Il y a sur les bords de la Seine un petit square que
j’affectionne particulièrement. C’est là que je
m’arrête parfois pour y déposer mes émotions
impartageables. Je m’interdis de ramener à la
maison la tristesse, la douleur, qui m’ont envahi
lorsque j’ai gardé dans ma main celle de cette
femme ou cet homme qui nous quittait, lorsque
j’ai effacé mes larmes pour dire à ces enfants que
leur papa était mort. Je m’interdis de ramener à la
maison toute cette révolte qui gronde en moi
devant l’injustice, l’humiliation, vécues par cette
personne venue demander une aide pour dormir
afin… d’oublier.
Que faire de toutes ces souffrances si fréquemment
débusquées au détour d’une consultation.
Parfois c’est trop, alors il faut pouvoir vider le trop
plein, se vider pour ne pas sombrer dans la déprime.
Alors, il y a ce petit square avec ce banc qui
m’accueille le temps de regarder la Seine couler,
ce n’est pas le pont Mirabeau, mais le temps que
je passe ici est le témoin de mes doutes, mes
angoisses, mes déceptions… mais aussi de mes
espérances devant toute cette solidarité, cette
capacité à surmonter la douleur, ces leçons de
bonheur que me donne la population toujours
prête à faire face dans l’adversité.
Dans ce square, il y a des parterres de fleurs que
je n’ai jamais vus à la lumière du jour car c’est toujours
de nuit que j’y fais halte, comme si la complicité
de la nuit était propice à ma méditation,
ou tout simplement parce que la journée se termine
tard.
J’aime bien ce coin de verdure dont je ne connais
pas le nom, mais qui pour moi est mon jardin
secret, cela me rassure de savoir qu’il est là.