La rédaction tient à rendre hommage à Sylvie Cognard, médecin généraliste membre du SMG de la première heure et membre lumineuse de la rédaction de Pratiques depuis aussi longtemps que l’on s’en souvienne.
Voici la lettre que nous avait écrit Sylvie après sa tentative de suicide l’année dernière. Cette fois, elle s’est échappée pour de bon….
Jeudi 27 avril au soir j’avalais une potion pour redevenir poussière dans le vent et conclure ma vie sur le mot FIN en lettres d’or. Je trouvais que 70 ans sur cette terre c’était bien, que j’avais partagé beaucoup d’amour et de bonheur et que celles et ceux qui m’aimaient se consoleraient avec les souvenirs. J’avais beaucoup donné et j’avais envie de mourir calmement pour moi seule, profiter de mon ultime liberté... Je n’explique pas comment mon corps à résisté, cela n’a tenu sans doute qu’à quelques minutes... Derrière la page avec le mot FIN, il s’en est ouverte une autre : blanche... de façon inattendue. Je ne sais pas encore de quelle façon je vais l’illustrer. Une sorte de renaissance... Ma mémoire des événements n’a repris que depuis le 9 mai.
Merci à toutes et tous de vos messages, de vos gestes, de vos paroles, de vos visites toute cette tendresse et cet amour que vous m’avez prodigué.
Je passe donc ce week-end avec ma douce Sonia je remets doucement un pied devant l’autre, je ne suis pas croyante mais toujours est-il que l’on n’a pas voulu de moi de l’autre côté, peut-être trop peur que je mette le bazar !
Je reprends place à vos côtés, je vais prendre mon temps pour philosopher sur le sens de la vie et me « réparer » comme mon petit-fils Isaac me l’a souhaité.
Mille bisous.
S’île vie
Alias Groseille
Mamie Groseille,
Tu adorais que tes petits enfants t’appellent comme ça... Pour moi, tu étais plutôt Petite pomme, parce que tes deux joues bien lisses... comme une petite pomme. Je vais relire Chienne de vie, tes nouvelles de Toubib de cité, parce que ce sera ta voix. Je sais que tu te souviens de nos week-ends et de nos semaines d’écriture dans toute la France. Tous, nous en gardons un souvenir ému, alors toi aussi. Ma petite Sylvie, tu voulais penser qu’un enfant est une gentille créature pleine de candeur et d’innocence et tu pestais contre Freud, et je te disais non non non ! Tu savais des tas de choses sur la question des violences faites aux femmes, tu connaissais les chiffres et tu avais raison. Tu m’as saoulée avec les Gilets Jaunes, mais j’étais bien contente de te prêter ma maison pour que tu y viennes avec toute ta bande, que vous changiez le monde une bonne fois pour toute et qu’on n’en parle plus. Tu as failli venir piquer ma mère qui voulait en finir, et puis qui n’a plus voulu. De cela, je te serai toujours redevable... Quand on apprenait la mort de quelqu’un qu’on aimait bien, tu disais, il est au milieu des pâquerettes...
Puisses-tu te la couler douce avec le Rémy et effeuiller les marguerites avec lui. Les pâquerettes plutôt, tu as toujours été humble...
Je t’embrasse bien fort ainsi que le Rémy.
Isabelle
Sylvie,
J’aimais bien ton petit air décalé, tes tenues improbables, ta façon de parler, et ton sourire…
Même si je suis arrivée un peu plus tard dans le club de la rédaction de Pratiques, j’ai eu le temps de vivre quelques petites aventures avec toi. La tenue de tables aux Glières, et la traque des Pinçon-Charlot, pour enfin arriver à faire un entretien avec eux. La nuit passée dans un chalet caché au milieu de la forêt, où il a fallu s’entasser, Anne, toi et moi sur des soi-disant matelas. Tu as bien voulu échanger le tien avec le mien qui faisait penser à la barre du siège arrière des deux chevaux.
