Avastin®/Lucentis® : face à la Cour de justice européenne qui déboute Novartis, le silence de Marisol Touraine devient assourdissant !

La Cour de justice européenne a rendu, le 11 avril 2013, un arrêt déboutant Novartis dans son action contre le laboratoire Apozyt, lui-même soutenu par les gouvernements allemand. irlandais et portugais. Novartis entendait interdire à Apozyt de reconditionner le Lucentis® sous forme de seringues de plus petite contenance que l’emballage d’origine [1] et, de la même façon, l’Avastin®, son concurrent, sous le double argument que :

  • S’agissant du Lucentis®, l’AMM de Novartis ne prévoyant pas un tel transvasement, une nouvelle AMM s’avérait nécessaire,
  • Pour l’Avastin®, celui-ci n’avait fait l’objet par Roche, son fabricant, d’aucune demande d’AMM l’homologuant pour usage ophtalmique

La Cour, comme on va le voir, s’est appuyée, pour chacun de ces cas, sur un raisonnement différent, faisant référence à deux articles spécifiques de la directive européenne 2001/83, régissant les AMM, mais pour aboutir en définitive au même résultat : l’autorisation, sous conditions, donnée à Apozyt de poursuivre ses activités

1. Cas du Lucentis® : la Cour s’appuie sur l’alinéa 2 de l’article 40 de la directive 2001/83 pour fonder sa décision :

52 Toutefois, ainsi que le font valoir l’Irlande et la Commission, conformément au second alinéa de l’article 40, paragraphe 2, de ladite directive, une telle autorisation n’est pas nécessaire, notamment, pour les divisions et les changements de conditionnement, lorsque ces opérations sont exécutées, uniquement en vue de la délivrance au détail, par des pharmaciens dans une officine ou par d’autres personnes légalement autorisées dans les États membres à effectuer lesdites opérations.

2. Cas de l’Avastin® : la Cour fait jouer cette fois l’article 5 de la directive 2001/83, qui prévoit de déroger à l’obligation d’une AMM ophtalmique dans son cas :

48 En revanche, il ne saurait être exclu que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83 puisse être invoqué par la République fédérale d’Allemagne s’agissant de la mise à disposition d’un médicament autorisé, tel que l’Avastin®, pour des indications thérapeutiques hors AMM, lorsqu’une telle élaboration est faite conformément aux spécifications d’un praticien agréé et est destinée à ses malades particuliers, sous sa responsabilité personnelle directe. En effet, à cet égard, les principes actifs de l’Avastin® et du Lucentis® étant différents, un médecin peut, face à une pathologie donnée et en se fondant uniquement sur des considérations thérapeutiques propres à ses patients, y compris au regard des modalités d’administration du médicament, estimer qu’un traitement hors AMM, selon la forme galénique et la posologie qu’il estime appropriées et au moyen de l’Avastin® disposant d’une AMM communautaire, est préférable à un traitement au moyen du Lucentis®.

Et la Cour conclut son arrêt par un développement recouvrant les deux cas :

54 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que des activités telles que celles en cause au principal, pour autant qu’elles ne conduisent pas à une modification du produit médicamenteux concerné et sont effectuées uniquement sur la base d’ordonnances individuelles prescrivant de telles opérations, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, ne nécessitent pas l’obtention d’une AMM en application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 726/2004, mais demeurent régies, en tout état de cause, par les dispositions de la directive 2001/83.

Concrètement, dans le cas français (et en attendant qu’Apozyt étende son activité à la France, ou que le décret d’application de l’article 57 de la loi de financement de la Sécurité sociale relatif à la RTU soit pris, ou encore, que le gouvernement français décide de joindre ses efforts à ceux des gouvernements européens ayant assigné le couple Roche/Novartis pour entente illicite…), on ne voit plus ce qui interdit de rapporter la directive du Ministère de la santé du 11 juillet 2012 et d’autoriser à nouveau, au moins les pharmacies hospitalières, à reconditionner l’Avastin® sous forme de seringues ophtalmiques.

Ou alors, en cas de surdité et aveuglement persistants, faudra-t-il penser : pression des lobbies ?
Quand donc la Ministre s’entourera-t-elle d’experts indépendants [2] et de juristes compétents ?

dimanche 13 octobre 2013, par revue Pratiques

Documents joints


[1Novartis conditionne le Lucentis® en seringues de 0.23ml, dont seuls 0.05ml sont utilisés lors d’une injection, le reste étant jeté. On voit déjà ce qu’un reconditionnement approprié peut permettre d’économiser, lorsque le produit gaspillé vaut entre 800 et 1000 € les 0.23ml !

[2Il en existe pourtant ! A titre d’exemple, le Professeur François Chast, chef de service de pharmacologie clinique des hôpitaux universitaires Paris-Centre, interviewé par Le Monde (Sandrine Cabut, édition du 2 octobre 2013) : "Si les comptes sociaux sont vraiment dans le rouge, alors, il faut agir, et vite, donc autoriser l’emploi de l’Avastin® à partir de préparations stériles effectuées comme on le fait à l’hôpital, pour des chimiothérapies. Et si l’on peut encore dépenser sans compter, utilisons ces moyens pour recruter du personnel. Lucentis® à la place d’Avastin®, c’est chaque année l’emploi de 10 000 infirmières !"

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