Lettre au Président de la République.

Le Collectif de soignants pour la sauvegarde de l’hôpital public a rédigé cette lettre au Président de la République.
Vous pouvez la signer à l’aide de ce lien (et le diffuser), même si vous n’êtes pas soignants :


Monsieur le Président de la République,
L’état moral, organisationnel et budgétaire des hôpitaux publics Français est au plus bas. Les personnels sont découragés, beaucoup démissionnent. Malgré le dévouement et le professionnalisme des soignants, nombre d’hôpitaux ne peuvent plus remplir leur mission de façon satisfaisante.
En 2009, la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé et Territoires) a été promulguée donnant tout pouvoir au directeur pour administrer l’hôpital, tandis que la tarification à l’activité se généralisait et déterminait les recettes des hôpitaux. Mais le budget hospitalier voté par le parlement (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladies) a augmenté moins vite que les seules charges des hôpitaux. Pour respecter le budget fixé, les tarifs des séjours payés aux hôpitaux ont diminué, année après année. Ainsi, ceci a conduit les soignants à travailler plus pour que l’hôpital gagne moins.
Pour maintenir l’équilibre budgétaire, les directeurs ont été contraints de réduire drastiquement les investissements. Les charges salariales représentent 60 % du budget des hôpitaux. Ainsi, les postes de soignants sont devenus la variable d’ajustement, conduisant à des compressions d’effectifs, au non-remplacement des congés maladie et maternité et à des blocages de salaires. En 15 ans la productivité de l’hôpital a augmenté de 15 %, les effectifs de 2 % seulement. Enfin, une politique de recrutement archaïque visant à retarder au maximum les embauches, et des conditions de travail de plus en plus difficiles aboutissent à des centaines de postes de soignants non pourvus.
En conséquence, des lits sont fermés dans une proportion jamais vue : 20 % en moyenne, jusqu’à 80 % dans certains services. Les soignants se voient de plus en plus souvent contraints de refuser des soins médicaux et chirurgicaux, certains pourtant urgents et vitaux.
La gouvernance par la norme et par le nombre a entraîné une extension de la bureaucratie managériale avec une multiplication de structures intermédiaires de gestion. C’est un mal ancien, systémique. Il ne sera pas combattu par ceux qui le répandent. Se multipliant un peu plus chaque année, les exigences réglementaires tatillonnes voire absurdes et les injonctions paradoxales inondent tous les secteurs de l’hôpital. Les « managers » présents dans toutes les strates inutiles multiplient réunions, rapports sans intérêt, procédures irrationnelles, demandes abusives, commissions et sous-commissions pour le moindre sujet. Cette culture du chiffre, du blabla et des « process » sape le moral des hospitaliers les plus impliqués dans leur vocation, celle de soigner. Elle éloigne les soignants des malades et les pousse à quitter l’hôpital. Est-il normal de perdre autant de temps à rapporter et justifier ce que l’on a fait plutôt que de consacrer du temps à le faire ? Est-il défendable de compter dans nos structures 30 % de personnels administratifs de plus qu’en Allemagne ?
Cette sur-administration s’accompagne d’un manque de médecins. Il y a près de quarante ans, il a été décidé de restreindre le nombre de médecins formés dans une logique comptable à courte vue, suivant l’argument qu’en santé c’est « l’offre qui crée la demande » : moins il y aurait de médecins, moins il y aurait d’actes médicaux et donc moins de dépenses de santé.
Ainsi, la politique hospitalière menée depuis plus de quinze ans, caractérisée par des restrictions budgétaires et le néo-management sont en grande partie à l’origine du déclin de l’hôpital public. La crise du COVID-19 n’en est pas responsable. Elle fut au contraire l’occasion de redonner aux soignants du sens à leur métier. Pendant la première vague, les médecins et les soignants ont pris les rênes de l’hôpital en harmonie avec les administratifs qui leur ont donné les moyens nécessaires pour s’organiser et faire face. Hélas, la première vague passée, le monde administratif d’avant a bien vite resurgi, précipitant le découragement des soignants. Le mal qui nous rongeait était présent bien avant le COVID-19. Les hospitaliers en avaient averti l’opinion publique et les responsables politiques dès 2009 au moment de la loi HPST et en 2019 avant la pandémie, en vain.