Lorsque j’ai été confrontée à des décisions difficiles à prendre pour des proches, tu m’as écoutée, conseillée, soutenue et accompagnée, mobilisant tes savoirs et l’expérience accumulée dans ta pratique.
J’ai aussi aimé te lire, ton livre sur ta pratique de médecin, celui sur tes parents et ta famille, sans oublier ta participation au Lavadonf…
Merci pour ce bout de route à tes côtés, je garde ton sourire, ton écoute, ton énergie… et salue bien Rémy
Françoise
« ...toujours est-il que l’on n’a pas voulu de moi de l’autre côté, peut-être trop peur que je mette le bazar ! »
Une consolation dans cette tristesse, Sylvie qui arrive devant Saint-Pierre et qui exige de voir les autorités compétentes : Dis-donc, Pierrot, appelle-moi le directeur, parce que c’est grave le bordel en bas. Même que j’ai quelques questions à lui poser !
1 - Pourquoi toute cette souffrance ?
2 - Pourquoi la tartine de confiture se renverse du mauvais côté quand elle tombe sur le carrelage ?
3 - Pourquoi le prix du pain augmente lorsque celui de la farine diminue ?
... bon, d’accord, cette année la récolte de blé a été plutôt foireuse, mais bon.
Sans compter qu’il y a déjà un putain de problème au départ, au niveau de la conception : c’est quoi cette espérance de vie minable, cette obsolescence programmée à la con ? T’es à peine née que tu commences à te déglinguer tout doucement ; tous ces gens qui partent en cacahuète sans prévenir... tu essayes de les aimer et ils te filent entre les doigts... ppfffiiitt... ça y est, ils sont partis. Dieu sait où.
Donc, TU sais où ! Alors, tu vas m’expliquer pourquoi, et pas plus tard que tout de suite, sinon je t’organise une manif qu’à côté, les Gilets jaunes paraîtront aussi vindicatifs que des palourdes anorexiques ! Nanméo. Tous ensemble, tous ensemble !
Vas-y Sylvie ! Fous-moi en l’air le politiquement correct céleste.
En attendant, je te fais deux grosses bises sur tes bonnes joues et je te dis à un de ces jours.
SMMAAACK... on t’aime, ma grande.
Didier
Ma chère Sylvie qui a choisi de nous quitter ce 14 août 2024
J’ai eu besoin de quelques jours pour t’envoyer un petit message sur la toile dont tu te méfiais comme de la peste, avec raison, mais comme on ne sait pas où elle s’arrête, peut-être te parviendra-t-il...
Tu nous fais beaucoup de peine, à ta famille d’abord évidemment qui t’avait déjà rattrapée par le fond de la culotte le 27 avril 2023, mais aussi à nous tous qui t’aimions de près et de loin, chacun à notre manière. Je savais que tu étais en sursis depuis ta première tentative et que tu tiendrais autant que tu pourrais pour tes enfants et petits-enfants chéris, mais j’avais compris que le ressort de ta vie était brisé. Tu me l’as répété aussi souvent que nous nous sommes parlé ces derniers mois. On se connaissait depuis longtemps et avons partagé beaucoup de moments chaleureux, jusqu’aux dortoirs comme celui improbable aux fins fonds des montagnes dont Françoise se souvient. Tu as été de tous les combats pour l’accès de tous à des soins juste humains, mais pas seulement… Les injustices t’ont toujours fait monter au créneau et comme elles ne cessent de se multiplier, tu as fini par arriver à saturation. Tu n’étais pas faite pour ce monde impitoyable où les cœurs purs survivent difficilement. Et puis tu as rencontré Rémy, ta belle âme sœur, aussi acharné que toi et je t’ai vu heureuse lors de notre voyage en Grèce avec le SMG. Ta déception et la sienne de voir tous vos rêves s’évanouir au fur et à mesure de la dégradation politique de notre système solidaire t’a profondément atteinte et tu as commencé à envisager de disparaître, ce que vous vouliez faire tous les deux ensemble. Depuis la mort désespérante de Rémy, le terrible gâchis de sa fin de vie que tu as accompagnée avec la constance et l’intelligence du cœur qui te caractérisaient, plus rien ne te semblait valoir la peine de te battre.
