La rédaction tient à rendre hommage à Sylvie Cognard, médecin généraliste membre du SMG de la première heure et membre lumineuse de la rédaction de Pratiques depuis aussi longtemps que l’on s’en souvienne.
Voici la lettre que nous avait écrit Sylvie après sa tentative de suicide l’année dernière. Cette fois, elle s’est échappée pour de bon….
Jeudi 27 avril au soir j’avalais une potion pour redevenir poussière dans le vent et conclure ma vie sur le mot FIN en lettres d’or. Je trouvais que 70 ans sur cette terre c’était bien, que j’avais partagé beaucoup d’amour et de bonheur et que celles et ceux qui m’aimaient se consoleraient avec les souvenirs. J’avais beaucoup donné et j’avais envie de mourir calmement pour moi seule, profiter de mon ultime liberté... Je n’explique pas comment mon corps à résisté, cela n’a tenu sans doute qu’à quelques minutes... Derrière la page avec le mot FIN, il s’en est ouverte une autre : blanche... de façon inattendue. Je ne sais pas encore de quelle façon je vais l’illustrer. Une sorte de renaissance... Ma mémoire des événements n’a repris que depuis le 9 mai.
Merci à toutes et tous de vos messages, de vos gestes, de vos paroles, de vos visites toute cette tendresse et cet amour que vous m’avez prodigué.
Je passe donc ce week-end avec ma douce Sonia je remets doucement un pied devant l’autre, je ne suis pas croyante mais toujours est-il que l’on n’a pas voulu de moi de l’autre côté, peut-être trop peur que je mette le bazar !
Je reprends place à vos côtés, je vais prendre mon temps pour philosopher sur le sens de la vie et me « réparer » comme mon petit-fils Isaac me l’a souhaité.
Mille bisous.
S’île vie
Alias Groseille
Mamie Groseille,
Tu adorais que tes petits enfants t’appellent comme ça... Pour moi, tu étais plutôt Petite pomme, parce que tes deux joues bien lisses... comme une petite pomme. Je vais relire Chienne de vie, tes nouvelles de Toubib de cité, parce que ce sera ta voix. Je sais que tu te souviens de nos week-ends et de nos semaines d’écriture dans toute la France. Tous, nous en gardons un souvenir ému, alors toi aussi. Ma petite Sylvie, tu voulais penser qu’un enfant est une gentille créature pleine de candeur et d’innocence et tu pestais contre Freud, et je te disais non non non ! Tu savais des tas de choses sur la question des violences faites aux femmes, tu connaissais les chiffres et tu avais raison. Tu m’as saoulée avec les Gilets Jaunes, mais j’étais bien contente de te prêter ma maison pour que tu y viennes avec toute ta bande, que vous changiez le monde une bonne fois pour toute et qu’on n’en parle plus. Tu as failli venir piquer ma mère qui voulait en finir, et puis qui n’a plus voulu. De cela, je te serai toujours redevable... Quand on apprenait la mort de quelqu’un qu’on aimait bien, tu disais, il est au milieu des pâquerettes...
Puisses-tu te la couler douce avec le Rémy et effeuiller les marguerites avec lui. Les pâquerettes plutôt, tu as toujours été humble...
Je t’embrasse bien fort ainsi que le Rémy.
Isabelle
Sylvie,
J’aimais bien ton petit air décalé, tes tenues improbables, ta façon de parler, et ton sourire…
Même si je suis arrivée un peu plus tard dans le club de la rédaction de Pratiques, j’ai eu le temps de vivre quelques petites aventures avec toi. La tenue de tables aux Glières, et la traque des Pinçon-Charlot, pour enfin arriver à faire un entretien avec eux. La nuit passée dans un chalet caché au milieu de la forêt, où il a fallu s’entasser, Anne, toi et moi sur des soi-disant matelas. Tu as bien voulu échanger le tien avec le mien qui faisait penser à la barre du siège arrière des deux chevaux.
