Marie Kayser
Médecin généraliste
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- Dans cet article du journal Le Monde du 31 mars 2018, le journaliste François Beguin relaie l’inquiétude du Docteur Véronique Fournier, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (mis en place en 2016 par le gouvernement), et directrice du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin à Paris. Celle-ci alerte sur le fait [que certains professionnels de santé osent paradoxalement moins recourir à la sédation profonde et continue jusqu’au décès (une forme d’anesthésie sans réveil) chez les malades en phase terminale qu’avant la loi qui la met en place…] [1]
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La loi Claeys-Léonetti de 2016 établit :
« À la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans les cas suivants :
« 1° Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ;
« 2° Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable.
Dans Le Monde, Véronique Fournier [dénonce les règles d’application de la loi beaucoup trop restrictives et dissuasives publiées le 15 mars par la Haute Autorité de santé. Il semblerait que ce soit l’aile conservatrice des soins palliatifs qui ait dicté ces recommandations.] [2]
Ce guide de la Haute autorité de santé (HAS) intitulé : Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue jusqu’au décès est destiné à tous les professionnels de santé, notamment les professionnels de premier recours : il décrit les situations dans lesquelles cette sédation peut être mise en œuvre et la conduite à tenir avant de la réaliser pour vérifier que les conditions prévues par la loi sont remplies.
Pour la HAS un pronostic vital engagé à court terme signifie que le décès est proche, attendu dans les quelques heures ou quelques jours .
Le Monde rapporte que [Pour Véronique Fournier, cette précision « exclut » des patients comme Anne Bert, cette femme atteinte de la maladie de Charcot qui avait médiatisé sa future euthanasie en Belgique.]
Selon Mme Fournier, [elle aurait dû pouvoir obtenir une sédation profonde et continue alors même qu’elle n’était pas à quelques heures ou jours de son décès : « Aujourd’hui, les malades atteints de maladies neuro-dégénératives ont beaucoup de mal à obtenir des sédations profondes et continues à l’heure où ils estiment eux que leurs souffrances sont devenues insupportables et alors que l’on peut difficilement contester qu’ils sont en fin de vie. J’ai beaucoup de remontées en ce sens. »] [3]
La HAS précise aussi que les évaluations doivent être répétées et que « la mise en œuvre de la décision du patient d’arrêter les traitements ne peut être prise qu’au terme d’échanges répétés et de processus de délibération collective entre la personne malade et toutes les personnes intervenant dans les soins et les traitements ».
Selon Le Monde : [La présidente du CNSPFV voit dans cette règle « une course d’obstacles » pour le patient, désormais contraint de « justifier sa demande à plusieurs reprises devant des gens différents alors même qu’il se trouve à un stade ultime de sa maladie ». « Il a le temps de mourir trois fois », juge-t-elle. Quant au médecin généraliste n’exerçant pas dans une unité de soins palliatifs, « il sera dissuadé de recourir à une procédure aussi lourde et quasi impossible à appliquer en ville ». Conséquence : « il y aura encore moins de gens soulagés ».] [4]
D’après le Monde : [« À la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, on estime que les recommandations de la HAS « ne sont ni restrictives ni trop larges ». « Elles donnent une assise à la loi en fixant des critères précis, se félicite Anne de la Tour, sa présidente, en rappelant que ces sédations « de dernier recours » ne sont « pas à banaliser » et qu’elles ne répondent pas à « ceux qui veulent mourir, mais à ceux qui vont mourir ».] [5]
Lors de la sortie de la loi, il était clair qu’elle ne répondait pas à l’ensemble des problématiques de la fin de vie car elle continuait d’interdire l’aide à mourir sous la forme de suicide assisté ou d’euthanasie, à la différence de ce qui est possible dans d’autres pays européens comme la Belgique ou les Pays-Bas.
Mais les constats et analyses de Véronique Fournier montrent malheureusement que la demande du patient risque d’être très peu entendue même dans le cadre de la sédation profonde et continue que la loi autorise.
Par ailleurs, la loi réaffirmait le droit à des soins palliatifs pour toute personne le nécessitant, mais c’est toujours très loin d’être le cas actuellement. Pour que ce droit soit effectif, il faudrait une vraie formation des soignants et la mise en place des moyens humains et financiers nécessaires.
Voir Pratiques n°66 : La fin de vie