Lettre ouverte à Monsieur Hulot, ministre d’État

Monsieur le Ministre,

Chercheure en santé publique, je m’adresse à vous aujourd’hui au sujet d’une situation gravissime, celle du projet de réouverture d’une mine de tungstène et… d’amiante !! Oui, 20 ans après l’interdiction de l’amiante, ce projet voit le jour dans notre pays alors que la France n’en finit pas – à raison de 10 morts par jour – de voir mourir des suites de maladies liées à l’amiante, des travailleurs ou anciens travailleurs, leurs familles, ainsi que des riverains de sites ou résidents d’immeubles, contaminés par l’amiante !

La société Variscan-Mines, sans cesse en quête de nouveaux projets, a obtenu par le premier ministre Bernard Cazeneuve, un permis exclusif de recherche visant la réouverture de la mine de Salau sur la commune de Couflens en Ariège.

Dans les années 1980, avec Henri Pézerat qui fut le scientifique à qui nous devons l’interdiction de l’amiante en France, j’ai été amenée à répondre à la demande désespérée de mineurs de cette mine de Salau (alors appelée mine d’Anglade) atteints d’asbestose et de cancers. Directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la toxicochimie des fibres minérales, Henri Pézerat identifia très rapidement, après d’autres spécialistes du BRGM et de la CRAM notamment, la contamination du minerai de tungstène par deux variétés redoutablement toxiques d’amiante-amphibole : l’actinolite et la trémolite, auxquelles s’ajoutaient des poussières de silice, également pathogènes. Nous avons obtenu pour certains des mineurs gravement atteints la reconnaissance en maladie professionnelle, demandé des mesures de prévention, un suivi médical digne de ce nom, la création d’un registre des cancers de l’Ariège… Toutes nos demandes sont restées lettre morte. La mine a fermé ses portes en 1986. Les mineurs ont quitté la région et aucun bilan de cette catastrophe sanitaire n’a alors été établi.

Dans cette magnifique région pyrénéenne, à quelques kilomètres de l’Espagne, la vallée de Couflens s’est progressivement reconstruite avec des activités d’agropastoralisme, d’artisanat, de tourisme de randonnée, dans un cadre environnemental réorganisé, même si les traces de l’activité minière demeurent avec des résidus miniers toujours présents, contaminés par l’amiante, l’arsenic, la silice et les acides qui furent utilisés pour traiter le minerai afin d’en extraire le tungstène.

Aujourd’hui, fort des carences de la santé publique qui ont privé les travailleurs victimes des toxiques miniers de l’accès à leurs droits à réparation, les dirigeants de Variscan-mines nient les dangers identifiés il y a trente ans, disqualifient les travaux d’Henri Pézerat, les miens ainsi que ceux d’autres chercheurs en toxico-chimie et santé publique, et veulent imposer à marche forcée, le développement de l’exploration minière, au mépris des risques que cette démarche même fera courir aux travailleurs, aux habitants de la vallée, sans parler des atteintes irréversibles à leur environnement.

La mairie de Couflens et plusieurs associations tentent d’empêcher ce désastre, ont introduit des recours auprès du tribunal administratif et luttent – à armes inégales – contre un industriel prêt à tout pour arriver à ses fins, soit disant au nom de l’emploi. Il est insensé d’imaginer qu’en France en 2017, refusant de tirer les leçons d’une des plus grandes catastrophes sanitaires qui a frappé la France aux XXe et XXIe siècles, les pouvoirs publics se laissent séduire par des emplois qui tuent.

Une soi-disant expertise sanitaire serait le moyen de départager les partisans et adversaires de ce projet, comme s’il était possible de réduire en duel « pour » ou « contre », les enjeux en présence : d’un côté, la vie et la santé de la population de Couflens Salau et des futurs travailleurs de cette mine, de l’autre, les profits des responsables du projet. Une CLICS et un groupe technique avaient été mis en place par Madame la Préfète de l’Ariège. Hier, se tenait une réunion du groupe technique au cours de laquelle les « experts » de Variscan Mine nous ont systématiquement coupé la parole, refusant toute écoute et tout dialogue avec les experts appelés par la Mairie et les associations, à propos de ce que nous avion à dire à partir de travaux scientifiques reconnus en santé publique et toxcochimie. C’est la raison qui me fait aujourd’hui démissionner de la CLICS et du groupe technique. Je ne peux d’aucune manière continuer par ma présence dans ces instances apporter une caution à ce projet mortifère.

Peut-être vous souvenez-vous qu’en 2012, j’ai refusé la légion d’honneur que Madame Cécile Duflot, alors ministre, souhaitait me décerner. J’ai refusé pour les raisons qui m’amènent aujourd’hui à vous adresser cette lettre ouverte, car le péril est grand. Il y a urgence. En tant que chercheure en santé publique, je travaille depuis plus de trente ans à la production de connaissances sur les atteintes à la santé par les risques du travail. Ces connaissances sont méprisées, niées, parce que les atteintes touchent les ouvriers, parce qu’il apparaît légitime – aux yeux des dirigeants d’entreprise et des pouvoirs publics – que les travailleurs perdent leur vie à la gagner. C’est la raison pour laquelle j’ai refusé la légion d’honneur. C’est la raison qui me fait vous écrire en vous demande instamment d’intervenir pour mettre un point d’arrêt à cette démarche délibérée de mise en danger de la vie d’autrui.

Alors que tant de sites miniers, dits orphelins depuis leur abandon par les exploitants, exigeraient une politique active de réhabilitation et de mise en sécurité des riverains, l’exploration puis l’exploitation d’une mine – dont les risques de contamination par l’amiante, l’arsenic et la silice sont avérés – dans une vallée habitée, constituent un acte de violence extrêmement grave contre ceux qui y vivent.

En vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien porter à ma démarche, je me tiens à votre disposition pour vous donner de plus amples explications et vous prie de recevoir, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.

Lire aussi ce texte d’Annie Thebaud-Mony

jeudi 29 juin 2017, par Annie Thébaud Mony

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