Lorsque j’ai été confrontée à des décisions difficiles à prendre pour des proches, tu m’as écoutée, conseillée, soutenue et accompagnée, mobilisant tes savoirs et l’expérience accumulée dans ta pratique.
J’ai aussi aimé te lire, ton livre sur ta pratique de médecin, celui sur tes parents et ta famille, sans oublier ta participation au Lavadonf…
Merci pour ce bout de route à tes côtés, je garde ton sourire, ton écoute, ton énergie… et salue bien Rémy
Françoise
« ...toujours est-il que l’on n’a pas voulu de moi de l’autre côté, peut-être trop peur que je mette le bazar ! »
Une consolation dans cette tristesse, Sylvie qui arrive devant Saint-Pierre et qui exige de voir les autorités compétentes : Dis-donc, Pierrot, appelle-moi le directeur, parce que c’est grave le bordel en bas. Même que j’ai quelques questions à lui poser !
1 - Pourquoi toute cette souffrance ?
2 - Pourquoi la tartine de confiture se renverse du mauvais côté quand elle tombe sur le carrelage ?
3 - Pourquoi le prix du pain augmente lorsque celui de la farine diminue ?
... bon, d’accord, cette année la récolte de blé a été plutôt foireuse, mais bon.
Sans compter qu’il y a déjà un putain de problème au départ, au niveau de la conception : c’est quoi cette espérance de vie minable, cette obsolescence programmée à la con ? T’es à peine née que tu commences à te déglinguer tout doucement ; tous ces gens qui partent en cacahuète sans prévenir... tu essayes de les aimer et ils te filent entre les doigts... ppfffiiitt... ça y est, ils sont partis. Dieu sait où.
Donc, TU sais où ! Alors, tu vas m’expliquer pourquoi, et pas plus tard que tout de suite, sinon je t’organise une manif qu’à côté, les Gilets jaunes paraîtront aussi vindicatifs que des palourdes anorexiques ! Nanméo. Tous ensemble, tous ensemble !
Vas-y Sylvie ! Fous-moi en l’air le politiquement correct céleste.
En attendant, je te fais deux grosses bises sur tes bonnes joues et je te dis à un de ces jours.
SMMAAACK... on t’aime, ma grande.
Didier
Ma chère Sylvie qui a choisi de nous quitter ce 14 août 2024
J’ai eu besoin de quelques jours pour t’envoyer un petit message sur la toile dont tu te méfiais comme de la peste, avec raison, mais comme on ne sait pas où elle s’arrête, peut-être te parviendra-t-il...
Tu nous fais beaucoup de peine, à ta famille d’abord évidemment qui t’avait déjà rattrapée par le fond de la culotte le 27 avril 2023, mais aussi à nous tous qui t’aimions de près et de loin, chacun à notre manière. Je savais que tu étais en sursis depuis ta première tentative et que tu tiendrais autant que tu pourrais pour tes enfants et petits-enfants chéris, mais j’avais compris que le ressort de ta vie était brisé. Tu me l’as répété aussi souvent que nous nous sommes parlé ces derniers mois. On se connaissait depuis longtemps et avons partagé beaucoup de moments chaleureux, jusqu’aux dortoirs comme celui improbable aux fins fonds des montagnes dont Françoise se souvient. Tu as été de tous les combats pour l’accès de tous à des soins juste humains, mais pas seulement… Les injustices t’ont toujours fait monter au créneau et comme elles ne cessent de se multiplier, tu as fini par arriver à saturation. Tu n’étais pas faite pour ce monde impitoyable où les cœurs purs survivent difficilement. Et puis tu as rencontré Rémy, ta belle âme sœur, aussi acharné que toi et je t’ai vu heureuse lors de notre voyage en Grèce avec le SMG. Ta déception et la sienne de voir tous vos rêves s’évanouir au fur et à mesure de la dégradation politique de notre système solidaire t’a profondément atteinte et tu as commencé à envisager de disparaître, ce que vous vouliez faire tous les deux ensemble. Depuis la mort désespérante de Rémy, le terrible gâchis de sa fin de vie que tu as accompagnée avec la constance et l’intelligence du cœur qui te caractérisaient, plus rien ne te semblait valoir la peine de te battre.