Devant cette dégradation, votre gouvernement a répondu par des mesures financières qui ont fait passer le salaire moyen des infirmières (rapporté aux revenus moyens du pays) de la 28e à la 16e place des pays de l’OCDE. Mais le Ségur n’a pas provoqué la rupture attendue dans le mode de financement et de gouvernance.
Il faut rétablir une organisation simplifiée autour des trois fondamentaux que sont le service, l’hôpital et l’université. Toutes les structures intermédiaires (pôles, départements) doivent être remises en question, car souvent inutiles. Elles épuisent des ressources déjà rares et détournent de l’essentiel. Elles ont tué le modèle qui faisait autrefois de la France le pays classé par l’OMS en tête des nations pour son système de soins.
Mais cela sera peine perdue si on ne revient pas aussi sur les restrictions budgétaires et le virage gestionnaire généré dans les années 1990 par le concept d’hôpital-entreprise. Cette politique hospitalière génère des conflits éthiques, une obsession comptable, une maltraitance managériale et soignante, générant harcèlement, suicides, et d’immenses pertes de chance pour les malades.
Il faut changer les règles de détermination du budget des hôpitaux, n’appliquer la T2A que pour certaines interventions et actes standardisés et programmés, le prix de journée aux soins palliatifs et la dotation globale modulée en fonction de l’évolution de l’activité pour les maladies chroniques. Le mode de financement doit être adapté au type d’activité et non l’inverse.
Il faut retrouver le respect de l’autonomie professionnelle. L’administration et la réglementation doivent être réduites au strict nécessaire, et vouées entièrement au service des soins.
Il faut que la direction de l’hôpital soit partagée entre un directeur administratif, un directeur médical, un représentant des soignants élu par ses pairs et le doyen de la faculté de médecine pour les hôpitaux universitaires, en étroite relation avec un représentant des usagers.
Il faut qu’au sein du service hospitalier, redevenu la base de l’organisation de l’hôpital, nos jeunes collègues puissent retrouver l’attrait pour la recherche, indispensable à leur épanouissement et à la mission scientifique de recherche de l’hôpital public – universitaire ou pas.
Dans le cadre des mesures d’urgence, il faut mettre en œuvre une plus large autonomie des services, notamment dans la constitution des équipes de soins. Il doit revenir au chef de service et au cadre paramédical de déterminer, sur des bases concrètes, les ratios de personnels non médicaux, de définir les fiches de poste de ces derniers, de garantir leurs horaires et leurs conditions de travail ainsi que l’accès à une formation continue.
Il faut élargir le recrutement d’infirmières dites de pratique avancée, à partir des acquis d’expérience et de formation, avec un statut et une vraie revalorisation salariale.
Ces mesures permettront à l’hôpital de retrouver son attractivité, dans un esprit de confiance respectueux des personnels et des patients. C’est la condition sine qua non d’un redressement dont l’urgence est dictée par les conditions sanitaires.
Chaque jour de retard pris dans cette restauration de la capacité des services hospitaliers à remplir leurs missions aura des conséquences dramatiques sur la santé de nos concitoyens, dont vous serez en partie comptable. Vous avez l’opportunité de libérer cette fameuse « belle énergie » que vous aviez louée lors de la première vague, promettant alors un changement de paradigme et des moyens nouveaux. Le monde du soin attendait beaucoup du discours de Mulhouse où vous rappeliez que « la santé devait être placée en dehors du marché ». Ce monde est aujourd’hui sans perspective et en colère.
Face au désespoir hospitalier, il faut changer la politique en cours qui a échoué et initier en urgence des réformes profondes. La médecine hospitalière doit retrouver son sens et son enthousiasme, répondre aux besoins des malades et assurer le progrès médical. Pour cela, elle doit être réhumanisée. C’est simplement ce que nous demandons tous ensemble, médecins, soignants et usagers.
Nous vous prions, Monsieur Le Président de la République, d’agréer l’expression de notre haute considération.


mardi 28 décembre 2021

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