Les dépenses de santé : une augmentation salutaire ?
Par Brigitte Dormont, professeur à l’Université Paris-Dauphine, co-directeur du programme Economie publique et redistribution du Cepremap.
Editions Rue d’Ulm/Presses de l’Ecole normale supérieure, février 2009.
Voici un « opuscule », comme le qualifie modestement l’auteur lui-même, qui devrait intéresser les lecteurs de Pratiques : pour une fois, un(e) économiste aborde le sujet brûlant des dépenses de santé avec le souci de l’autre plateau de la balance : quel bénéfice escompter de la montée inéluctable de ces dépenses et, du coup, non seulement comment dépenser mieux pour un résultat donné, mais - pensée iconoclaste-, dépense-t-on suffisamment, compte tenu des gains attendus en qualité de la vie comme en longévité ?!
Ce petit ouvrage tord, au passage, le cou à quelques autres idées reçues : certes, les dépenses de santé augmentent avec l’âge mais, première idée fausse, pour une classe d’âge donnée, le facteur de dépense le plus lourd est tout simplement la proximité de la mort : la dernière année de vie coûte cher - 4 fois plus que celle précédant la mort - et cela, quelle que soit la classe d’âge considérée. Si l’on élimine ce facteur, il apparaît que la croissance relative des dépenses de santé sur une trentaine d’années est du même ordre de grandeur, quelle que soit la tranche d’âge. En d’autres termes, ce n’est pas d’être âgé qui coûte cher, c’est… le fait de mourir !
Cela étant et même en intégrant les effets d’un taux de mortalité aggravé forcément par l’âge, il n’en demeure pas moins que l’impact global reste modeste, compte tenu tout simplement du faible poids relatif de ces classes âgées dans la population globale : deuxième idée reçue. Les projections de l’OCDE le confirment : globalement, sur un ensemble de 15 pays développés, la part des dépenses de santé dans le PIB devrait croître de 5 points entre 2005 et 2050, mais là-dessus, 0.7 point seulement serait imputable au vieillissement démographique.
Il faut donc chercher ailleurs la cause principale de l’envol des dépenses de santé : l’auteur le démontre sans peine : il s’agit du progrès technique de la médecine, toutes techniques confondues. Et ce progrès est sans relation avec l’âge : il s’adresse à l’ensemble de la population.
A ce point de sa démonstration, l’auteur prend le tournant : car, se pose alors forcément la question : n’y a-t-il aucun frein à cette croissance apparemment démesurée ? L’auteur pointe, à ce propos, les dérives dues à des mécanismes tels que le paiement à l’acte, ou même la progression des assurances privées. On peut regretter en passant, que l’analyse n’ait pas ici esquissé une distinction entre dépenses purement « techniques » et dépenses de marketing des labos. Mais passons.
Cela étant, oui, nous dit Brigitte Dormont, il existe un frein. Et là, dans la tradition de l’économie classique, le frein annoncé est celui de la dépense marginale : selon la théorie, en effet, la dépense a lieu de se poursuivre, tant que le gain escompté lui est supérieur, et cela, jusqu’à ce que le dernier euro dépensé soit exactement équilibré par le dernier euro gagné. C’est ainsi que, partant des quelque 12 % actuels de part du PIB consacrés aux dépenses de santé, B. Dormont cite, en conclusion, des études américaines selon lesquelles il se pourrait bien, pour la collectivité, qu’il soit bénéfique que ce pourcentage atteigne … 30 %. On peut toujours rêver.
Il n’empêche. A elle seule, la lecture de cet "opuscule" se révèle stimulante et cela, sur au moins deux points :
? Quelles sont les raisons pour lesquelles les pouvoirs publics se cantonnent au seul procès de la dépense publique, répugnant à en aligner la contrepartie, sous forme des gains escomptés ? Serait-ce que le coût de la vie humaine d’une femme, par exemple, ou, pire encore, d’un pauvre, d’un sans asile, aurait moins de valeur que celle d’un homme, Français de souche, appartenant à une frange aisée de la population ? Ou, en élargissant le débat, que l’on pourrait à ce moment prétendre classer, les uns par rapport aux autres, les gains escomptés de l’euro investi dans la Défense nationale, la communication publique et autres dépenses de prestige, etc. et ceux du même euro consacré à l’éducation ou à la santé ?
? Reste, néanmoins, que l’honnêteté exige de s’interroger, parallèlement, sur la signification du calcul économique étendu de la sorte à l’ensemble des activités humaines : n’est-ce pas là le piège tendu par l’utilitarisme remis en honneur par nos penseurs néolibéraux ? Substituer, pour fonder des décisions, un concept quantifié tel que celui du coût de la vie humaine au débat démocratique, pourrait ouvrir la voie à toutes les dérives. En l’occurrence, le calcul économique aboutit à des conclusions qui nous conviennent. Il ne faut pas, pour autant, s’en cacher les dangers.