Je veux garder de toi nos fous rires aux comités de rédaction et lors de nos ateliers d’écriture, un coup chez l’un, un coup chez l’autre, mais surtout le plaisir de voir émerger les nouvelles que nous écrivions et commentions les uns les autres avec intérêt, respect du style de chacun et chacune…
Je ne partageais pas ton désespoir, mais tu me manqueras à jamais.
Embrasse ceux qui sont partis avant toi, Rémy bien sûr, mais aussi Patrice Muller auquel je pense souvent. Plein de bisous mouillés sur tes belles joues rouges.
Anne
Veille sur nous là-haut, tu verras, ce monde sera de nouveau beau !
MO
L’INTRÉPIDE
Sylvie savait très exactement ce qu’elle voulait. Et ce qu’elle voulait se lit dans l’histoire de sa vie autant que dans ses ouvrages et ses textes. À livre et à cœur ouverts.
Son visage aux pommettes hautes, son grand sourire carré, sa voix chantante, signaient une présence claire, intrépide … mais à mille lieues du moindre appétit de pouvoir, qu’elle savait bien déceler, y compris chez les plus proches.
Intrépide, elle l’a été dans tous ses engagements, aussi bien comme médecin d’une banlieue où elle défendait obstinément l’accès aux soins, comme militante du SMG et contributrice de la revue Pratiques à laquelle nous participions ensemble, qu’auprès des exilés et des racisés, ou en s’exposant avec les Gilets jaunes aux violences policières, aux gaz et aux matraques, de façon radicale et déterminée. Mais, contrairement à ce que laissait entendre son patronyme, il n’y avait pas en elle une once de brutalité. Résistante plutôt que battante, si elle défendait – dans la ligne de Don Helder Camara auquel elle se référait souvent – un authentique droit à la violence pour les opprimés, elle s’interdisait elle-même d’y recourir.
À l’encontre de toute notabilité médicale, Sylvie avait la puissante conviction d’appartenir eu peuple, au sens le plus populaire du terme, et le revendiquait pour sa famille en se dénommant elle-même « mamie Groseille » (en référence au clan prolétaire et déjanté du film de Chatiliez). Dans ses affiliations militantes, en interne, Sylvie refusait les conflits et ne supportait pas de s’affronter aux personnes dont elle avait pu être proche … même quand elles lui faisaient, comme elle le disait elle-même, « avaler des couleuvres ». Son maître-mot, c’était un sens inébranlable du collectif. Et pourtant, quelle obstination dans un quant à soi dont elle ne s’est jamais départie : c’est ce mixte de passion du partage et de forte intériorité, d’ouverture fraîche et franche et de sens du secret, qui faisait Sylvie. Et pouvait, dans la transparence de ses choix, la rendre aussi parfaitement opaque.
Le moteur de Sylvie, c’était, un peu comme pour tout le monde, mais très spécifiquement et très radicalement pour elle, ce mot qui la faisait vibrer dans toute la diversité de ses sens et de ses applications : l’amour. Quelque chose qui fait lien et rend la force commune indestructible. Au sens le plus strict, elle l’avait trouvé avec Rémy. Et cette passion-là ne l’a jamais quittée. Rémy était véritablement devenu son centre de gravité, comme elle était aussi le sien. Deux belles figures, très différentes, qui partageaient des engagements forts et une intensité commune. Avant la disparition de Rémy, survenue en 2023, Sylvie, qui l’accompagnait nuit et jour depuis sa maladie, avait écrit en 2022 un texte militant pour le droit à mourir dans la dignité. Elle l’avait étrangement intitulé « Mourir d’aimer ». Le titre ne collait pas avec le sujet du texte. Mais il colle parfaitement avec la mort qu’elle a choisi, elle, de se donner. En intrépide.
Christiane