Je veux garder de toi nos fous rires aux comités de rédaction et lors de nos ateliers d’écriture, un coup chez l’un, un coup chez l’autre, mais surtout le plaisir de voir émerger les nouvelles que nous écrivions et commentions les uns les autres avec intérêt, respect du style de chacun et chacune…
Je ne partageais pas ton désespoir, mais tu me manqueras à jamais.
Embrasse ceux qui sont partis avant toi, Rémy bien sûr, mais aussi Patrice Muller auquel je pense souvent. Plein de bisous mouillés sur tes belles joues rouges.
Anne
Veille sur nous là-haut, tu verras, ce monde sera de nouveau beau !
MO
L’INTRÉPIDE
Sylvie savait très exactement ce qu’elle voulait. Et ce qu’elle voulait se lit dans l’histoire de sa vie autant que dans ses ouvrages et ses textes. À livre et à cœur ouverts.
Son visage aux pommettes hautes, son grand sourire carré, sa voix chantante, signaient une présence claire, intrépide … mais à mille lieues du moindre appétit de pouvoir, qu’elle savait bien déceler, y compris chez les plus proches.
Intrépide, elle l’a été dans tous ses engagements, aussi bien comme médecin d’une banlieue où elle défendait obstinément l’accès aux soins, comme militante du SMG et contributrice de la revue Pratiques à laquelle nous participions ensemble, qu’auprès des exilés et des racisés, ou en s’exposant avec les Gilets jaunes aux violences policières, aux gaz et aux matraques, de façon radicale et déterminée. Mais, contrairement à ce que laissait entendre son patronyme, il n’y avait pas en elle une once de brutalité. Résistante plutôt que battante, si elle défendait – dans la ligne de Don Helder Camara auquel elle se référait souvent – un authentique droit à la violence pour les opprimés, elle s’interdisait elle-même d’y recourir.
À l’encontre de toute notabilité médicale, Sylvie avait la puissante conviction d’appartenir eu peuple, au sens le plus populaire du terme, et le revendiquait pour sa famille en se dénommant elle-même « mamie Groseille » (en référence au clan prolétaire et déjanté du film de Chatiliez). Dans ses affiliations militantes, en interne, Sylvie refusait les conflits et ne supportait pas de s’affronter aux personnes dont elle avait pu être proche … même quand elles lui faisaient, comme elle le disait elle-même, « avaler des couleuvres ». Son maître-mot, c’était un sens inébranlable du collectif. Et pourtant, quelle obstination dans un quant à soi dont elle ne s’est jamais départie : c’est ce mixte de passion du partage et de forte intériorité, d’ouverture fraîche et franche et de sens du secret, qui faisait Sylvie. Et pouvait, dans la transparence de ses choix, la rendre aussi parfaitement opaque.
Le moteur de Sylvie, c’était, un peu comme pour tout le monde, mais très spécifiquement et très radicalement pour elle, ce mot qui la faisait vibrer dans toute la diversité de ses sens et de ses applications : l’amour. Quelque chose qui fait lien et rend la force commune indestructible. Au sens le plus strict, elle l’avait trouvé avec Rémy. Et cette passion-là ne l’a jamais quittée. Rémy était véritablement devenu son centre de gravité, comme elle était aussi le sien. Deux belles figures, très différentes, qui partageaient des engagements forts et une intensité commune. Avant la disparition de Rémy, survenue en 2023, Sylvie, qui l’accompagnait nuit et jour depuis sa maladie, avait écrit en 2022 un texte militant pour le droit à mourir dans la dignité. Elle l’avait étrangement intitulé « Mourir d’aimer ». Le titre ne collait pas avec le sujet du texte. Mais il colle parfaitement avec la mort qu’elle a choisi, elle, de se donner. En intrépide.
