Il est certain qu’au moment où la pensée dominante est de nous faire croire qu’il faut travailler plus pour gagner plus, nous autres médecins qui stoppons le travail pour cause de maladie, ramons dans le mauvais sens.
Comme tous les médecins de France, j’ai reçu hier l’exemplaire du nouvel imprimé d’arrêt de travail pour maladie. La case qui change est celle des heures de sorties autorisées. Il est de mon pouvoir d’autoriser des heures de sorties supplémentaires, sachant que tous les malades doivent être chez eux pour subir un contrôle, si l’Assurance maladie le décide.
Dans le même paquet du courrier, il y avait la lettre d’information de la caisse primaire me donnant des instructions diverses et variées, notamment celle de responsabiliser le malade sur le suivi du parcours de soin. Il y a dans les faits un véritable problème, concernant cette notion de responsabilité. La première condition pour qu’un individu soit responsable vis-à-vis d’un système administratif est qu il se sente respecté par ce système. Or il n’y pas plus humiliant que ce contrôle à domicile pour vérifier si vous êtes réellement malade. La venue du contrôleur de l’Assurance maladie, qui n’est pas un médecin, n’a rien de médicale Elle est uniquement un contrôle administratif qui vérifie qu’en étant chez vous, vous êtes bien dans le statut de malade. Comme cela ne veut rien dire du point de vue médical, cette personne faisant intrusion dans la sphère privée du citoyen ouvre les boîtes de médicaments, compte le nombre de comprimés consommés, et vérifie les radios... pour bien montrer qu’en tant que malade, vous devez rendre des comptes à l’Assurance maladie qui verse les indemnités journalières.
Mais ce n’est pas à ce titre que ce contrôle s’effectue, car s’il est normal que la gestion des fonds de l’Assurance maladie soit correctement assurée, il serait également normal que les représentants des assurés sociaux puissent, eux aussi, contrôler cette gestion. Ce n’est plus le cas depuis la réforme de 2004 de M. Douste Blazy. Ce contrôle s’effectue maintenant pour essayer de découvrir qui sont les fraudeurs. Nous sommes confrontés à la montée en puissance d’un fantasme technico-administratif, qui considère que tout bénéficiaire des prestations de l’Assurance maladie est un fraudeur en puissance.
Nous sommes là face à un comportement connu depuis longtemps, qui veut qu’en cas de crise - et celle de l’Assurance maladie est considérable - il faut trouver un bouc émissaire, qui sera forcément le coupable : ici, l’assuré en arrêt maladie. Ce qui évite de regarder en face les autres facteurs de la crise qui sont de la responsabilité première des gestionnaires de l’Assurance maladie : c’est le cas du scandale du Dossier Médical Personnel, qui vient de faire perdre énormément d’argent à cette même Assurance maladie.
Cet archaïsme de comportement, outre qu’il infantilise la personne malade au moment où l’on veut la responsabiliser, pousse les médecins à devenir les complices de cette politique du bouc émissaire. En 2008, l’arrêt maladie n’est plus de même nature qu’il y a 20 ans. Il s’inscrit dans un projet thérapeutique dans lequel il constitue un moment de repos qui permet à la personne malade, soit de rompre avec un processus psychosocial pathogène, soit de récupérer devant un épisode somatique. Il n’est en rien démontré que rester chez soi à la maison pour consommer de la télévision soit thérapeutique ; par contre, il est prouvé que rester dans la vie sociale et participer aux activités de la cité a une valeur thérapeutique.
Alors, il faut cesser cette chasse au fraudeur, sauvegarder sa dignité à la personne malade qui a plus besoin de soutien que de punition.