Hôpital : la loi HPST, un pas de plus vers la liquidation du service public

La loi « Hôpital Patients Santé Territoire » est une nouvelle accélération de la privatisation du système de santé. Non contents d’aligner des réformes dont personne ne semble se soucier d’évaluer les dégâts, massifs sur la qualité des soins et la démobilisation des professionnels de santé médicaux comme paramédicaux, les politiques continuent à jeter de la poudre dans nos yeux fatigués et avancent à marche forcée vers une organisation de plus en plus inégalitaire.

La création des ARS (Agences régionales de santé) est une nouvelle baffe à la démocratie, déjà en piteux état du côté de nos institutions de santé. La volonté de créer des hôpitaux usines de plus en plus grands, à haute concentration technologique, mais aussi à fort potentiel iatrogène, ne tient aucun compte du ressenti des patients ni de ceux qui les soignent.

Curieusement, les discours s’appuient sur des argumentaires spécieux, zappant d’un critère à l’autre vantant aujourd’hui le contraire d’hier, affirmant sans vergogne la soi-disant dangerosité des hôpitaux de proximité sans tenir aucun compte que ce sont ces petits hôpitaux qui ont assuré, durant des décennies, ce qui fut le meilleur système de soins du monde... N’oublions pas que nous avons perdu ce classement sitôt entamée la réforme Juppé... Cherchez l’erreur.

A l’hôpital c’est la fin du service public car qui dit privatisation dit recherche de profit. D’ailleurs, il est prévu d’intéresser les meilleurs producteurs... Il est préconisé de gérer l’hôpital comme une entreprise tout en laissant la part du marché la plus juteuse aux cliniques privées, marché de dupes s’il en est. Les bénéfices colossaux de la Générale de santé (propriétaire et actionnaire de près de 200 cliniques) en disent long sur l’orientation d’un tel dispositif. Il ne faudrait pas oublier que ce sont nos cotisations qui vont désormais enrichir ses actionnaires, sans compter certains professionnels qui ont pourtant prêté le serment d’Hippocrate. Mais peut-être ne l’ont ils pas vraiment lu ?…

Les patients, toujours peu ou prou dindons de la farce, subiront davantage les diminutions d’effectifs, le turn over d’intérimaires, véritable armée de mercenaires officiant dans ces lieux de production de soins privés. Les séjours seront de plus en plus rapides, laissant dans l’angoisse des suites opératoires, des patients sortis à peine réveillés de l’anesthésie. Les consultations privées, scandaleusement assorties de suppléments d’honoraires sans tact ni mesure ni surtout la moindre légitimité, se répandent plus vite que la peste.

Quels hôpitaux seront alors contraints d’assumer tout ce qui n’est pas rentable ? Les quelques hôpitaux dits de proximité qui seront réduits à accueillir la misère du monde, les vieillards abandonnés, les polypathologiques si peu désirés dans la belle médecine des grandes usines à soin déshumanisées ? Déjà, certaines structures privées transfèrent systématiquement dans le public les patients qui dépassent la durée moyenne de séjour et refusent d’assurer “le service après vente”.

La médecine qui se profile là est celle du beau diagnostic, de la performance, de l’exception, dont on a besoin, certes, mais qui est loin de représenter la médecine dont la majorité des citoyens ont besoin. Alors, qui acceptera de se coltiner cette médecine ingrate, selon ses propres critères, celle la plus fréquemment requise, celle de la maladie au long cours, celle qu’on ne guérit pas forcément, celle qui traîne à n’en plus finir, celle des vieillards dont les facultés diminuent lentement mais sûrement ?

Si l’on se range aux convictions de Bernard Debré, professeur ayant toujours travaillé dans le luxe de la spécialisation, invité lundi soir par France 3, le choix paraît évident. Il vaut mieux faire un déplacement de 50 km pour être bien soigné par des gens compétents, dit-il, que mourir dans un hôpital de proximité. Certes, mais Monsieur le Professeur sous-entendrait-il que la compétence de ses confrères, moins chanceux, laisse à désirer au point qu’ils feraient mourir les malades alors que l’usine à soins les sauverait ? That is the question !

