Proposition de loi sur le burn-out

L’assemblée Nationale a rejeté, jeudi 1er février 2018, la proposition de loi N° 156 « sur le burn-out visant à faire reconnaître comme maladies professionnelles les pathologies psychiques résultant de l’épuisement professionnel ».

Alain Carré
Médecin du travail
Association SMT santé et médecine du travail

        1. La proposition de loi N° 156 : une avancée politique vers la reconnaissance du lien entre des pathologies psychiques et l’organisation du travail

Pour comprendre les grandes manœuvres autour des termes « burn-out », il faut remonter dans le temps au milieu des années 1980 lorsqu’apparurent « les risques psychosociaux ». L’expression inconnue jusqu’alors a fait l’objet d’une enquête sociologique [1] qui montre que ces termes furent inventés par certains employeurs pour faire oublier que le véritable risque était celui des organisations du travail et mettre en avant une supposée fragilité psychologique des victimes dans la survenue de la souffrance au travail. Il faudra attendre le rapport d’expertise sur la souffrance au travail dit « Rapport Gollac » pour qu’enfin une définition précise dissipe l’écran de fumée [2].

« Le management peut être défini, comme « une technologie politique » : il s’agit d’un dispositif organisateur de discours qui guident des actes, d’un savoir inscrit dans des techniques verbales et mentales qui produit du pouvoir » [3]. Le projet organisationnel qui se déploie dans un contexte d’idéologie néolibérale qui constitue sa justification est la prise de pouvoir sur le corps et la pensée de chaque salarié.e pour qu’il (elle) devienne un objet docile et efficace de production ou de service.

Les techniques verbales et mentales allient notamment :
– l’individualisation des personnes et des résultats (mise en concurrence interne et externe par la sous-traitance, destruction des valeurs collectives du savoir faire et savoir faire ensemble et les professionnalités, exclusion des réfractaires et des moins productifs),
– l’intensification du travail (suppression des temps morts, fixation d’objectifs sans référence à la réalité du travail, autonomie des actions et contrôle étroit du résultat),
– l’instrumentalisation des esprits et des personnes (intégration du système de valeur et intériorisation des contraintes, report des contradictions de l’organisation du travail sur chaque salarié.e, réification des sujets en objets de production et de service, organisation de structures collectives précaires).

Ces stratégies d’emprise, qui ont pour effet d’arrêter la pensée critique, ont des conséquences inévitables sur la santé des personnes au travail, notamment sur leur santé mentale ; soit du côté de la souffrance vécue, de la souffrance éthique, soit des défenses inconscientes. La machine infernale est en place vers les pathologies psychiques avérées : « si tous n’en mourraient pas tous en étaient frappés ».

Cela signifie que les atteintes mentales liées aux organisations du travail libérales ne sont pas de malheureux accidents qu’une meilleure prévention pourrait faire disparaître mais que ces atteintes sont consubstantielles de ces organisations : l’organisation du travail libérale fonctionne à la souffrance comme une voiture fonctionne avec un combustible fossile. La souffrance est le carburant du management.

L’enjeu, pour les employeurs, de dissimuler les facteurs de risque ou leurs effets n’est donc pas seulement un enjeu de responsabilité mais bien une obligation ontologique car c’est la survie du nouveau système de profit par l’auto exploitation de la force de travail de (et par) chaque salarié.e qui se joue ici.

Cela explique en particulier la montée en puissance des plaintes d’employeurs à l’encontre des médecins qui, par leurs écrits, attestent du lien entre ces formes d’organisation et leurs effets sur la santé de leurs patient.es. Les instances d’exception des conseils de l’ordre leur offrant complaisamment un moyen de pression et entretenant un sentiment de peur chez les médecins.

La notion de « burn-out », arrive à point dans cette stratégie puisqu’elle permet d’éluder la question [4] des pathologies psychiques liées aux organisations du travail car :
– l’épuisement professionnel n’est pas une pathologie mais un syndrome c’est-à-dire une construction clinique qui n’a pas valeur de pathologie avérée ce qui empêche de recourir aux procédures de reconnaissance des pathologies professionnelles
– ce syndrome met sous le boisseau les pathologies dépressives ou anxieuses qui en sont le cœur
– il permet de construire un alibi pour l’organisation du travail car il met en avant des fragilités individuelles ou le perfectionnisme comme concourant à la survenue du syndrome d’épuisement professionnel

Les députés qui ont déposé la proposition de loi « sur le burn-out visant à faire reconnaître comme maladies professionnelles les pathologies psychiques résultant de l’épuisement professionnel » [5] ont commis une erreur tactique en utilisant le terme « burn-out » et celui « d’épuisement professionnel ». C’est au motif qu’ils ne pouvaient techniquement relever d’une reconnaissance de pathologie professionnelle qu’ont argumenté leurs détracteurs lors du débat parlementaire.

