L’espérance de vie augmente régulièrement, mais les inégalités de santé ne se réduisent pas ! Ces inégalités sociales face à la santé sont particulièrement marquées pour les populations les plus vulnérables. L’espérance de vie des personnes à la rue, sans domicile fixe, est d’environ 45 ans. Des inégalités qui ne touchent pas seulement les extrêmes, mais qui sont marquées entre les ouvriers et les cadres.
Les inégalités de santé prennent au moins trois formes. Inégalités de durée de vie : L’espérance de vie d’un ouvrier est toujours inférieure de 6 ans à celle d’un cadre. Inégalités des états de santé. Plus on descend dans l’échelle sociale et plus la « prévalence » des maladies est fréquente. Transmission des inégalités. On peut connaître la profession du père d’un enfant en lui faisant ouvrir la bouche. En grande section de maternelle 9 % des enfants de cadre présentent au moins une dent cariée. Ce pourcentage est de 30 % si le père est ouvrier.
Les politiques sociales réduisent les inégalités de santé. Les formidables gains d’espérance de vie de la deuxième moitié du vingtième siècle sont autant, sinon plus, liés aux progrès de l’hygiène, des conditions de vie qu’aux innovations médicales.
Pour cette moitié du vingtième et unième siècle, on pourra penser que tout ce qui réduira la précarité du travail, la précarité du logement, luttera contre la paupérisation au travail, augmentera les bas revenus, contribuera à réduire les inégalités de santé.
Le dernier rapport d’Emmaüs sur le « mal logement » montre bien comment se mêlent les dimensions sociale et sanitaire pour rendre compte des états de santé. Et comment il faut faire travailler ensemble les « soignants » et les travailleurs sociaux si on veut améliorer quelque chose [1] .
On constate que souvent les grandes politiques de prévention – contre le tabac, l’alcool, les comportements alimentaires à risque – ont davantage tendance à accroître les inégalités qu’à les réduire.
N’a-t-on pas vu la consommation de tabac diminuer plus vite chez les cadres que chez les personnes les plus modestes ? Cela impose de repenser les politiques de prévention. On le voit très nettement en matière de nutrition, où les facteurs économiques sont déterminants et où il est difficile de préconiser de manger cinq fruits et légumes par jour quand le prix de ceux-ci est peu compatible avec le budget d’alimentation.
On peut le voir également en matière de santé au travail. D’un côté l’administration dispose de nombreuses informations sur les conditions réelles de travail et sur leurs impacts sur la santé. De l’autre le médecin généraliste n’a pas accès à ces informations. Quand une structure légère (une association) met à la disposition des médecins ces informations sur le travail de leurs patients c’est tout l’équilibre du rapport entre santé et travail qui est transformé [2].
Il faut alors poser la question de l’accès au système de soins proprement dit :
- Il y a une dimension financière de l’accès aux soins. De ce point de vue le retrait progressif de l’Assurance maladie de base (le taux de couverture des dépenses « courantes » par l’Assurance maladie atteint aujourd’hui péniblement 50 %), conduit à un recours toujours plus nécessaire à une « complémentaire », alors que par construction les couvertures « complémentaires » sont diverses et… inégales.
Il y a également une dimension géographique à l’accès aux soins. Des rapports officiels montrent que l’offre de soins est souvent inversement proportionnelle à la demande.
Mais au-delà il serait urgent de prendre en compte le fait que les inégalités sociales de santé ont des causes sociales et culturelles.
Les catégories sociales modestes n’ont pas le même rapport à la santé et aux soins que les catégories plus favorisées. Dans les catégories ouvriers, employés, on va voir le médecin « plus tard » (on attend d’être certain que cela ne va pas « passer tout seul »), plutôt un « généraliste » et, beaucoup plus que les catégories favorisées on a plus fréquemment recours à l’hôpital.
Prendre en charge un problème de santé c’est pouvoir en parler à quelqu’un d’autre, puis c’est comprendre ce que dit l’autre (le médecin). Il y a ici un vrai problème de langage. Le soin c’est le contact entre deux mondes. Le monde des soignants et celui des soignés. Certaines catégories sociales maîtrisent un langage proche de celui des soignants (proximité des niveaux de diplôme) d’autres catégories sociales n’ont pas cette proximité. Parler de son corps, comprendre la prescription, c’est bien un problème de compréhension réciproque. Les médecins n’ont pas cette formation à la compréhension de l’autre.
Souvent la prescription n’est pas suivie (ou pas correctement suivie) simplement parce que celui qui l’a élaboré (le soignant) n’a pas pris en compte les conditions de vie, les contraintes d’horaire de travail, du « patient ».
La santé à une double dimension sociale. Sociale car comme le rappelle le Rapport de la fondation Abbé Pierre sur le « mal logement » la santé est liée à l’ensemble des situations sociales (travail, revenu, logement, éducation…) et donc aux politiques sociales. Sociale parce qu’un égal accès aux soins supposerait que les soignants prennent en compte la réalité de la situation sociale de la personne.
Cette prise en compte des deux dimensions sociales du soin est sans doute incompatible avec l’actuel exercice « solitaire » en médecine de ville (et sans doute aussi incompatible avec la vision souvent très « technicienne » du soin à l’hôpital). Exercice solitaire ou exercice plus collectif ? Médecin isolé ou inclus dans une équipe de soins avec d’autres soignants (infirmiers, psychologue, diététicienne) voire des travailleurs sociaux ? Cabinet de médecine libérale ou maison de santé ?
Réduire les inégalités de santé imposera de développer des modes de tarification, de rémunération des professionnels qui garantissent que le système de santé répond bien aux besoins des plus défavorisés.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, mais dans le cadre de l’espace disponible il y a l’essentiel. Juste un mot pour ceux qui se demandent pourquoi certains passages sont en Italique ?
En relisant des documents pour rédiger cet article j’ai retrouvé un éditorial de Martin Hirsch, à l’époque « Conseiller d’État et Président d’Emmaüs France ». Un édito publié en 2007 dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH). Juste avant que M. Hirsch ne devienne membre du gouvernement comme « Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté » (2007-2010).
Ce que disait M. Hirsch en 2007 avait déjà été dit avant (Voir l’indispensable ouvrage de l’Inserm publié en 2000 [3]) et a été redit après (par exemple dans les conclusions de la « Conférence Nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale » de février 2013). M’est venu alors une idée : Reprendre cet édito, y compris le titre (tout ce qui est en italique dans ce texte vient de cet édito [4]) pour bien se dire que sur cette question nous savons l’essentiel. Reste à agir. L’exemple de M. Hirsch nous le confirme. L’action n’appartient pas à ceux qui ont du « pouvoir ». Elle appartient aux acteurs de terrain.