Cette dichotomie, malhonnêtement simpliste, me semble reposer sur une illusion médicale tenace qui ne valorise que les actes techniques, la recherche pointue qui représentent une part infime de la médecine mais qui sont le socle à partir duquel tous les médecins, y compris les généralistes donc, sont formés. On comprend aisément que les médecins soient peu nombreux à se précipiter sur les postes et fonctions dévalorisées dans ces petits hôpitaux où, qui plus est, l’on meurt...

Côté santé, pas de grandes innovations, on interdira les cigarettes bonbons et l’alcool aux enfants... mais pas question de développer la recherche sur les causes environnementales des maladies ni de développer la médecine scolaire, encore moins celle du travail, bien au contraire... Tout cela n’est pas rentable immédiatement et nous sommes dans une culture du tout, tout de suite...

Quels intérêts seraient bousculés si l’on regardait de plus près ce qui nous rend malades ? Le travail pour les uns, le chômage pour les autres, la précarité, la misère, les pressions de plus en plus insupportables d’une économie soumise à l’irresponsabilité d’un libéralisme indécent ? Par contre, on développera « l’éducation thérapeutique »... Les patients seront-ils sommés de se traiter et conseillés chez eux par ceux-là même qui vendent les médicaments ? La publicité regorge déjà d’informations tendancieuses des labos qui pénètrent dans nos maisons pour nous vanter les effets des produits en omettant de signaler leurs effets indésirables... Les récentes affaires de toxicité des médicaments sont déjà oubliées, les Vioxx, Célebrex, Acomplia et les autres... sitôt remplacés... tout cela va si vite... rentabilité oblige.

Et les patients ? Il est dit que les refus de soins aux patients ayant la CMU seront limités Pourquoi pas interdits ? L’ordre des médecins étant incapable de le faire, ce sera à la sécurité sociale de les sanctionner… Rappelez-moi à quoi est censé servir cet Ordre ? N’est-ce pas à faire respecter la morale par lui-même édictée ?

Au lieu de cela, les franchises et les dépassements d’honoraires continuent d’enfler, laissant de plus en plus de malades à la porte des soins. N’oublions pas que cinq millions de nos concitoyens ne peuvent s’offrir de complémentaire santé, donc ne peuvent accéder à la plupart des actes chirurgicaux pratiqués surtout dans le privé et de plus en plus assortis de dépassements… Rappelons que l’hôpital public a de moins en moins les moyens de pratiquer des actes chirurgicaux.

Quant au territoire, toutes les décisions seront prises par des Agences Régionales de Santé, sous tutelle directe de l’Etat, depuis les missions des directeurs d’hôpitaux, jusqu’aux protocoles imposés aux médecins… On a vu les caisses d’assurance-maladie passer de la commune au département et devenir beaucoup plus difficiles d’accès, elles sont désormais court-circuitées. C’est la fin de toute illusion de contrôle citoyen.

Les médecins généralistes sont nommés « professionnels de premier recours » mais Ils seront toujours payés à l’acte, sans aucun financement pour organiser la prévention, coordonner les soins avec d’autres intervenants ni garantir l’indépendance de leur formation continue.
Pour inciter des jeunes à travailler dans les zones où il n’y a plus de médecins, on octroiera un peu plus de places aux autochtones dans les concours de médecine. Curieuse façon de repeupler les régions de médecins après les avoir dépossédées de leurs infrastructures, fermé les hôpitaux de proximité, les maternités et autres services publics. Quels jeunes médecins auraient envie d’être sacrifiés pour que leurs aînés puissent continuer à s’enrichir en secteur 2 dans les régions favorisées ?

Les jeunes médecins ont besoin de conditions d’exercice différentes et formatrices. Ils doivent pouvoir être remplacés régulièrement, avoir des revenus suffisants et de pouvoir partager leurs doutes et questionnements, comme dans des maisons de santé qui fonctionneraient autour d’une vraie collaboration, d’un projet qui intégrerait la prévention. Il reste encore à sortir du paiement à l’acte pour que ces choix deviennent viables.

samedi 14 février 2009


Voir en ligne : Le blog d’Anne Perraut Soliveres

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