Les malheurs de Sophia

La Caisse Nationale d’Assurance Maladie lance son expérimentation « Sophia » qui vise à accompagner des malades diabétiques, environ 136 000 dans 10 départements.
Nous pouvons nous réjouir ; il aura fallu onze ans pour que cette idée présentée à la CNAM par la Coordination Nationale des Réseaux de Santé soit reprise et concrétisée. A l’époque le refus de cette institution de s’occuper de la prévention du risque maladie était justifié par le fait que le rôle de l’assurance maladie n’était pas de s’investir en amont de la maladie (ici agir en amont de la complication du diabète), mais de rester dans le remboursement des soins. Cette expérimentation qui signifie que la CNAM commence à s’occuper de la santé des assurés sociaux ne relève pas d’une adhésion à cette évolution du concept de santé versus concept de la maladie, mais tout simplement parce que aujourd’hui le diabète coûte 11 milliard d’euros par an. Et c’est bien là le problème. Entrer dans le suivi personnalisé d’une personne malade ne peut pas se faire du point de vue de la rentabilité économique de l’action entreprise.

Des infirmières spécialement formées feront un « accompagnement téléphonique personnalisé » auprès de malades volontaires, avec l’accord du médecin traitant. Le promoteur de ce travail précise que ce programme est « ambitieux et très humble dès lors qu’il se borne à valoriser l’existant ». Et bien justement, que nous apprend l’existant ? Il nous apprend que le plus important dans la démarche c’est le « personnalisé ». Il n’y pas deux malades identiques. Chacun porte son histoire personnelle au sein de laquelle il gère comme il peut sa maladie, et cela dans un environnement social et culturel spécifique, où la question psychoaffective est constamment présente. S’il peut y avoir un référentiel commun à toutes les infirmières pour exercer le travail de conseil, le plus difficile est de le décliner de manière appropriée pour chaque individu. Cela demande un savoir particulier dans l’écoute, dans l’acceptation du point de vue de l’autre, dans la capacité à évaluer la problématique sociale, de comprendre et accepter les différences culturelles. Le plus difficile n’est pas la connaissance scientifique, c’est la compétence dans la médiation.

On peut craindre que ce projet porté par un organisme payeur, évoluant dans une culture économique de la maladie, réduise cette juste ambition à du suivi téléphonique qui se rapproche plus du contrôle que du conseil. Ces inquiétudes se nourrissent de ce que propose la CNAM aux médecins en matière de prévention : je décide ce que vous devez faire et je vous achète les résultats.

Le succès de « Sophia » est possible à condition que cela traduise un changement de culture et pour commencer il faut ouvrir un espace de dialogue, voire de négociation avec les médecins qui auront à faire avec cette expérimentation. Sans cela on peut prédire les malheurs de « Sophia »

vendredi 25 janvier 2008, par Didier Ménard

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