’avocat du berger a plaidé l’énervement, entendu par le juge pathologie potentiellement à risque, prescrivant une hospitalisation pour dangerosité. Bien que les psychiatres dans leur ensemble, ceux à qui il avait été confié dans l’unité pour malades difficiles du département, mais aussi ceux du même hôpital qui ont eu à donner un avis collégial, ainsi que les experts désignés par le juge -il ne s’en est trouvé qu’un pour prendre une position embarrassée, ne constatant pas une pathologie évidente mais craignant des troubles à l’ordre public, dans une réponse biaisée à une question du juge qui n’interrogeait pas sur l’existence ou non de troubles mentaux mais demandait si « les troubles mentaux dont est atteint Monsieur Paya compromettent la sûreté des personnes et portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public »-, qu’une petite douzaine de psychiatres, donc, aient certifié que cet homme n’avait pas de raison d’être hospitalisé, il a été conservé en hospitalisation sans consentement à le demande du représentant de l’État, la nouvelle appellation de l’hospitalisation d’office, une nouvelle loi passant par là 8 jours plus tard. Rassurons-nous, il est sorti de l’hôpital le 18 juin dernier, soit après 356 jours d’hospitalisation. Il ne semble toutefois pas en avoir fini avec la psychiatrie, puisque son retour au domicile est assorti d’un programme de soins, assez vague selon le communiqué de la Ligue des Droits de l’Homme et de la section gardoise de l’Union Syndicale de la Psychiatrie, puisqu’il n’avait aucun traitement pendant son hospitalisation, pour n’être pas malade. Mais il devra quand même continuer à poursuivre en ambulatoire des soins qu’il n’a pas et dont il n’a pas besoin !
Enfin, une petite anecdote, drôle et dramatique. C’est le directeur d’un hôpital psychiatrique qui écrit à l’association qui organise un congrès de psychiatrie, pour signaler que les 3 soignants salariés de l’établissement qu’il dirige qui ont fait une intervention à ce congrès n’ont pas été habilités par lui à parler au nom de « son » établissement. D’ailleurs, il avait refusé de leur donner les 2 jours de congés de formation qu’ils avaient demandé. Ils sont donc venus sur leur temps libre. Ainsi donc, outre qu’il faut avoir l’autorisation du directeur de l’hôpital où on est salarié pour se rendre à un congrès travailler en témoignant de sa pratique professionnelle de soignant et réfléchir à celle-ci avec des collègues soignants, sur son temps de travail, il faut encore obtenir l’accord du directeur de l’hôpital pour parler, même pendant son temps personnel ! Quelle boursouflure ! Quelle imposture ! Quelle censure ! Quel abus de pouvoir ! Quelle perversion ! Il oublie qu’il n’est qu’un salarié comme un autre de cet hôpital, et qu’il n’a aucun pouvoir sur la pensée de ses collègues soignants, surtout sur des sujets concernant le soin.
Même s’il y a là de l’absurde, voire du surréalisme, je n’ai plus du tout envie d’écrire sur de tels sujets.
Je m’étais dit, il y a quelques années, pour pouvoir supporter les conditions d’exercice de mon métier de psychiatre public, que je squattais l’hôpital. Mais depuis quelques jours je m’inquiète : faudrait-il aussi squatter le monde ?
Et après tout, pourquoi pas ! Et le taguer aussi.