Lu : L’hôpital, une nouvelle industrie : le langage comme symptôme*

Présenté par Patrick Dubreil

L’auteur de ce tract de 45 pages est Professeur de médecine, chef de service de neurochirurgie du Centre Hospitalo-Universitaire (CHU) de Tours. Il analyse très précisément le milieu de travail dans lequel il évolue depuis plusieurs années. Un jour, un jeune membre d’un cabinet de « consulting » lui fit savoir que tout en restant dans une démarche d’excellence, il fallait désormais transformer l’hôpital de stock en hôpital de flux. À partir de là, plus rien ne sera comme avant.
Avec l’intensification du travail et l’accélération de sa vitesse, souffrir-soigner-circuler devint le nouveau leitmotiv des gestionnaires de cette industrie de masse, comme dans n’importe quel secteur industriel désirer-consommer-circuler. L’objectif court-termiste de cette politique ? Fermer des lits pour produire de la rentabilité comme dans le privé en abaissant le coût des soins : moins de lits, moins de personnels, moins de salaires, mais un désastre humain tant chez les personnels que chez les malades.
La conséquence de l’industrialisation du soin est donc son échec à atteindre l’objectif initial qui est pourtant celui du service public : prendre soin de tous.
En conclusion, l’auteur tente de tracer de grandes voies d’un programme politique comme réduire le corps administratif hospitalier au profit du corps soignant, étendre un réseau universel d’urgences ou supprimer la tarification à l’acte, ce dont nous sommes d’accord.
Mais il écrit aussi oser dire : consommer moins de soins. Ne plus se comporter en enfants gâtés. Dans un but altruiste, amaigrir l’ordonnance, renoncer aux examens superflus, aux certificats de complaisance.
Si le lecteur veut vraiment comprendre pourquoi l’hôpital public et la Sécurité sociale ne sont pas des entreprises à but lucratif mais ont un besoin de financement, il pourrait lire par exemple Le mythe du trou de la Sécu. de Julien Duval, Éd. Raisons d’agir, Prix Prescrire 2008 [1]. En effet, pour analyser le phénomène des déficits des comptes sociaux, il ne faut pas uniquement envisager comme causes avancées, dans le tract dont il est question ici, l’allongement de l’espérance de vie et le coût grandissant des techniques, parce qu’il convient de considérer les choix politiques qui fabriquent ces déficits.
L’auteur ne précise pas qui sont ces enfants gâtés. S’il s’agit de certains spécialistes pratiquant la course à l’acte, les examens complémentaires inutiles et les dépassements d’honoraires, au risque de l’aggravation de la santé des citoyens, alors nous sommes bien d’accord.
Rappelons le contexte qui favorise ces dérives :
• outre les CHU, l’Assurance maladie a aussi été livrée aux mains des gestionnaires adeptes du néolibéralisme et de l’industrialisation du soin ;
• l’industrie pharmaceutique, par son lobbying intense auprès des institutions, influence la politique inflationniste de consommation de médicaments et de matériel médical ;
• les traitements des maladies chroniques, dont les cancers, sont très coûteux pour les comptes sociaux, alors que ces maladies ont des causes sociales, environnementales, industrielles pourtant évitables [2] ;
• la pauvreté grandit dans notre pays avec un renoncement aux soins d’un nombre de plus en plus important de personnes.
Pourtant, une médecine sociale résiste au rouleau compresseur néo-libéral de manière indépendante de l’industrie pharmaceutique et, de plus en plus, en pluri-professionnalité pour répondre aux besoins de la population.
Les retraités ouvriers, poly-exposés aux toxiques au cours de leur vie au travail, malades de cancers non reconnus en maladies professionnelles (MP), qui achètent chèrement leur complémentaire santé, ne peuvent pas être considérés comme des enfants gâtés bénéficiant d’examens superflus et de certificats de complaisance. C’est plutôt la sous-déclaration des accidents du travail et des MP qui est la réalité de notre pays et les droits sociaux n’y sont plus totalement garantis.
L’auteur, estimant à juste titre qu’il pratique lui-même un métier manuel, fait l’éloge des ouvriers et des artisans, par exemple, en décrivant justement la main, comme le prolongement du cerveau. Il est de fait que le format de ce tract et son nombre limité de caractères n’ont sans doute pas laissé à l’auteur la possibilité de développer ce qu’il entend par enfants gâtés et certificats de complaisance.
Les lecteurs doivent cependant savoir que les plus malades de notre société sont les pauvres, les chômeurs, les patients en Affection de longue durée, les bénéficiaires de la Complémentaire santé solidaire ou de l’Aide médicale d’État ainsi que les ouvriers... aux mains d’or  [3].Et cela, il faut le marteler avec sa voix ou son crayon.
Mais l’essentiel de ce que signifie l’auteur réside dans le titre de son tract et le développement de son idée. Stéphane Velut analyse remarquablement bien les dérives du management hospitalier, dans ce chaudron chaud-bouillant dans lequel il évolue depuis des années. Si le langage est le symptôme, nous comprenons bien que la cause de ce symptôme est la maladie que constituent "l’ultra-" et le "néolibéralisme", unis pour le pire.

* Stéphane VELUT, L’hôpital, une nouvelle industrie : le langage comme symptôme, tracts Gallimard, n° 12, janvier 2020.


samedi 29 mai 2021, par Patrick Dubreil


[1Nouvelle édition augmentée et actualisée en novembre 2020.

[2Ces coûts sont imputés au budget de la santé alors qu’ils devraient être assumés par ceux, souvent employeurs, qui, en toute illégalité, sont à l’origine des pollutions, intoxications et maladies...

[3Les mains d’or, arrêt sur image, Bernard Lavilliers/Pascal Arroyo, Universal Music, 2001.


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