Nous avons la tristesse de vous faire part du décès de notre ami Jean-Pierre Lellouche qui était malade et hospitalisé depuis plusieurs mois.
Jean-Pierre qui était pédiatre en libéral à Caen est un compagnon de très longue date de la revue Pratiques.
Il n’a pas cessé d’écrire, ses derniers articles pour Pratiques datent d’octobre 2018 : Rechercher le réflexe de Moro, Comment nommer les maladies, comment parler des maladies.
Ces articles prenaient toujours source dans sa pratique et dans les interrogations qu’il se posait sur le métier de soignant et sur la relation avec le patient. Il avait tout particulièrement collaboré avec nous pour le numéro d’octobre 2015 : Question vaccinations.
Vous pouvez trouver ses articles sur le site de Pratiques
Sa profonde humanité et sa quête perpétuelle de sens, sa réflexion sur les mots vont nous manquer.
Nous adressons, au nom de la revue, toute notre sympathie et nos condoléances à sa famille.
La rédaction de Pratiques
Cher Monsieur Lellouche
Dans les mails que j’ai échangés avec vous je mettais Cher Monsieur. Et vous, vous mettiez Chère amie. Et j’en étais très reconnaissante et très honorée.
Évidemment nous ne nous sommes jamais vus, mais vous me disiez chère amie, et aujourd’hui je vous dis merci cher Monsieur.
Évidemment, j’aurais dû vous le dire avant…
Vous étiez un pinailleur et un chipoteur de mots, c’est sans doute pour ça que nous nous écrivions… Évidemment, j’adorais ça.
Sans compter que c’est vous qui aviez raison la plupart du temps. Votre exigence, c’était une résistance à la langue molle, à la langue fourre-tout, à la langue de bois, à la langue snobinarde, à la langue pseudo scientifique… Évidemment que vous aviez raison !
On devrait tous faire comme vous, pinailler pour être plus juste, plus honnête, et ne jamais lâcher sur les mots. Je me souviens, cher Monsieur, que vous étiez par exemple exaspéré d’entendre cet été, on a fait l’Écosse, l’an prochain, on fera les Balkans.
Chaque fois que j’entends quelqu’un qui fait n’importe quel coin de la terre, je pense à vous et je rigole en douce. Maintenant vous faites le mort, cher Monsieur. À Pratiques tout le monde est triste et ému de votre départ, vous nous faites le manque…
Isabelle Canil
Un jour d’août 1985, Jean Pierre, tu reçus une lettre…
Toi qui lanças tant de bouteilles à la mer, interrogeant sans relâche puissants et intellectuels, pointures et tâcherons de la médecine, tu reçus une réponse manuscrite et tu rendis grâce aux PTT de l’époque… Je l’ai retrouvée cette lettre et suis venu avec d’autres aujourd’hui te l’apporter un peu trop tard pour que nous la relisions encore une fois ensemble…
Rappelle-toi, Jean Pierre, dans ton courrier à Françoise Dolto tu demandais (non sans malice, tu n’en manquais pas) pourquoi elle avait changé d’avis concernant le sevrage de l’allaitement maternel entre sa thèse Pédiatrie et psychanalyse et son livre La cause des enfants qui venait de paraître…
Tu étais si heureux qu’elle t’aie répondu que tu m’avais demandé quinze ans plus tard d’en retrouver la photocopie et de la numériser pour ne plus perdre.
Plus tard, ce te fut joie supplémentaire de transmettre le document à sa fille Catherine Dolto-Tollich qui entreprenait de rassembler en un livre les diverses correspondances de sa mère.
Cohérence, dialogue, perpétuelle quête de sens, mémoire, transmission… Comme tout cela comptait pour toi ! Et je crois bien que c’est d’abord cela qui faisait filer (et quelquefois grincer) ta plume et répandre tes doigts comme une douce pluie d’automne sur le clavier… J’en entends encore le staccato dans la pièce du cabinet du clos Herbert – pièce dite de l’ordinateur.
La féconde et prolixe psychanalyste d’enfants t’avait répondu avec sa fulgurance pratique mais aussi poétique en reprenant sa fameuse « théorie des castrations symboligènes et humanisantes »…
Pour que l’enfant progresse, il doit renoncer à des acquis vitaux, merveilleux et transitoires (le placenta, le sein maternel, les soins corporels…) Les parents doivent l’y aider. Le sevrage fait suite ainsi à la section du cordon et annonce l’autonomie de la propreté. Le nourrisson perd le lait maternel mais certes pas l’amour de sa mère qu’elle peut lui dire autrement en paroles et en actes.
Je tenterais aujourd’hui de paraphraser Dolto (ce qui ne lui est jamais profitable) et toi Jean Pierre, tu m’aurais sûrement reproché ma légèreté et mon manque de rigueur. Tant pis, je me lance. Je crois que notre propre finitude peut être l’aboutissement de cette théorie, l’ultime allégement, la dernière castration symboligène et humanisante : le corps s’efface pour laisser partir l’âme rejoindre (peut-être) ce que dans une autre Religion on appelle la Communion des Saints. Ce voyage implique certes beaucoup de douleurs physiques et morales. Les amarres sont dures à larguer pour l’explorateur qui n’a pas de cartes marines et aussi pour ceux qui restent esseulés sur le quai avec leur douleur mais, cela compte aussi, un souvenir ému dans leur mémoire mortelle.
C’est donc à Michèle, Frédérique et Guillaume que je remets cette photocopie.
Je crois savoir Jean-Pierre, qu’elle est déjà un de tes viatiques et de tes talismans…
Alain Quesney