Nadia, ou la vraie vie

Alexandra, étudiante en stage en autonomie dans un cabinet de médecine générale dans la banlieue parisienne, participe aussi à une consultation d’accès aux soins à la Maison de la Solidarité. Elle y retrouve une patiente, et en apprend un peu plus sur sa vie.

C’est un jeudi après-midi de novembre, je mène, comme d’habitude, mes consultations sur rendez-vous au cabinet (1).
Arrive le tour de Nadia, une femme d’environ 40 ans. La patiente précédente m’explique qu’elle ne parle pas français et me traduit brièvement, sur le pas de la porte, le motif de sa consultation : elle vient pour des céphalées et des douleurs abdominales cataméniales, elle souffre également de ballonnements. La patiente est pressée, elle s’en va.
Je me retrouve donc seule avec Nadia que j’ai invitée à entrer dans mon bureau. Elle a déjà un dossier médical, mais plutôt vide, je ne sais rien sur elle. Elle ne parle ni ne comprend le Français, il en est de même, en ce qui me concerne, pour l’Arabe. J’essaie de comprendre un peu mieux ces symptômes avec des mimes, mais je n’arrive pas à aller plus loin, alors en ce qui concerne ses antécédents, son suivi… n’en parlons même pas.
Je me décide à l’examiner : c’est une femme souriante, propre, avec des vêtements en bon état, elle reste silencieuse… je lui donne un traitement symptomatique et essaye de lui faire comprendre qu’il faut trouver un interprète pour la prochaine fois…ai-je réussi ?

C’est un mardi matin de décembre, je suis à la Maison de la Solidarité avec le Dr L (2). Nous débutons un entretien d’une dame de 40 ans environ qui ne parle pas français, une interprète est là pour nous aider. Elle nous demande de l’orienter pour des problèmes de ballonnements. Je ne peux m’empêcher de la dévisager, son profil, son sourire, ses habits…c’est Nadia ! Elle me reconnaît également. Je profite de l’interprète pour prendre de ses nouvelles, mon traitement a permis de faire disparaître les symptômes cataméniaux, mais elle reste toujours ballonnée.

Nous en apprenons un peu plus sur ses antécédents, son suivi médical et son mode de vie : elle vit à l’hôtel avec ses deux filles, via le 115, n’a aucun revenu, et son régime alimentaire se compose essentiellement de pain et de beurre fourni par la Maison de la Solidarité. Quel a été mon choc !! J’étais loin de me douter qu’elle était dans une telle précarité, après tout, elle présente plutôt bien !

Elle accepte de se livrer un peu plus sur son parcours. Elle est divorcée, son mari est éthylique et la battait, actuellement il est sans abri et sans emploi. A son arrivée en France, elle a travaillé et a été logée, avec ses deux filles, chez une dame. Au bout de 4 mois, son employeur arrête de la rémunérer. Nadia reste car c’est toujours mieux qu’être à la rue. Puis cette dame la séquestre avec ses filles, et lui prend ses papiers marocains. Elle réussit à s’enfuir et porte plainte, elle gagne son procès, et on lui promet de l’argent et des papiers français. Mais la dame fait appel et depuis maintenant un an, elle attend...

Elle survit avec les repas et les bons alimentaires fournis par la Maison de la Solidarité, elle va également une fois par semaine aux Restos du Cœur et fait la manche le vendredi à la Mosquée… mais elle ne peut pas cuisiner à l’hôtel !! Elle ne retrouve pas de travail, il est difficile pour une femme sans papiers, ne parlant pas français, de trouver un employeur.

Nadia nous confie avoir peur, peur pour ses filles, pour leur avenir, de leur situation si instable, est-ce que le 115 va lui prolonger son séjour à l’hôtel ? Ses filles sont scolarisées, et plutôt bonnes élèves, elles font de longs trajets afin de rejoindre leurs écoles, trajets qui changent en fonction de l’hôtel. Nadia aussi va à l’école, le jeudi après-midi, elle apprend à parler, écrire et lire le Français… en attendant ses papiers. Les papiers signifient beaucoup pour elle, ça veut dire pouvoir avoir un travail, de l’argent, un logement permanent, une situation plus stable pour ses filles, la fin des angoisses...

Mais étant dans cette précarité, pourquoi rester en France ? Mais parce que c’est toujours mieux qu’au pays, me répond-elle, là-bas elle il n’y a pas d’avenir pour elle et ses filles…

Alexandra de Almeida
Interne de Médecine Générale

Cet article est paru dans La lettre d’ARèS n°34, 1er trimestre 2010, numéro consacré aux femmes
site : www.ares92.org

mardi 6 avril 2010


1. J’exerce dans un cabinet de médecine générale en banlieue parisienne, dans le cadre de mon SASPAS (deuxième stage de médecine générale en ville, chez un maître de stage, en autonomie supervisée)

2. Dans le cadre de ce stage, je participe une fois par semaine à une consultation d’accès aux soins dans un lieu d’accueil de jour (Maison de la Solidarité) dans la même ville, en binôme avec une autre maître de stage, qui est membre du réseau ARèS92, réseau de santé s’occupant de personnes atteintes de VIH, ayant des addictions ou en situation de précarité

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