Il n’y a pas de quoi faire une note à la ministre

Didier Ménard
Médecin généraliste

Tout fut dit à la fin de cette rencontre.

Mon association de santé communautaire à la cité du Franc-Moisin à Saint Denis participe depuis 8 ans à des rencontres nationales des Maisons de Santé (MSP) et Centre de Santé (CDS) exerçant en Quartier Politique de la Ville (QPV). En 2015, nous organisions cette rencontre avec d’autres MSP et CDS à Strasbourg sur le thème, « Un quartier populaire est-il un quartier en santé ? ». Nos moyens sont faibles. Le Commissariat à l’Égalité des territoires (CGET) qui donnait une subvention, me conseilla d’aller demander de l’aide au ministère de la Santé. Je pris donc rendez-vous. Je fus reçu par un chef de bureau et une partie de son équipe. Pendant une heure, j’expliquais l’histoire de la santé communautaire, le rôle de nos structures d’exercice collectif dans l’offre de soins, la place de la promotion de la santé et notre travail pour renforcer le lien social. Il était très attentif, posait de nombreuses questions, visiblement il découvrait qu’il existe des soignants au sein des quartiers populaires, qu’ils sont organisés et qu’ils développent des pratiques avec la volonté de répondre aux besoins de la population. Il me félicita et ajouta : « Désolé mais il n’y a pas de quoi faire une note à la ministre ». Pas de subvention, même pas pour le cours particulier qu’il venait d’avoir sur un sujet si lointain pour lui. J’ai cru voir dans les sourires désolés de ses collaboratrices, l’expression ministérielle de la fatalité.

J’ai essayé de comprendre, certes la cité du Franc-Moisin à Saint Denis est éloignée de l’avenue de Ségur mais elle est sur la même ligne de métro. Pourquoi cette évidence de la souffrance sociale que je rencontre à mes consultations est-elle si incompréhensible au ministère ? Je ne suis pourtant pas tombé dans le misérabilisme, j’avais des arguments, des évaluations, des chiffres, presque un langage administratif pour tenter de mieux convaincre. Ce chef de bureau était désolé : On ne dérange pas la ministre pour ça.

À Strasbourg, nous avons fait le constat que les conditions de vie des habitants des quartiers populaires, ce n’était pas une question politique valable pour le ministère de la santé, ou pour un chef de bureau formé et missionné pour penser la santé du seul point de vue de sa classe sociale.

Nous avons tenu nos rencontres sans la subvention du ministère avec plus de bénévolat et d’engagements des professionnels. Nous sommes tombés d’accord pour dire que notre exercice de la santé se faisait sur un volcan social, mais nous ignorions quand où et comment allait avoir lieu l’explosion. Nous avons réfléchi sur nos pratiques, comment mobiliser les ressources de la communauté pour éviter de médicaliser par le médicament la misère sociale. Comment développer l’accompagnement, l’accès aux droits, la médiation en santé, les nouvelles pratiques médico-psycho-sociales.

Ma lecture, de ce qui se passe aujourd’hui avec la révolte des Gilets Jaunes, s’explique en partie dans le fait « qu’il n’y a pas de quoi faire une note à la ministre ». Tant que dans les administrations et les instances politiques l’entre soi produira un mépris pour les personnes précaires, vulnérables et pauvres, tant que tous les rapports annuels sur la pauvreté, ceux de Médecins du Monde, de la Fondation Abbé Pierre… et toutes les alertes des différents observatoires iront dans les armoires des couloirs du ministère, alors nous serons, nous les soignants des quartiers populaires, les professionnels de la résistance face à l’augmentation des inégalités sociales et territoriales de santé.


jeudi 10 janvier 2019, par Didier Ménard

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