Patrick Dubreil, Président du Syndicat de la Médecine Générale, expose, pour les lecteurs de Pratiques, les raisons du combat de son organisation, une éthique rigoureuse qui met les soignants au service de la population et non l’inverse...
1. Pratiques En deux mots, quelles sont les raisons de la participation du SMG à cette manifestation ?
La lutte contre la loi "Hôpital, patients, santé, territoires" de Roselyne Bachelot. Nous sommes opposés au nouveau maillage territorial qui donne le champ libre au développement des activités cliniques à but lucratif, au détriment de l’hôpital public et de l’activité des missions de service public des professionnels du soin, de la santé et du social (suppression d’emplois, fermeture de lits, de services ou d’hôpitaux et maternités de proximité, dégradation des statuts et des conditions de travail, etc.).
2. Pratiques Comment expliquez vous la faiblesse des réactions d’autres syndicats de soignants à cette défense du service public de la santé ?
Des soignants, tout simplement, préfèrent travailler dans le privé où ils sont mieux payés que dans le public. Un syndicat se doit, certes, de défendre ses mandants - rémunérations, statuts...c’est légitime. Mais, concernant la santé, il est d’autres exigences :le service public, l’outil de travail qu’est l’hôpital public, la démocratie sanitaire et sociale, l’égalité d’accès aux soins, la lutte contre les inégalités sociales sont des valeurs qui doivent primer sur les intérêts catégoriels.
Or, que constatons-nous ? Certains défendent les aspects les plus réactionnaires de la loi HPST (dépassements d’honoraires, refus du testing par les caisses dans le cadre des refus de soins aux bénéficiaires de la CMU ou de l’AME). D’autres s’arqueboutent sur des avancées minimes dans leur filière (de médecine générale en l’occurrence). Ne voient-ils pas que les grands principes de la loi détruisent le service public de soins médico-sociaux et de santé, que cette loi n’est que la nième loi de destruction progressive des solidarités dans ce champ
?
Je rends hommage, en revanche, aux syndicats hospitaliers qui essaient de faire l’unité et qui se mobilisent contre la loi Bachelot. Mais la mobilisation dans la durée s’essouffle. Le rapport de forces qui impliquerait un recul du gouvernement n’est pas en faveur du mouvement social.
Je connais des amis éducateurs spécialisés qui viennent de se mettre en grève parce que leurs effectifs vont diminuer à cause de la loi HPST. Dans le même temps, d’autres, au sein de notre profession médicale se complaîsent dans leur tour d’ivoire, fiers de leurs position sociale et de leurs savoirs universitaires acquis, sans se rendre compte que cette tour se fissure par le bas, au contact de la réalité sociale.
N’oublions pas non plus que le balancier des médecins élus penche plutôt à droite de l’échiquier politique : ainsi, nombre de députés et sénateurs qui ont voté la loi HPST, médecins par ailleurs, sont majoritairement inscrits à l’UMP, parti au pouvoir.
3.Pratiques Les événements survenus récemment sur le plan de l’économie globale semblent vous donner raison. Pourtant, l’opposition au démantèlement de ce service public patine. Pourquoi, à votre avis ?
Le pouvoir manie habilement le double langage. Une mesure progressiste, minimaliste, sert à mieux faire passer une autre, réactionnaire et régressive.
Un exemple ? Nicolas Sarkozy, au congrès de la Mutualité de Bordeaux, le 4 juin 2009, dit, dans un premier temps, qu’il compte traiter la question des dépassements d’honoraires (alors qu’au sein de la loi HPST les élus viennent de supprimer le quota d’actes à tarifs opposables dans les cliniques privées !). Le même jour, il accède à la demande de la Mutualité d’intervenir dans la prise en charge des Affections de longue durée (ALD), maladies chroniques théoriquement remboursées à 100% par l’Assurance maladie.
La première proposition (promesse qui ne sera pas tenue) éclipse le démenti que lui donnent dans les faits les élus de sa majorité ainsi que la proposition simultanée d’ouvrir le marché des soins en matière d’ALD aux complémentaires et aux assurances privées - marché juteux, s’il en est…- au détriment, bien sûr, de l’accès aux soins d’une grande partie de la population concernée par les maladies chroniques (cancers, maladies cardio-vasculaires, maladies psychiatriques). Si bien que cette seconde question sur les ALD, raison d’être de l’Assurance maladie, passe quasiment inaperçue.
Le pouvoir lance aussi des ballons d’essai pour tester les résistances sociales et politiques. En 2008, il avait tenté de remettre en cause le remboursement des soins des patients en ALD, mais l’opposition avait été forte grâce aux retraités, aux associations de malades et à quelques syndicats dont le SMG. Il est grave, mais emblématique de la faiblesse de l’opposition politique, que ceux qui se soient sentis concernés aient été seulement d’abord les malades et les retraités : cela avait déjà été le cas lors de la création des franchises par Nicolas Sarkosy au premier janvier 2008.
Certains partis et syndicats traditionnellement de gauche, qui ont accompagné les politiques néolibérales ces vingt cinq dernières années, ont perdu leur base sociale et militante. Je crains que bon nombre de militants et de structures se soient aussi perdus dans des instances pseudo-représentatives ou pseudo-démocratiques (par exemple, le HCAAM : Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie ou les EGOS : Etats généraux de l’organisation des soins), instances habilement mises en place par le pouvoir pour amadouer toute opposition potentielle.
Le terrain à reconquérir est énorme. L’abstention est majoritaire en France, les élections européennes l’ont montré. Le désespoir et les raisons de la révolte n’ont jamais été aussi importants. La gauche sociale, syndicale et politique, et pas seulement écologiste, doit se ressaisir si elle ne veut pas se faire dépasser, je parle en terme d’analyse critique du système néolibéral et de ses lois de démantèlement des services publics.
4. Pratiques Et maintenant, qu’envisagez-vous ?
Poursuivre notre travail de décryptage des lois et de l’actualité qui concernent notre champ professionnel, défendre notre indépendance, notre formation, nos outils de travail, défendre nos patients en butte aux difficultés quotidiennes dans leurs vies, mais aussi essayer de s’allier aux nouvelles générations de soignants, aux lanceurs d’alerte, aux autres syndicats, aux collectifs, qui portent et défendent les valeurs de solidarité et de justice sociale.
Le médecin allergologue Ernesto Guevara, lui même atteint d’une maladie chronique, l’asthme, disait : "soigner c’est bien" - nous le faisons du mieux que nous le pouvons -, "libérer c’est mieux" , c’est notre rêve et notre réalité.