Christiane
Salut Sylvie
C’est un mail de Marie Kaiser, fin août, qui m’a appris ta mort.
Je m’étais dit que j’écrirai un petit mot. Quel « corps » lui donner ?
Tu fais sans aucun doute partie d’un des épisodes le plus chaleureux de ma vie militante : ma rencontre avec le SMG. Nous nous sommes donc rencontrés à l’occasion d’activités militantes, dans des groupes plus ou moins nombreux.
Mais il y a une réunion moins « nombreuse », moins « militante », ton anniversaire je crois (j’espère ne pas me tromper...) il y a une dizaine d’années. A cette occasion tu avais évoqué une histoire familiale qui nous « rapprochait ». J’avais compris que ta Maman venait de Yougoslavie, tu devinais que j’avais, moi aussi, des parents venus de ce côté là. Je n’ai pas souvenir que nous ayons eu le temps d’être beaucoup plus précis...
Je venais d’apprendre ton décès. J’ai eu envie de lire le livre que tu avais consacré à tes parents : « Jean et Zlata ». Et c’était une bonne idée. Merci de l’avoir écrit.
Je l’ai lu et je suis tombé, au grè des pages, sur tant de « points communs » et aussi tant de différences....
Ta maman est née en Yougoslave. Mon papa est né dans le 14° arrondissement de Paris. C’est son père à lui qui venait d’Ukraine (Empire Russe à l’époque) et sa mère de Biélorussie (Empire Russe aussi). Cela donne que dans ton livre tes parents retournent en Yougoslavie, et toi avec eux. (même si ces retours ne sont ni nombreux ni faciles). Il y a des tantes et des cousins Yougoslaves. Alors que mon père n’avait gardé aucun contact avec de la famille en Russie (Il y avait encore une famille en Russie ?) et que les seuls cousins avec lesquels nous avons encore quelques contacts sont des cousin américains (du coté de Philadelphie) du coté de ma grand-mère …
Mon grand-père réfugié en France après la révolution de 1905 (il était Menchevik) était retourné en Russie en 1917 (traverser l’Europe en guerre...) pour participer à la construction de la jeune République Russe et avait dû quitter la Russie en 1920 chassé par la mise en place de la dictature Bolchevique. Il avait fait les démarches pour devenir français et avait demandé que ses enfants « jouissent de la qualité de Français ».
Ta Maman conserve le lien avec la langue de son enfance. Du coté de mon Papa la langue aussi à disparu. Petit, mon père se veut français, comme Cavanna dans « Les Ritals ».
Avant la guerre tes parents sont des militants de gauche (pas loin du PCF) mon père est très absorbé par le mouvement des Auberges de Jeunesses (aucune allusion aux A.J. dans « Jean et Zlata ») et milite syndicalement et politiquement (Gauche du PS : Marceau Pivert). J’ai cherché des moments où ils auraient pu se croiser...
Mon père fait la guerre à St Loup / Thouet – Deux Sèvres (le « pourquoi » est une histoire un peu longue à raconter ici). Ma mère participe (sans bien se rendre compte des dangers qu’elle court) à la manifestation du 11 novembre 1940.
Tes parents se marient en juin 1940, ce qui n’est pas banal.... Mes parents se marient en décembre 1941. Pour pouvoir se marier à l’église (Catholique) mon père doit auparavant se faire baptiser « Orthodoxe »...
Immédiatement après leur mariage tes parents fuient vers le Sud. Mes parents passent la « Ligne » en juillet 1942. Et tout le monde se « retrouve » à Lyon. Est-il possible qu’ils se soient croisés à Lyon ?? Ils y étaient dans la même période. Mais Lyon est une grande ville.
