L’appel des médecins relatif aux ondes électromagnétiques n’est pas sans avoir suscité des réactions contradictoires, non seulement parmi les lecteurs de Pratiques, mais également au sein de la rédaction de la revue.
Revenons sur les circonstances de cet Appel.
L’Académie de Médecine, s’autosaisissant du problème, rendait publique le 3 mars 2009 une « mise au point », mettant en garde « contre une interprétation subjective du principe de précaution » dans le domaine de la téléphonie portable et des antennes relais : l’Académie, avant d’émettre cet avertissement péremptoire, n’avait pourtant pas encore mis en place le groupe de travail chargé d’étudier la question…
Le gouvernement en profitait, en avril, pour reculer par rapport aux engagements antérieurs de la ministre en charge du dossier et communiquait sur la base du « rien ne pousse à légiférer ou réglementer dans ce domaine ». Dans ce contexte, le 23 Avril 2009 débutait à Paris une conférence, dite « Grenelle des ondes ».
Des médecins et soignants se sont alors offusqués de la position de l’Académie et ont lancé un Appel le 18 avril.
Nous vous en rappelons le contenu : « pour le respect strict du principe de précaution, pour que soit établi un cadre législatif et réglementaire et pour une plus grande vigilance dans le suivi sur la santé des effets des ondes électromagnétiques », donc simplement un appel aux pouvoirs publics pour qu’ils se saisissent du problème et ne laissent pas le champ libre aux opérateurs privés.
Il n’est pas dans les habitudes de Pratiques d’esquiver le débat. Cet Edito ne sera pas un plaidoyer pour justifier la pétition ayant suivi l’appel des médecins, pas plus qu’un texte visant à en prendre le contre-pied. Il a pour but de rappeler les données juridiques concernant le principe de précaution et, le cadre étant posé, d’inciter à la libre expression des opinions sur le sujet. Et cela, au-delà de la seule question des ondes électromagnétiques.
Rappelons l’inscription de la Charte de l’environnement dans la Constitution [1] , Charte dont nous citerons les deux articles suivants :
? Article 1
Chacun a le droit de vivre dans un environnement
équilibré et respectueux de la santé.
? Article 5
Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine
en l’état des connaissances scientifiques,
pourrait affecter de manière grave et irréversible
l’environnement, les autorités publiques veillent,
par application du principe de précaution et
dans leurs domaines d’attributions, à la mise en
oeuvre de procédures d’évaluation des risques
et à l’adoption de mesures provisoires et
proportionnées afin de parer à la réalisation du
dommage.
L’article 5 définit les modalités d’application du principe précaution qui s’imposent aux pouvoirs publics, l’article 1 justifie l’extension à la santé de ce principe, a priori défini pour le seul environnement.
Pour en revenir au cas qui nous occupe, plusieurs tribunaux de grande instance et Cours d’appel ont cru bon d’appliquer ce principe au cas des antennes relais de téléphonie mobile [2], considérant, certes, que le trouble sur la santé des plaignants n’était pas avéré, mais que le risque, lui, existait, de l’aveu de scientifiques renommés et donc que l’incertitude sur l’innocuité de l’exposition aux ondes en justifiait l’application.
Ce point étant acquis et dans l’attente du prononcé définitif de la Cour de cassation, les arguments opposés ne manquent pas, sans même retenir ceux des opérateurs concernés :
*Ainsi, certains redoutent, jouant sur les peurs irrationnelles de la population, d’ouvrir la voie à des dérives obscurantistes ou sectaires, promptes à diaboliser le progrès technique,
*Ou, sur un tout autre registre, plusieurs de nos correspondants craignent l’égarement dans des problématiques subalternes, rappelant que le combat essentiel se situe ailleurs, pour ce qui est des problèmes sanitaires en rapport avec l’environnement : la lutte contre les pollutions liées aux transports, aux conditions de travail des salariés de l’industrie...
*Ou encore, la position de ceux qui, conscients de devoir apporter un minimum de réponses à leurs patients inquiets, ne souhaitent pas, pour autant, entériner des revendications sans bases scientifiques assurées : voir, par exemple, les divergences entre pays concernant les seuils d’émission : 41 à 61 v/m pour la France, 6v/m dans d’autres pays, 0.6v/m préconisés par les experts du rapport Bioinitiative. [3]
*Enfin, ceux qui dénoncent, dans l’application à tout vat de ce principe, de dangereuses dérives, permettant une fois de plus à certains acteurs du domaine de la santé de réaliser des profits substantiels, à l’abri de la crédulité de citoyens abusés par les media [4]
Sur tous ces points, Pratiques reste un lieu ouvert à la discussion, la contestation.
Nous proposons donc aux intéressés, s’ils en émettent le souhait, de leur ouvrir les colonnes d’un débat à paraître sur le site à compter de ce jour.
Pour sa part, la position prise par Pratiques, en soutenant l’Appel des soignants, est claire : les pouvoirs publics et les autorités médicales ont souvent tardé à reconnaître certains risques pour la santé publique face aux enjeux industriels et financiers. Personne n’a oublié les affaires de l’amiante et du sang contaminé. Forts de cette triste expérience, nous considérons de notre devoir de soignants et de citoyens d’exiger la plus grande vigilance dans le domaine des ondes électromagnétiques.
Nous pensions, et pensons toujours, que la Revue Pratiques se devait de publier cet Appel.