Hommage à Jean Carpentier

Jean Carpentier vient de décéder. Pratiques et ses animateurs ont voulu lui rendre ici ce dernier témoignage de leur gratitude

Jean Carpentier, cet infatigable défricheur de la médecine générale, nous a quittés à l’aube du 9 juillet 2014. Il nous laisse orphelins d’une liberté de pensée, d’une quête de « justesse » qui l’ont conduit à bousculer bien des tabous de la médecine, défendant envers et contre tous une conception singulière et humaine de ce métier qu’il a aimé passionnément.

Un dernier hommage lui a été rendu mardi 15 juillet au Père Lachaise.

Je l’ai rencontré en 1978, alors que j’étais en formation à l’école des cadres infirmiers, dans son cabinet à Corbeil où je venais le solliciter afin de transgresser un stage « technique » que je refusais de passer à l’hôpital. J’avais trouvé dans la bibliothèque un petit livre qu’il avait publié avec Wolinski intitulé « La médecine peut vous soigner, mais c’est à vous de vous guérir » et j’ai tout de suite été intriguée par celui qui mettait des mots et des actes sur ce que je ne faisais encore que pressentir.

Anne Perraut-Soliveres


Jean Carpentier,

Une figure qui a embarqué des générations de soignants dans sa rébellion à la fois joyeuse, clairvoyante, habile, se méfiant des institutions, mais jouant avec elles, à la fois franc-tireur et fédérateur.
Le tract « apprenons à faire l’amour » en 71 qui lui valut un an d’interdiction par le Conseil de l’Ordre des médecins. Le texte avait des termes paisibles et joyeux pour dire les choses du corps et du désir que reprennent aujourd’hui, 43 ans après, l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé dans ses brochures pour les adolescents.
La participation à la création du GIS (Groupe Information Santé) avec Bernard Cassou, Antoine Lazarus et d’autres, dans les parages du GIA (Groupe Information Asile) et du GIP (Groupe Information sur les Prisons) avec Michel Foucault, Jean-Marie Domenach ,Pierre-Henri Vidal-Naquet.
Le journal de TANKONALASANTE qui a fait partie de la documentation de base de bien des étudiants, dans les rayonnages de la librairie Maspero de 72 à 77.
Des livres , Médecine générale Maspéro 78, Médical flipper en 84, Retrouver la médecine en 96 pour défendre une conception du soin et de la maladie : « La consultation est la rencontre de deux savoirs : celui du médecin, un savoir du dehors, général, statique, et celui du malade, un savoir du dedans, de son histoire particulière, de ses fragilités organiques, de ses pulsions en général et à ce moment-là. La maladie est une parole qui n’est pas adressée au médecin mais à l’entourage physique et humain de celui qui la parle. (…) Il est anti-scientifique de séparer le subjectif de l’objectif, le mouvement de l’instant, la cause qui semble originelle et d’autres qui paraissent secondaires. (…) Le risque encouru par le malade lorsqu’il est pris en charge par la médecine est d’être dépossédé de son énergie rebelle, d’être objectivé, en abandonnant à d’autres son « libre-arbitre » ce qui faisait de lui le sujet de son histoire. »
La « valise à symptômes », valise transparente avec plusieurs plans de plexiglas. Sur le premier, on lit « symptômes », et sur les suivants d’autres mots : « histoire », « signes »… pour dire la complexité qui se cache derrière la maladie.
Le soin porté à l’accueil : la salle d’attente de son cabinet a des tables de bistrot pour que la vie soit bien présente.
La fondation de l’Ecole Dispersée de Santé européenne, puis l’organisation des rencontres de Cos dans l’île d’Hippocrate en 92, entre une centaine de soignants de différents pays qui a abouti à une déclaration d’actualisation du serment d’Hippocrate. Comment se tenir aux côtés des patients et de la société ? Ces rencontres ont su redynamiser à la fois la réflexion sur l’articulation du social et de l’intime, dans toutes les innovations qui auront lieu ensuite dans le travail en réseau ville-hôpital, dans le regard sur la toxicomanie. Des rencontres précieuses avec des figures du soin comme avec le psychiatre Stanislas Tomkiewicz.
La bataille cruciale pour le soin aux usagers de drogue qui étaient, jusque dans les années 90-91, refoulés par les médecins en France, et décimés par les overdoses ou par le Sida, alors que en Belgique et en Suisse, la substitution était menée par les généralistes. Après des années de rejet par les institutions, les procès avec le Conseil de l’Ordre, les interdictions d’exercer, les injures de médecin-dealer, il devient celui que les autorités consultent pour développer ce qui enfin paraît nécessaire : les réseaux de soins aux usagers de drogue.
L’édition de 77 thèses qui reprennent la conception du soin, dont le début qui a été publié dans le numéro 1 de la nouvelle formule de Pratiques à l’époque d’Indigènes éditions en 98.
Cf. Thèses sur l’art médical.
Un plaisir de la vie, un goût de la fête, jean Carpentier chantant la chanson d’Aznavour, je me voyais déjà au sommet de l’affiche, avec une espièglerie, et un recul extrêmement réjouissant.
Leader d’un village voisin, lointain parfois, se méfiant des batailles syndicales, il n’a pas été adhérent du SMG, mais compagnon de route, surtout proche dans son envie de pratiquer autrement le soin, d’impulser des pratiques nouvelles, dans sa réflexion subtile et dans sa capacité de fédérer des amitiés.
Nous serons nombreux à nous souvenir de l’oxygène, du vent qu’il a mis dans nos voiles lors de nos navigations singulières.