L’histoire de la guerre de mes parents est une longue liste de « bons géants ». Par les liens militants tressés avant guerre mon Père, et donc ma mère, vont être protégés, pris en charge, par un long cortège de Solidarité. Leurs noms forment un longue guirlande qui a protégé mon enfance : Saumonneau, Chaumeron, Génévrier, Durour, Baldacci...
« Détail » intéressant. Ton Papa, à Lyon travaille à « l’Office Central de la répartition des produits industriels (OCRPI), section bois » à Lyon, Mon Papa, à St Etienne, où ils arrivent après leur passage à Lyon, travaille à « l’Office central du travail des métaux ». Le patron de cet Office est un vichiste « modéré ». Il sait très bien, par la personnalité des personnes qui lui ont demandé cette embauche, que Papa est un clandestin. Mais prudent, en embauchant ce clandestin il prépare, au cas où, la suite qui pourrait ne pas être vichiste... Maman trouve un poste d’institutrice.
Quand l’armée américaine arrive à St Etienne il faut trouver une personne capable de la guider dans son défilé dans la ville. Mon papa, F.T.P., est désigné pour cette mission (il en gardait un souvenir très moyen).
Ta Maman accouche, et ce n’est pas simple. A St Etienne Maman accouche de ma grande sœur (1943) et de mon frère (1945). J’ai réalisé, en lisant ton livre, qu’il n’y avait aucun récit de ces accouchements dans mon récit familial.
Après guerre ils vont revenir à Paris et trouverons à se loger dans un « appartement de fonction » (au dernier étage de l’Ecole, destiné en théorie au/à la directeur/trice) en si mauvais état que la Directrice de l’Ecole refuse de l’occuper. Je nais à Paris (1947) et ma petite sœur aussi (1948). Plus tard, beaucoup plus tard, quand nous sommes des adultes déjà « chargés de famille » nous apprendrons qu’il y a eu 2 avortements. Mais comme « la fuite » pendant la guerre ces avortements sont réalisés dans un réseau de médecins militants ( docteur Martinet)
Et bien sûr quand nous grandissons, nous les enfants, nous allons, avec eux bien sûr, au TNP (nous sommes-nous trouvés tous les deux, toi Sylvie, et moi à une même séance du TNP ? Il y avait du monde au TNP... Et nous écoutions Brassens et les Frères Jacques (mais pas Yvette Guilbert)
Papa milite dans des petits groupes qui prétendent maintenir l’idée du Socialisme face aux mensonges Staliniens.
Tu te souviens de l’émotion de ta Maman à la lecture du Docteur Jivago. Papa ne faisait pas de longs discours mais il m’a toujours parlé des crimes de Staline.
Il y a, évidemment aussi, la guerre d’Algérie. Papa, et Maman donc, hébergent à la maison un avocat du M.N.A. menacé à la fois par la police française et par le F.N.L. Un soir, je reviens de l’école, le palier devant la porte de la maison est tout encombré de hautes piles de livres. Ce sont des exemplaires de « La question » édités par les Editions de Minuit. Gérôme Lindon sait que le livre va être « saisi » par la police. On en a fait imprimer par des imprimeries situées hors de France, on a trouvé des militants qui pouvaient en stocker le plus possible.
Voilà, plein de ressemblances, et des différences. J’ai cherché des noms, des personnages, qui auraient indiqué des liens plus précis. Je n’ai pas trouvé.
Juste un détail, qui n’en est pas complètement un. Papa est membre du Groupe qui édite la « Révolution Prolétarienne ». Après les créateurs : Monatte, Rosmer, un des animateurs est Raymond Guilloré (un personnage très important pour Papa. Raymond vit avec Charlotte. Charlotte a eu un enfant avec Vojisla Vukovic, militant communiste Yougoslave exécuté en Union soviétique lors des purges staliniennes. En 1936 elle a épousé Raymond. Ce fils est devenu acteur sous le noms de Michel Auclair. Quand j’étais enfant nous passions au moins une fois par an dans la jolie maison que Charlotte et Raymond occupent dans le sud. C’est la maison de Michel Auclair (que nous ne voyions pas...). La Yougoslavie arrive par là où on ne l’attendait pas.
