courrier du Printemps de la psychiatrie

Objet : Situation de la psychiatrie

envoyé aux député(e)s du Nouveau Front Populaire

Madame la Députée, Monsieur le Député,

Nous sommes membres du Printemps de la psychiatrie, un mouvement citoyen d’organisations politiques, de syndicats, d’associations et de collectifs de soignants, patients, familles et personnes concernées par la psychiatrie, mouvement initié en 2018 pour soutenir le renouveau des soins psychiques en France. En mai dernier, nous avons organisé à la Bourse du travail de Paris la deuxième édition des Assises citoyennes du soin psychique, rassemblant pendant deux jours plus de 500 personnes désireuses de réinventer ensemble l’accueil de la souffrance psychique.

Forts des réflexions, débats et propositions issues de ces Assises, et après avoir publié un appel à l’élection des candidats du Nouveau Front Populaire aux dernières législatives, nous vous sollicitons à la suite de votre prise de fonction dans cette nouvelle législature pour vous interpeller sur la situation de la psychiatrie publique et plus largement sur la dégradation des conditions d’accès aux soins psychiques publics en France.

La question de l’accès aux services publics et d’un réel accès aux soins pour tous a en effet été au cœur de ces élections législatives, et était déjà au cœur des préoccupations du Printemps de la psychiatrie dès ses origines (le soin psychique étant au carrefour de nombre d’entre eux : santé, justice, éducation notamment). Plus largement, le Printemps a émergé en réponse à l’état de catastrophe du service public de psychiatrie et du médico-social, catastrophe résultant inexorablement de décennies de détricotage politique et financier des valeurs de service public et de soin humaniste pour tous, dont la déshumanisation du soin par le recours généralisé à la contrainte et à ses contentions est la preuve.

Les solutions récemment soutenues par la majorité présidentielle, suivant notamment les recommandations tendancieuses et réductrices de la fondation FondaMental, s’inscrivent dans la lignée libérale à l’œuvre depuis de nombreuses années et mandatures, solutions qui ne font qu’accélérer la dégradation, voire la destruction, du soin psychique, psychiatrique et pédopsychiatrique :

-  Accentuation de la délégation de service public au privé lucratif (cliniques privées notamment) amenant à la fermeture de lits et de lieux de soins publics, le tout avec la promulgation de la tarification par compartimentation (T2C) pour la psychiatrie, inspirée par la T2A déjà appliquée ailleurs et pourtant partout dénoncée ;

-  Remboursement restreint des séances de psychologues libéraux (dispositif « Mon soutien psy », dispositif poursuivi malgré un boycott massif de la grande majorité des psychologues), au lieu d’un investissement au moins équivalent dans les consultations proposées dans les Centres MédicoPsychologiques (CMP) offrant déjà ce service gratuit et accessible à toutes et tous sans restriction ni critère de sélection ;

-  Investissement dans la création de plateformes multiples (par exemple les Plateformes de Coordination et d’Orientation) qui, en multipliant les prestations de services, viennent instaurer une logique inique de tri des patients et morceler le travail de continuité des soins dans le sanitaire et le médico-social, continuité pourtant si importante face à la souffrance psychique ;

-  Sous couvert d’inclusion, renvoi des patients dans leurs familles dites « aidantes », une des solutions à visée d’économie dans le « parcours de soin » du patient, alors même que lesdites familles sont ignorées et laissées à l’écart ;

-  Promulgation de différentes recommandations, voire obligations, de pratiques uniques auprès de certains publics, alors que la complexité du psychisme humain requiert au contraire, pour être soigné, la possibilité d’un choix ouvert à des pratiques diverses ne correspondant pas à un modèle uniforme et uniformisant ;

-  Plus généralement nous observons et dénonçons une visée strictement sécuritaire et économique des soins psychiques, rejoignant une logique entrepreneuriale de rentabilité, découlant sur un management orienté par le contrôle et l’évaluation qui dénature nos métiers, assèche les motivations et génère des départs en masse. Cette logique d’économie amène à la promotion d’applications de e-santé, basées notamment sur l’intelligence artificielle, achevant la destruction des relations humaines de soins et renforçant la solitude des patients.

Nous revendiquons au contraire un service public restauré et fort, cohérent et multiple, autour de points essentiels :

- L’accueil inconditionnel de toute personne, sans discrimination ni distinction sociale ou de pathologie, dans des délais raisonnables. Cela passe par la revalorisation de la « psychiatrie de secteur », modèle exemplaire d’un accès à des soins psychiques pour toutes et tous tout au long de la vie. Le secteur psychiatrique, au sens géographique du terme, offre en effet dans ses fondements une gamme complète de soins psychiques de proximité : urgences, soins contraints et libres, consultations, soins ambulatoires et à domicile, et d’autres encore, pour une durée non-déterminée à l’avance, en articulation avec les acteurs locaux (du social et du médico-social notamment). Ce modèle, au plus près des besoins des populations sur tout le territoire, a pourtant été trop abîmé par des décisions de mutualisations et de rationalisations budgétaires, amenant à un manque de personnel face à des besoins toujours plus grands, et des listes d’attente trop longues, requérant dès lors la réouverture des CMP fermés, l’embauche et la formation massive de soignants dans tous les lieux du soin et de l’accompagnement.

