Conflits d’intérêts : Philippe Foucras, président du FORMINDEP, répond à nos questions

P. Philippe Foucras, les abonnés de Pratiques vous connaissent bien, ainsi que le FORMINDEP, mais c’est peut-être moins le cas des visiteurs de notre site. Alors, pour eux tous, voulez vous bien nous dire pour commencer, quelques mots de votre parcours ? Qui êtes vous, Dr Foucras ?

Je suis médecin généraliste. J’ai exercé pendant une quinzaine d’années dans le Nord, en milieu très défavorisé, j’exerce maintenant depuis près de 2 ans dans une petite ville de Bourgogne. Dans le Nord, j’ai enseigné la médecine générale pendant 7 années avant de démissionner en 2004 devant les compromissions inacceptables des généralistes enseignants de la Faculté avec les firmes pharmaceutiques.
J’ai été l’initiateur du Collectif des médecins généralistes pour l’accès aux soins en 2003 (CoMeGAS) qui regroupe des généralistes soucieux de l’accès aux soins des leurs patients les plus fragiles. Le CoMeGAS a agi devant la Halde pour faire reconnaître les refus de soins aux plus pauvres comme discriminatoires. C’est une des premières et seules fois que la Halde se prononçait sur une discrimination « sociale » et pas uniquement ethnique ou communautaire.

P. Et le FORMINDEP ? Qu’est-ce exactement, qui en est à l’origine, quel y est votre rôle ?

En 2004, j’ai écrit et lancé « l’appel du Formindep » qui demandait aux membres des conseils nationaux de la formation médicale, nouvellement créés, de déclarer leurs liens d’intérêts avec l’industrie. Il me paraissait normal de savoir qui allait réellement gérer la formation médicale en France. Evidemment ces membres n’ont pas déclaré leurs liens avec les firmes, pourtant nombreux, mais en quelques mois plus de 700 médecins, essentiellement généralistes, signaient l’appel. Signe de l’existence d’une attente professionnelle sur cette question de la transparence, essentiellement issue de l’apport de la revue Prescrire.
Le Formindep était né, et se constituait en association loi 1901 en 2005. J’anime et je préside le Formindep depuis cette date. Je me retirerai lorsque les actions en cours auront abouti. Je déteste toute forme de pouvoir et de mise en avant des personnes. Je n’ai pas vocation à m’éterniser dans une structure. Les autres lieux de révolte sont nombreux dans la société actuelle.

P. Le FORMINDEP semble jouer de plusieurs canaux d’’action : l’’information du public et des professionnels, la formation des médecins, les auditions parlementaires et sénatoriales, les actions en justice, même ! Y a-t-il, parmi ces modes d’’action, certains qui vous sembleraient davantage à développer dans l’avenir ?

Il faut développer la prise de conscience citoyenne que les conflits d’intérêts en médecine sont un risque sanitaire majeur, de la même gravité si ce n’est pire, en terme de morbi-mortalité, que l’est par exemple le lavage des mains en chirurgie. L’ « hygiène » de l’information et de la formation médicales est le déterminant principal de la qualité des soins au 21ème siècle. Les médecins peuvent et doivent s’en protéger. Il s’agit d’un risque iatrogène évident et un jour la responsabilité des médecins sous influences sera recherchée dans les trop nombreuses fautes médicales dues à ces influences. Les médecins libérés des influences commerciales n’ont pas prescrit de Vioxx° autrefois, ne prescrivent pas aujourd’hui de rosiglitazone dans le diabète, épargnent ainsi des vies et des complications graves à leurs malades, sont économes de l’argent de la solidarité nationale.
Malheureusement, et la gestion de l’épidémie grippale l’a encore confirmé, les médecins sont trop englués dans leurs conflits d’intérêts, leurs certitudes, leur arrogance, pour s’en s’extraire par eux-mêmes, même quand on leur met sous les yeux les preuves scientifiques irréfutables de la nocivité de ces conflits. Seule une pression citoyenne et sociétale fera modifier les comportements des médecins et des autorités sanitaires.
Actuellement la médecine est en train de devenir plus nuisible que bénéfique à la société, du fait des influences que les médecins et les autorités sanitaires rechignent à combattre. On le voit à travers les scandales des dépistages du cancer du sein et de la prostate par exemple qui posent la question du surdiagnostic. Il faut travailler à cette prise de conscience politique et sociétale.
L’autre point d’action à développer dans l’avenir est celui de créer des liens.
Devant l’invasion totale, totalisante et totalitaire de l’hydre pharmaceutique, commercial et industriel dans la santé, avec la complicité active des professionnels et des autorités, les actions isolées de groupuscules comme le Formindep, même si elles font un peu avancer les choses, ne servent qu’à créer parfois un léger prurit chez ces envahisseurs et leurs collaborateurs, mais n’entravent pas vraiment la poursuite de la mainmise commerciale sur le soin. _ Il faut travailler à fédérer et à relier tout ceux qui ont compris le risque que cela représente pour la santé des populations, et qui le combattent. Aussi bien nationalement qu’internationalement. Mais là aussi, nous l’avons hélas expérimenté, dans ces groupuscules, les questions d’ego sont malheureusement aussi présentes et néfastes qu’elles le sont dans le milieu de l’expertise médicale sous influence.
Il y a donc du pain sur la planche.

