Confrontées à l’émergence d’un sujet neuro-économique fonctionnel, sans parole et pleinement adapté à une “époque sans esprit”, les pratiques du soin, comme celles de l’enseignement, de la culture et des humanités en général, ont perdu leur place d’exception et leur dimension de sacré. Dévalorisées, elles sont soumises aux lois du marché et doivent répondre à des exigences d’efficacité et de rentabilité dont la mesure n’est plus le bénéfice humanisant d’un sujet devenant libre mais le respect scrupuleux de sa mise aux normes.
Or, comme le dit Roland Gori, c’est bien au nom de l’efficacité, du progrès et de la modernisation que s’implantent au plus profond de l’être humain les “fabriques de servitude”, celles qui conduisent l’homme à n’être qu’un “instrument voué à produire et s’adapter à un monde désenchanté géré par le numérique”. L’instrumentalisation des professionnels, qu’accompagnent la dislocation des services publics, la disparition de l’intérêt général, la dévalorisation des savoirs et des pratiques “artisanales” (Emmanuel Venet) et “subalternes”, aujourd’hui invisibilisées, (Marie-José Del Volgo), conduit à leur prolétarisation. Ils sont dépouillés de leur fonction de savoir et leurs actes sont confisqués par la multiplication des protocoles qui sont autant d’entraves à la pensée, conduisent à leur déresponsabilisation et à la violence du désespoir.
Quel avenir pour ces professionnels placés sur ces “autoroutes de la servitude” ? Comment rendre au soin ses qualités artisanales et son souci pour la vulnérabilité ? Comment sortir des chaînes du numérique et retisser des liens qui libèrent ? Comment opérer des révolutions au sein même des lieux où nous travaillons ? Comment reconstruire des solidarités qui seront autant de “cailloux” (Marie- Jean Sauret) pour enrayer le “devenir-nègre du monde” (Achille Mbembe) ?
Face à ces enjeux et ces questionnements Roland Gori nous invite à renouer avec la pensée complexe, à exploiter le multiple, l’infini des situations ; à subvertir le sens des choses et des mots pour entendre l’inouï et dire l’inédit d’un monde en devenir ; à faire œuvre poétique dans nos actes professionnels pour leur rendre leur tranchant ; à détourner l’utile pour en faire du beau. Nous verrons avec nos invités comment retrouver la force émancipatrice des “marronnages” qui savent rendre aux opprimés leur histoire, leur dignité et leur humanité. Nous verrons s’il est encore possible de résister à la servitude en réenchantant nos pratiques et notre monde par l’utopie, utopie dont Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau disaient : “L’utopie est ce qui manque au monde, le seul réalisme capable de dénouer le nœud des impossibles” (L’intraitable beauté du monde).
Programme :
8h45 : Accueil des participants
9h00 : Que devient l’acte de création et de soin dans une société de contrôle ? Roland Gori [1]
10h45 : Pause
11h00 : Cailloux Marie-Jean Sauret [2]
12h00 : Discussion
12h15 : Pause déjeuner
13h45 : Le soin menacé Marie-José Del Volgo [3]
14h45 : Effets et méfaits de la crétinisation du soin psychique Emmanuel Venet [4]
15h45 : Pause
16h00 : Dialogue entre Patrick Chamoiseau [5] et Roland Gori
17h30 : fin de journée