- L’absolue nécessité d’abolir les méthodes dégradantes et sécuritaires dans les lieux de soin et d’accueil. Cela passe notamment par l’interdiction de la contention, pratique qui a été fréquemment dénoncée avant tout par les patients eux-mêmes et leurs proches, et pourtant se banalise de plus en plus, que ce soit en psychiatrie, dans le médico-social, aux urgences et même pour certains enfants ; cela passe de même par la limitation des recours à l’isolement et au retour à la liberté de circulation comme norme et non comme exception. Des alternatives existent et requièrent, pour être déployées, que des moyens humains soient investis (hausse du ratio soignants pour un nombre de patients) et que les pratiques dégradantes soient interdites.

- La participation des usagers aux décisions cliniques et institutionnelles. En effet, malgré la promotion de la notion de « patient au cœur de sa prise en charge », celui-ci tend au contraire toujours à subir les décisions prises pour lui, et à ne pas avoir voix au chapitre en ce qui concerne les réflexions institutionnelles des lieux où il est soigné. L’intégration des patients et usagers dans les Commission des usagers et Commissions de vie sociales n’est souvent que très limitée, voire factice, et est fréquemment portée par les associations de familles qui, même si elles peuvent y avoir leur place, ne peuvent être considérées comme représentatives des voix de leurs proches concernés. Par ailleurs, des pratiques de soin institutionnel prenant en compte la parole des usagers existent, par le biais par exemple des clubs thérapeutiques, mais sont en danger (plusieurs clubs ont été récemment fermés sur décision administrative ou médicale, ne rentrant pas dans des logiques de rentabilité ou dans un carcan idéologique), alors même qu’elles font ailleurs au quotidien preuve de leur efficacité et promeuvent la participation citoyenne et démocratique de tous dans les lieux de soin.

- La prise en compte de la dimension spécifique des soins pour les enfants et adolescents , en repensant et renforçant le maillage entre la pédopsychiatrie et le médico-social et en mettant au travail la question de l’inclusion en milieu ordinaire. Les plus jeunes de nos concitoyens en souffrance, avec leur famille ou leurs accompagnants, se trouvent face à des listes d’attente interminables, amenant à des consultations chez des généralistes dépassés et à une vague de surmédicalisation (explosion des diagnostics, des handicaps évalués et des traitements médicamenteux), aux dépends d’une coordination assurée par le secteur entre les différents lieux de vie et de soin qui permettrait un apaisement de nombreuses situations.

- La restauration de la formation aux soins relationnels dans tous les métiers du soin. En effet, la part de la psychiatrie dans les formations initiales (infirmiers, médecins, entre autres) a été de plus en plus réduite au fil des années, le peu restant se cantonnant à des approches descriptives, classifiantes, réductrices et uniformisantes, s’éloignant du cœur du métier : le soin relationnel au cas par cas. Il nous paraît ainsi essentiel de repenser la formation à la psychiatrie dans son abord humain, de réinvestir dans les formations à la psychothérapie institutionnelle et de sortir du tout médical.

- La nécessité du soin apporté aux soignants. En effet, pour tenir dans ces métiers où le turn-over tend à s’accentuer, loin des simples mesures triviales de Qualité de vie au travail (massages et autres luminothérapies), il est essentiel pour lutter réellement contre la souffrance au travail de promouvoir à la fois la formation continue aux soins relationnels (et non pas seulement aux formations techniques), et la supervision (ou l’analyse des pratiques) permettant aux soignants de prendre du recul sur leur travail, supervision sans laquelle le risque d’usure sur le long terme est important. Le soin psychique est en effet un travail de la parole qui est essentiellement humain, partant des sujets singuliers (et non des techniciens) que sont les soignants. Il requiert dès lors de prendre soin du psychisme des soignants pour qu’ils puissent proposer en retour un soin de qualité aux patients qu’ils rencontrent. C’est aussi en réduisant le temps de travail passé devant un écran, dans une logique de traçabilité et de surveillance perpétuelle, que la favorisation de la rencontre avec les patients aura lieu.

Ces quelques propositions ne sauraient représenter l’intégralité des réflexions menées au cours des Assises citoyennes du soin psychique, mais nous souhaitons vivement que celles-ci puissent être soutenues par votre groupe parlementaire lors des négociations à l’Assemblée nationale, et notamment dans le cadre des débats autour du PLFSS 2025. Nous nous tenons à votre disposition pour approfondir ces réflexions, en vous rencontrant ou en échangeant par d’autres moyens. Vous trouverez par ailleurs ci-joints le Manifeste du Printemps de la psychiatrie, ainsi que le texte d’appel à l’élection des candidats NFP diffusé par le Printemps en juin dernier.

Dans l’attente de pouvoir échanger avec vous sur ces enjeux cruciaux pour la psychiatrie, nous vous prions d’agréer, Madame la Députée, Monsieur le Député, l’expression de nos respectueuses salutations.

Les membres du Printemps de la psychiatrie

Printemps psy Courrier aux députés NFP Situation de la psychiatrie

samedi 10 août 2024

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