P. Pour rendre les choses plus concrètes, pouvez-vous évoquer pour nous certains des combats du Formindep plus emblématiques : l’essai de l’ALLHAT dans le cadre d’hypertensions, l’application de l’article 26 sur les déclarations de conflit d’intérêt, les actions en justice en collaboration avec Que Choisir, les interventions sur la grippe A (circulaire Tamiflu)… De quels milieux ont émané les réticences les plus fortes et, inversement, quels sont les appuis que vous avez su trouver ?

Comme l’a été autrefois quelqu’un comme le philosophe Emmanuel Mounier, nous sommes des acteurs de l’événement. Nous nous appuyons sur des faits, des événements, pour bâtir nos actions, et planter au sol les petits pieux qui nous permettent de faire un pas après l’autre. Nous avons un autre défaut, c’est de croire ce que disent les autorités et les professionnels et de les prendre au mot. Le décalage entre leur discours et la réalité est dévastateur, et source d’animosité importante de leur part, car les gens n’aiment pas être pris en flagrant délit de mensonge caractérisé, surtout quand ils se targuent d’autorité, d’exemplarité, de responsabilités, etc.
Nous ne critiquons pas l’action des firmes qui font de leur point de vue parfaitement leur travail dans une société capitaliste où la norme est le profit. Nous critiquons ceux qui ne font pas leur travail en ne protégeant pas les citoyens usagers des soins de ces influences dont le risque sanitaire est indiscutable. Nous pensons aux professionnels de santé bien sûr, dont le comportement général est en opposition à leur éthique et leur déontologie : défendre l’intérêt des malades, mais également aux autorités sanitaires, incapables et insincères dans la réalisation de leur mission de santé publique.
La HAS par exemple, pour parler de notre plainte en cours devant le Conseil d’Etat, élabore ses recommandations pour la pratique en dépit des règles et de la législation sur les conflits d’intérêts en France. Elle le sait très bien. C’est un enjeu fondamental, car la HAS prétend, et les médecins et la société se rassurent en le croyant, diffuser la « vérité scientifique » en matière de connaissance médicale à travers ses recommandations. Ces recommandations déterminent d’ailleurs les conditions de soins et de remboursement des assurés sociaux. Or beaucoup sont rédigées, du fait des conflits d’intérêts non gérés de leurs rédacteurs, sous l’influence des firmes. Nous savons même, sans pouvoir en apporter la preuve à ce jour, que certaines recommandations sont rédigées pour tout ou partie directement par des officines de marketing au service des firmes, et que les experts ou les sociétés savantes qui passent commande de ces recommandations auprès de ces officines pour répondre aux demandes de la HAS, ne servent alors qu’à blanchir cette propagande en information scientifique, que la HAS estampillera in fine comme officielle. La boucle est bouclée : une communication marketing est devenue une recommandation officielle. Que rêver de plus efficace pour vendre ? Mais pour soigner ?
Nous savons d’ores et déjà que notre recours au Conseil d’Etat contre deux recommandations de la HAS (diabète et Alzheimer), même s’il est encore en cours d’instruction et même s’il ne devait pas aboutir dans le sens que nous demandons, celui du retrait des recommandations incriminées, a fait changer les pratiques au sein de la HAS. La HAS est maintenant plus attentive au respect des règles sur les conflits d’intérêts. Lors de son audition dans le cadre de commission d’enquête du Sénat sur le rôle des firmes durant la grippe, le président de la HAS, Laurent Degos, a reconnu implicitement qu’il n’appliquait pas les règles jusqu’à présent et que cela nuisait à la qualité des travaux, puisqu’il a dit qu’il étudiait maintenant la possibilité de nommer des présidents de groupe de travail de recommandations non experts de la question, afin de limiter les risques liés aux conflits d’intérêts. Dans l’histoire de l’élaboration des recommandations de la HAS il y a maintenant un avant et un après recours du Formindep.
Evidemment les dirigeants actuels de la HAS ne le reconnaîtront jamais, mais nous avons la preuve qu’une pression citoyenne, démocratique et déterminée, même d’un petit groupe, peut faire avancer les choses, malgré les oppositions, les dénis, voire les mensonges des autorités, et la peur ou la paresse de la presse de s’y intéresser. C’est dans ce sens là qu’il faut continuer à agir, mais ensemble, globalement, sur une échelle internationale, comme le sont les influences commerciales.

