Un jour, en traversant les couloirs du ministère de la Santé et voyant ces armoires alignées contre le mur, je me demandais combien de rapports officiels oubliés et donc devenus inutiles elles contenaient. S’il y a un rapport que je ne voudrais pas voir finir lamentablement dans une des ces armoires, c’est bien le rapport du comité des sages présidé par Alain Cordier. Il faut convenir que c’est là une curieuse manière de fonctionner : nos gouvernants demandent sans cesse à des acteurs d’un secteur particulier, ici la Santé, de proposer les éléments structurant la réforme ou du moins l’amélioration d’un système. Puis, au cas où ces propositions ne conviendraient pas politiquement, car trop déstabilisantes au regard du système existant, ou susceptibles de mobiliser les oppositions, de les ignorer superbement.
C’est précisément la situation créée par ce rapport des « sages ». C’est donc tout aussi naturellement que nous devons défendre politiquement ce rapport. L’enjeu de la réforme est d’en finir avec le modèle archaïque d’une médecine libérale incapable de participer à un système de santé adapté aux besoins des populations : donner un accès aux soins pour tous, sans aggraver les inégalités de santé. L’avenir de la médecine générale est défini dans ce rapport. Il est indispensable de le défendre. Son contenu est connu des lecteurs de Pratiques, nous ne cessons, depuis 34 ans, d’y écrire que le soin doit devenir santé, que l’exercice solitaire de la médecine n’a plus lieu d ’être, que de nouveaux modes de rémunération sont à inventer, que l’avenir est dans les structures regroupées et coordonnées de l’offre de santé, que les besoins sont à définir au niveau du territoire, que la démocratie sanitaire passe par la co-construction d’actions de santé avec la population au sein de ce territoire, que la formation doit être indépendante de l’industrie pharmaceutique, que la recherche médicale doit être publique, que le tout doit être coordonné au niveau de la région dans un système public de l’offre de santé de proximité.
Que nous abordions ces questions par le biais de la sociologie, la philosophie, l’Histoire, la politique…, que nos pratiques professionnelles soient décrites et analysées par les infimier(e)s, les kinésithérapeutes, les orthophonistes, les pharmaciens, les médecins…, nous retrouvons dans le rapport des sages les mêmes leviers qui conduisent à la création d’un système de santé plus juste et plus solidaire. Certes, ce rapport est traversé par des affirmations que je ne partage pas, comme la défense d’une médecine des normes ou la valorisation du paiement à la performance version assurance maladie, mais cela fait partie d’un autre débat portant sur le reste des propositions dudit rapport. Par contre, je partage, je défends le point de vue qu’il faut changer la « gouvernance » du système. Soit on redonne à l’Assurance maladie une gestion démocratique avec le retour des citoyens élus à son conseil d’administration et, alors, elle dirige, soit c’est l’Etat qui gère, sous contrôle démocratique. Ma préférence va à la première hypothèse.
Mais l’urgence est de sauver le rapport des « sages ». Nous savons les différentes manières, pour un gouvernement, d’affirmer que le rapport sera le moteur du changement. Puis, comment, face à l’expression des conservatismes et des oppositions, le même gouvernement range ledit rapport dans l’une des fameuses armoires du couloir.
Il est donc exclu de compter sur la bienveillance de ce gouvernement qui nous a habitués à « faire semblant », mais il est indispensable de tabler sur la mobilisation de l’ensemble des soignants : ils n’ont d’autre choix pour leur avenir que d’imposer le changement sur la base des 19 recommandations du rapport d’Alain Cordier.