Pourtant cette proposition de loi conserve un intérêt à la fois clinique et politique.

Son intérêt clinique repose sur le projet de tableau de maladie professionnelle lié à la proposition. Ce tableau est directement inspiré par les conclusions du groupe de travail de la commission des pathologies professionnelles du conseil d’orientation des conditions du travail réuni sous l’égide du ministère du travail :
– ces conclusions ont été résumées dans un document de l’INRS [6] sur les pathologies psychiques ayant un lien avec les organisations du travail qui sont reprises dans la colonne « désignation des maladies » du projet de tableau (dépression, anxiété généralisée, stress post-traumatique),
– la colonne « liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies » reprend les recommandations du groupe de travail sur les éléments à rechercher dans le cadre des enquêtes diligentées par les CPAM dans le cadre de procédures de reconnaissance : Exposition à une organisation pathogène du travail pouvant comporter : - Des exigences liées au travail trop importantes (surcharge de travail, rythme de travail, travail dans l’urgence, contraintes de délais, objectifs flous ou irréalisables, déséquilibre entre les objectifs et les moyens donnés) ; - Exigences émotionnelles importantes ; - Manque d’autonomie dans son travail ; - Mauvais rapports sociaux et mauvaises relations de travail ; - Conflits de valeur et travail empêché ; - L’insécurité de la situation de travail (changements organisationnels, déménagements, incertitudes sur l’avenir, précarité du contrat) ; - Engagement individuel poussé à l’extrême ; - Harcèlement moral. [7]

Il faut rappeler ici qu’un tableau de maladie professionnelle repose sur la présomption d’imputabilité c’est-à-dire sur la solidité du lien entre la pathologie et son étiologie professionnelle. C’est là l’importance politique de ce document.

La représentation nationale, même si elle a refusé ce projet de loi, n’a, à aucun moment des débats, mis en cause le lien entre les étiologies professionnelles et leurs conséquences pathologiques.

Cela signifie que la position du conseil de l’ordre des médecins récusant, contre toute évidence clinique, la possibilité à un médecin d’établir ce lien est non seulement cliniquement mais maintenant politiquement intenable.

On ne peut douter que cet argument pourrait être décisif si les conseils de l’ordre s’obstinaient à instruire des plaintes d’employeurs.


  1. Si vous voulez en savoir plus, l’équipe de rédaction vous propose ces liens vers des articles qui pourraient vous intéresser...

– Voir le numéro 76 de Pratiques : Travail et santé, passer de la plainte à l’offensive
Au cœur de « la Mécanique du burn-out »
Christophe Dejours, psychiatre : « Les soignants sont contraints d’apporter leur concours à des actes qu’ils réprouvent »
Michel Cymes met en garde contre les algorithmes de prévention du suicide.


mercredi 21 février 2018, par Alain Carré


[1Benquet, Marichalar, Martin : « Responsabilités en souffrance. Les conflits autour de la souffrance psychique des salariés d’EDF-GDF (1985-2008) », Revue société contemporaine, N° 79, 3.

[2« Les risques psychosociaux seront définis comme les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. » ; rapport « mesurer les facteurs de risque psychosociaux au travail pour les prévenir » Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, faisant suite à la demande du Ministre du travail, de l’emploi et de la santé, p. 31.

[3F. Mispelblom, Au-delà de la qualité, éditions Syros, 1995, p. 226.

[4Voir à ce sujet la contribution de l’association SMT dans la conférence de consensus de la HAS sur le syndrome d’épuisement professionnel : https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2017-05/dir56/rapport_elaboration_burnout.pdf

[6Pathologies psychiques d’origine professionnelle INRS TM26 : http://www.inrs.fr/media.html?refINRS=TM%2026

[7Il est sans doute nécessaire d’ouvrir un débat sur l’opportunité d’ajouter ici le harcèlement sexuel qui pourrait également être en lien avec le pouvoir dont jouissent les managers sur le destin professionnel de chaque salarié.e et sur le caractère « viril » du management.


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