Vive le Mouvement de Libération de la Médecine Générale !

Il faut se libérer.

Depuis toujours, la médecine générale a été considérée par la médecine hospitalière comme la médecine des « médiocres », ceux qui n’avaient pas réussi le « noble » passage de l’internat des hôpitaux. Emportée par la vague du progrès technologique, la médecine spécialisée s’est emparée de l’image sociale de la médecine pour la porter haut et fier dans notre société où le mythe de l’accès au bonheur passe par le mythe de la toute puissance de la technologie médicale, suppôt de la croissance économique.

La médecine générale a courbé l’échine, tenté d’expliquer que la « bobologie » a sa raison d’être, que la vie existait aussi en dehors de l’hôpital et qu’il était utile, voire nécessaire, qu’une médecine de la proximité existe. Puis, petit à petit, les temps ont changé, la capacité de faire des diagnostics compliqués en ville est devenue réalité, la médecine générale sait faire face au développement des pathologies chroniques et des cas complexes, de courageux médecins généralistes sont partis à l’assaut de la forteresse universitaire afin d’y enseigner la médecine générale, le différentiel de niveau des diplômes s’est atténué, un strapontin institutionnel a été offert à la médecine générale, les syndicats ont bombé le torse et ont obtenu des victoires, la médecine générale est devenue une spécialité universitaire, il fallait bien se hisser au niveau des autres spécialités pour être reconnu.

Cette conquête légitime est en passe de se fourvoyer dans une impasse. Un paradoxe se développe. C’est au moment où la médecine spécialisée atteint ses limites d’utilité, piétine dans la lutte contre les maladies chroniques les plus destructrices, que la médecine générale proclame la nécessité de s’identifier à la médecine spécialisée des organes.
C’est ainsi qu’elle organise son congrès annuel, véritable « singerie » de la médecine spécialisée. Comme il faut, pour exister, rentrer dans le modèle dominant de la reconnaissance scientifique, il faut un congrès dans un lieu prestigieux, dans un confort de notables, et dans un programme digne de l’expression d’une spécialité médicale. Certes, j’exagère, il y aura à ce congrès l’expression de publications qui font honneur au combat quotidien des fantassins de la médecine générale, de véritables démonstrations de l’efficience de la médecine générale seront produites, mais cela ne masquera pas l’impasse.

Face aux défis de santé d’aujourd’hui, c’est une médecine générale conquérante qui doit se mettre en scène. Celle qui est capable de construire le parcours de santé, celle qui est capable de développer la santé des populations, celle qui est capable de marier le médical et le social, bref celle qui est capable de faire évoluer le système de soins vers un système de santé, celle qui met l’Homme au centre de son action et lui permet donc de s’émanciper de la médecine spécialisée qui soigne l’organe malade.
Pour y parvenir, la nécessité est absolue d’échapper à l’influence des laboratoires pharmaceutiques. En dépit de cette évidence, je constate que la présence de l’industrie pharmaceutique devient acceptable pour les organisateurs du congrès, à partir de l’instant où elle finance l’expression de la respectabilité de la médecine générale : principe de réalité face aux principes éthiques !

Ce n’est pas, en l’occurrence, un souci de pureté éthique que je défends, mais la recherche d’une honnêteté qui assure à mon sens davantage de respectabilité, notamment vis à vis des malades victimes de la « mal bouffe ». Car, tout de même, demander à MacDonald, à Coca Cola, à Nestlé de participer à la formation des généralistes bafoue suffisamment les valeurs de la médecine pour ne pas accepter l’argument de la réalité économique.
Nous avons besoin d’un véritable congrès de médecine générale qui montre à la société les chemins possibles du mieux soigner, du faire de la santé ensemble, pour conquérir du mieux être. Courir après le progrès technologique, après la médecine d’organe, après les industriels de la pharmacie, des vendeurs de « poisons », pour espérer exister aux yeux des décideurs politiques, me semble être une chimère.

La médecine générale a un avenir. Alors, réformons-là, en commençant par la libérer de ses aliénations.


jeudi 21 juin 2012, par Didier Ménard

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