Elisabeth Maurel-Arrighi


Certains d’entre vous sont comme moi d’une autre époque.
Une figure de la médecine générale et de notre époque s’est éteinte il y a deux jours, tranquillement dans son lit : Jean Carpentier.
Je pense à lui avec beaucoup de joie et de bons souvenirs.

Jean-Pierre Aubert


C’est toute notre jeunesse, depuis le tract « apprenons à faire l’amour », lu quand j’étais au lycée, jusqu’à nos discussions sur les traitements de substitution… c’était un gars sympa, et un homme bien, il va nous manquer.
D’autres le connaissent mieux que moi, avec « l’école dispersée de santé »
Que de chemin on a fait avec ces précurseurs et compagnons de route… ! on leur doit beaucoup.

Martine Lalande


Ce n’est pas tant sa mort qui m’attriste, encore que j’en sois triste,
mais tant de « paradoxes » qu’il a soulevé et qui me restent mystérieux. J’ai beaucoup appris de lui, bien que ne l’ayant pas vraiment fréquenté.

Philippe Lorrain


Jean Carpentier a eu beaucoup d’importance pour beaucoup d’entre nous et pour plein de personnes. Je ne le connaissais pas personnellement. Je le vois comme un défricheur qui a ouvert énormément de chemins, quelqu’un qui avait un autre regard que le regard dominant sur le soin, la santé, les « patients », qui a mis en pratique ce qu’il pensait important (rapport aux patients, contraception, toxicomanie pour ne citer que ceux là). Tout cela était porté par Jean Carpentier, mais aussi par son associée Clarisse Boisseau et je me rappelle encore la soirée que notre groupe nantais de formation continu a passé avec elle autour de la substitution et des soins aux toxicomanes.

Marie Kayser


Le tract j’étais peut-être déjà étudiant, je m’en souviens très bien, comme d’une belle parole, une ouverture dans un discours sociétal coincé, TANKONALASANTE j’y étais abonné, et puis la rencontre autour du SMG avec la valise, tout cela me reste comme quelque chose de lumineux dans ma vie professionnelle, parce que inféodé à rien, c’est ce qui me semble le mieux qualifier le personnage de Jean CARPENTIER.

Christian Bonnaud

mercredi 16 juillet 2014, par revue Pratiques


Nos remerciements à Patrice Berton qui a bien voulu nous communiquer les documents d’archives joints, concernant la condamnation de Jean Carpentier par l’Ordre des médecins en 1972

Documents joints

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