La place que l’on occupe dans la société n’est pas le fait du hasard. Souvent, elle se transmet, tout autant qu’elle se gagne, par l’instruction, par la prise de responsabilités… Une fois cette place sociale occupée, elle s’organise, elle cherche sa notoriété et elle se défend quand elle se sent remise en cause sur sa légitimité. Mais elle ne peut jamais se considérer, comme un ailleurs qui existerait en dehors de la société où elle se situe. Car si elle s’excluait de la société qui lui donne sa légitimité, elle se condamnerait à disparaître.
C’est pourtant le chemin suicidaire que viennent de prendre les médecins spécialistes pratiquant les dépassements d’honoraires, chemin sur lequel ils tentent d’entrainer les jeunes générations. Et cela, au moment même où cette société, dans laquelle ils exercent leurs métiers, traverse une profonde crise à la fois, économique, politique, et philosophique, crise qui appelle plus de solidarité et non pas de repli sectaire.
Il y a une indécence dans la revendication de ces médecins à revendiquer la liberté totale de dépassements d’honoraires, alors que 25 % des Français renoncent aux soins, faute d’argent. Il y a indécence à revendiquer la liberté totale d’installation quand la possibilité d’accéder à l’offre de soins est de plus en plus aléatoire. Il y a indécence à prétendre que la valeur de leur acte médical est supérieure à celle des autres et qu’en cela, elle nécessite un dépassement d’honoraires.
Cette indécence montre bien que cette catégorie de médecins se situe en dehors des réalités de la vie des autres gens. Ils se condamnent à disparaître, car ils oublient que plus leurs tarifs sont élevés et inaccessibles à la majorité de la population, plus ils seront sans l’obligation de demander à ce que les malades trouvent dans un système assurantiel privé une solvabilisation du prix des consultations. Si ces médecins font basculer le système de protection sociale solidaire vers un système privé, alors ce système, qui se nourrit de la productivité et du profit, imposera un mode d’exercice, certes rémunérateur pour le peu de médecins qui survivront, mais alors, c’en sera fini de la liberté d’exercer, tant mise en avant en ce moment.
Qu’il y ait aujourd’hui nécessité de poser la question de l’avenir de la médecine libérale, de sa nécessaire évolution, de sa nécessaire adaptation aux changements sociaux – nous ne sommes plus en 1928 ! – c’est une évidence. Que la question de la rémunération des médecins, de tous les médecins, devienne un sujet de débat national –enfin ! Et il ne faut pas avoir peur de l’affronter –, s’impose également comme une évidence.
Les valeurs de la médecine libérale, les valeurs du système de protection sociale solidaire, sont suffisamment fortes pour servir de base à la refondation de l’organisation de l’offre de soins et, au-delà, de l’offre de santé, Tout cela est une absolue nécessité, mais ne nous laissons pas entrainer par ce corporatisme mortifère de défense des privilèges, la médecine ne mérite pas cela,