Et puis, j’allais oublier. Tu parles de « Berthe », une dame qui les accueille quand ce n’était pas évident d’accueillir, et tu dis que tu n’aimes pas « qu’on se moque des personnes qui s’appellent Berthe ». Ma Maman s’appelait Berthe. Et ,plus loin, tu dis que Zlata lisait (et relisait) « Les Merveilleux voyages de Nils Holgerson ». Je ne t’ai même pas montré les magnifiques dessins que Maman a fait, en école maternelle, autour des voyages de Nils...
Voilà. Merci Sylvie pour « Jean et Zlata ». Parce que ce livre raconte des choses, et des époques, qui ont pas mal de résonance pour moi j’aurai dû le lire plus tôt. Mais de l’avoir lu juste après ta mort a peut-être donné plus de forces à ces souvenirs.
Pierre
Strasbourg, le 25 septembre 24
Chère famille,
Sylvie a décidé de partir et nous laisse sans voix mais en même temps elle nous impose un respect et une tendresse immenses.
Elle nous fait confiance en nous encourageant à poursuivre le chemin et elle nous fait confiance aussi en étant convaincue que nous saurons la laisser partir.
La mort s’impose à nous, insaisissable, insensible, péremptoire et cynique.
Mais aussi, peut-être, comme la marque puissante d’une intemporalité à laquelle chacun aspire.
Intemporalité de l’amour (de la haine parfois aussi) de la mémoire, de l’espérance et de l’enthousiasme.
Au-delà de la douleur.
Au-delà de la stupeur.
Au-delà de l’isolement et de la solitude dans lesquels nous plonge la confrontation à l’absence de celle qui s’en est allée.
Et cette étrange découverte : celle qui rend omniprésent, à notre cœur et à notre esprit, celle que la mort a emportée.
Que la mémoire se mette à l’ouvrage et préserve l’œuvre de l’absente afin de poursuivre inlassablement l’œuvre collective.
Nous sommes émus par la détermination douloureuse et irréductible de Sylvie.
Emus d’avoir pu aborder la question de l’euthanasie volontaire dans Pratiques.
Gageons que son petit fils Isaac continuera à garder la capacité de vivre et "de rire".
Quel meilleur hommage de nos 4 mains que ce texte « prémonitoire » rapporté de Grèce qui nous invite à poursuivre les luttes politiques, sociales et psycho-affectives.
« Pour un Tribunal Russell pour la Grèce ?
La solidarité pour seule arme contre l’austérité »
Nous nous sommes joints, ma femme Anja et moi-même, à un voyage d’études et de partages organisé par le Syndicat de la médecine générale (SMG) [1] et l’Union syndicale de la psychiatrie (USP) [2], dont je suis membre, qui a eu lieu du 1 au 7 novembre derniers.
Ce compte-rendu du voyage complète, je m’en rends bien compte, la chronique du n° 143 de la revue Espoir, de septembre 2011 : « Européens, nous sommes tous des Grecs » et celle du n° 146 de juin 2012 : « Je crois en la Justice Internationale ».
Nous sommes donc allés à Athènes découvrir le fonctionnement de dispensaires autogérés et rencontrer des réfugiés syriens et afghans hébergés dans des camps, installés dans les complexes sportifs abandonnés depuis les J.O. de 2004.
Les Grecs sont à genoux. Je veux parler des classes populaires. Les autres sont encore à l’abri. Les services publics ne parviennent plus à assurer leurs missions, notamment dans les hôpitaux que nous avons visités. L’importance du préjudice reste à déterminer avec plus de précision.
Les familles font interner leurs malades pour être sûres d’obtenir une consultation et un traitement spécialisé en psychiatrie. Les médecins fuient leur pays pour gagner leur vie, dévalorisée au pays.