P. Vous évoquez les conflits d’’intérêts chez les experts, mais les Anglo-saxons, toujours en avance en matière de transparence, ont été jusqu’à publier dans la presse - et malgré le tollé - des listes non seulement d’experts indépendants, mais incluant de surcroît des journalistes spécialisés (voir l’Edito de Pratiques consacré au sujet : http://www.pratiques.fr/Information-medicale-et-conflits-d,274.html ). Que pensez-vous de ces initiatives ?

C’est très bien. Les experts indépendants existent, il suffit de les rencontrer. Le petit milieu de l’expertise hospitalo-pharmaceutique replié sur lui-même et auto-satisfait a largement et suffisamment durant l’épidémie grippale apporté la preuve de son incompétence. Il persiste, dans son repliement quasi autistique, à affirmer, en dehors de tous les faits, que seuls des experts liés aux firmes sont compétents. La réalité démontre chaque jour le contraire.
La gestion de la grippe en est la caricature comme le démontrent les auditions de la commission d’enquête sénatoriale présidée par François Autain. Une expertise scientifique au service de l’intérêt général ne peut plus se satisfaire de cette oligarchie d’une mono-expertise arrogante et sûre d’elle même. La non prise en compte du risque de biais majeur que constituent des avis émis par des experts sous influence est absolument inacceptable, et constitue une incompétence grave et un déni de réalité de la part des autorités. _ L’indépendance doit être un critère incontournable du recrutement des experts. L’expertise hospitalo-pharmaceutique est utile mais elle doit être reconnue pour ce qu’elle est, avec ses limites énormes, et arrêter de se croire et de faire croire qu’elle est la norme.

P. Et pour conclure, quand vous jetez un coup d’œil en arrière et mesurez le chemin parcouru ; quel bilan faites vous de ce qui a été fait, de ce qui reste à faire ?

Quasiment sans moyens autres que notre travail et le temps consacré, nous sommes fiers d’avoir permis de faire avancer la prise de conscience sur cette question en France, même si l’adversité a souvent été violente, agressive, malhonnête, y compris parmi ceux qui se considèrent de « notre camp », mais une violence à la mesure du dérangement que nous provoquons.
Notre camp, avec la conscience forte de notre incapacité à y être pleinement fidèle, est celui de l’éthique, de la licéité des moyens, du respect des personnes, du combat fondé sur les faits et le réel. Tout en sachant que ce camp là ne sera jamais majoritaire, il faut poursuivre plus largement, avec tout ceux qui agissent petitement, lentement, mais avec détermination à partir des seuls faits et de la réalité, et pas sur des enjeux de pouvoir, des opinions, des intérêts particuliers et des questions de personnes.
Avec les autres résistants de tout lieu et de toute époque, ceux du Formindep pourront dire aussi qu’ « ils n’en étaient pas ».

mardi 22 juin 2010


Voir en ligne : Site du FORMINDEP

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