Certains grecs parlent, à tort, de « génocide ».
D’où notre idée de suggérer la mise sur pied d’un Tribunal Russell [3] pour la Grèce contre la « Troïka » (Commission Européenne, Banque Centrale Européenne et Fond Monétaire International) à laquelle s’ajoute le Mécanisme Européen de Stabilité [4] pour constituer « les créanciers ».
L’idée est radicale évidemment car « les torts » sont en partie partagés et les diktats de la Troïka peuvent favoriser la meilleure structuration administrative du pays et la lutte contre l’évasion fiscale. Il n’y a pas de cadastre en Grèce. Mais l’Europe devrait aller beaucoup plus loin, pensons-nous, pour éviter des drames sociaux aux effets dévastateurs avec effet boule de neige.
La Grèce risque de ne plus être autonome au niveau agricole et d’être à la merci des investisseurs étrangers, notamment allemands.
Le gouvernement Tsipras n’inspire plus vraiment confiance.
Nous nous sommes dits, au moment tragique des attentats de Paris du 13 novembre, qu’une telle situation catastrophique pouvait très bien être le terreau de futures vocations meurtrières.
Et pourquoi pas alors un scénario mortifère, qui nous ferait horreur, qui verrait de jeunes Grecs orthodoxes, « radicalisés », qui commettraient, dans dix ou vingt ans, des attentats (de l’entartrage à la fusillade) à Francfort, Berlin ou Hambourg, tant l’Allemagne est montrée du doigt dans sa volonté de faire « plier » la Grèce [5].
Alors que le gouvernement d’Alexis Tsipras a connu, depuis un an, sa première grève générale (soutenue par Syriza) le 12 novembre dernier, avons-nous noté Anja et moi, pour protester contre les nouvelles réformes exigées par « les créanciers » d’Athènes, en échange du plan d’aide de 86 milliards négocié pendant l’été, la solidarité s’organise. Dans les dispensaires sociaux autogérés, dans les lieux d’accueil pour réfugiés, des professionnels de la santé bénévoles pallient l’incapacité de l’Etat à protéger les plus fragiles.
Face à des restrictions budgétaires drastiques qui ont précipité les Grecs dans la pauvreté, la solidarité des bénévoles permet de venir en aide aux plus fragiles, notamment dans le domaine de la santé.
Depuis le début de la crise il y a cinq ans, la Grèce a vu son système d’assurance sociale se désintégrer par la chute brutale des fonds publics. Dans le domaine de la santé, les moyens et les salaires ont baissé de manière drastique, ce qui a déjà provoqué la fermeture de nombreux services hospitaliers et une fuite massive de médecins vers l’étranger, disions-nous, alors que le nombre de malades ne cesse d’augmenter.
Les prix de journée des hôpitaux publics et privés ne sont désormais remboursés par les caisses d’assurances qu’avec des retards de plusieurs mois, autant que les actes des praticiens privés… pour ceux qui sont encore assurés.
Les départs de personnels ne sont pas remplacés ; les médicaments essentiels comme les vaccins, les traitements anti-cancéreux, les psychotropes et les antidiabétiques manquent cruellement, entraînant un nombre incalculable de morts prématurées par défaut de soins.
La tuberculose et le sida progressent. Les taux de dépressions, de pathologies mentales et de toxicomanies sont en augmentation. De plus en plus de familles démunies n’ont comme dernier recours que de faire interner leurs malades en hôpitaux psychiatriques, s’ils y trouvent de la place : dans près de 50% des cas contre leur gré.
Dans ce contexte de désintégration sociale et de chômage, les suicides ont connu une hausse considérable de près de 30 % entre 2008 et 2011. Les violences intrafamiliales explosent, si on peut dire.
Face à cette situation humanitaire dramatique, de nombreux professionnels de la santé ont pris les choses en main pour pallier les carences de l’Etat et aider les plus fragiles. Une cinquantaine de dispensaires et de pharmacies autogérés ont vu le jour à travers la Grèce, dont la plupart organisés en réseau.
Des centres d’accueil pour réfugiés sont installés dans les anciens locaux des Jeux olympiques en banlieue d’Athènes. Des médecins généralistes, des pédiatres, des infirmières, des pharmaciens, parfois retraités, y assurent des permanences, bénévolement.
La générosité des Grecs fait le reste. De toutes part les dons matériels affluent : de la nourriture, des vêtements, des couches, des médicaments, redistribués aux près de 3 millions d’exclus de la sécurité sociale, aux réfugiés, pour la plupart syriens ou afghans qui viennent faire soigner leurs enfants et disposer du nécessaire avant de reprendre la route vers « l’Europe »… Vers une vie qu’ils espèrent meilleure.
Selon le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, plus de 800 000 personnes ont traversé la Méditerranée pour rejoindre l’Europe en 2015, dont la très grande majorité -660 700- est passée par la Grèce et les îles de la mer Egée. 3460 sont mortes ou portées disparues. Un drame aussi pour les habitants de ces îles, plutôt hospitaliers, impuissants et traumatisés à la vue des cadavres échoués sur leurs plages.
Pour le seul mois d’octobre, malgré les mauvaises conditions météorologiques, 210 000 personnes sont arrivées en Grèce, en majorité à Lesbos, principale porte d’entrée des réfugiés en Europe. L’île, débordée, continue en ce mois de novembre d’enregistrer 3 300 arrivées en moyenne par jour.
A notre grande et bonne surprise la solidarité s’est développée en direction des réfugiés malgré les restrictions.
On observe donc la destruction systématique (peut-on encore affirmer qu’elle n’est pas intentionnelle quand on constate l’ampleur des dégâts humains ?) de l’économie, de la gouvernance, de l’infrastructure de santé, des institutions d’enseignement et de l’intégrité culturelle grecques.
On observe la dégradation de la cohésion de la communauté et de la stabilité de la famille ainsi que la violation omniprésente des droits humains à la santé, à la culture et au logement notamment.
La Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque (Commission Vérité) a été créée le 4 avril 2015 suivant une décision prise par la Présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou, qui a confié la coordination scientifique de ses travaux à Eric Toussaint [6].
Sofia Tzitzikou, que nous avons rencontrée, qui est pharmacienne et militante d’un centre de santé autogéré à Athènes, a contribué au chapitre « mesures affectant le droit à la santé et ses violations », dont nous nous sommes beaucoup inspirés pour rédiger ce texte.
La Commission a qualifié la dette « d’illégitime et d’odieuse ».
Nul doute hélas que l’impératif sécuritaire actuel, après les attentats du 13 novembre, ne repousse l’urgence du règlement social de la crise grecque.
Une fois de plus « le peuple » (et les réfugiés) subira une double peine en risquant, de surcroît, d’ouvrir les bras (et un boulevard) à l’extrême-droite. »
Pouvons-nous vous confier ce magnifique poème d’Erich Mühsam qui nous a déjà tant de fois consolés et dynamisés, une fois la peine du deuil un peu estompée ?
Bonne route chère famille au-delà de la peine, de la douleur et du sentiment d’ abandon.
Merci pour ton engagement exemplaire auprès des plus vulnérables qui continuera à nous inspirer.
Tendrement et en adelphité.
Georges et Anja
Je ne l’ai connue qu’à travers de quelques réunions de Pratiques mais surtout lors de ce merveilleux voyage en Grèce qui nous a fait découvrir qu’une autre santé était possible, malgré le chaos et l’impérialisme économique, grâce à la solidarité populaire.
Bonne agitation céleste dans ce paradis illusoire et si tu peux faire savoir au monde qu’aucun dieu n’existe « ailleurs » ce serait sans doute la plus belle action militante !
Philippe , pour l’USP