Spéculation sur l’hépatite C

De nouveaux traitements de l’hépatite C sont proposés à des prix prohibitifs par une industrie pharmaceutique cupide et cynique. Comment s’y opposer ?

Cet article constitue la version intégrale de celui qui paraîtra dans la revue N° 66

En 2014, des recommandations d’experts sont enfin publiées en France pour la prise en charge de l’hépatite C. Cette maladie, en passe de devenir aussi préoccupante que le sida, touche 185 millions de personnes dans le monde, dont 150 millions atteintes de la forme chronique, et 350 000 en meurent chaque année. 15% des personnes atteintes vivent dans des pays à revenu élevé, 72% à revenu intermédiaire et 13% à faible revenu. En France, 230 000 personnes auraient une infection chronique, et 130 000 auraient besoin rapidement d’un traitement pour éviter la cirrhose du foie ou le cancer.

Jusqu’alors, les traitements étaient très contraignants : 24 à 48 semaines d’injections hebdomadaires d’interféron associée à de la ribavirine, avec des effets secondaires très pénibles et efficaces dans 50 à 70% des cas. Un nouveau médicament, qui vient d’avoir l’Autorisation de Mise sur le Marché européenne, semble très prometteur : le sofosbuvir ( Solvadi®) antiviral d’action directe, chef de file de molécules qui, en association avec la ribavirine, agiraient beaucoup plus vite (en 6 semaines), efficacement (90 à 100% d’éradication du virus) et avec peu d’effets secondaires. On se croit sauvé !
Mais c’est sans compter sur la cupidité qui n’a pas de limites de l’industrie pharmaceutique [1],

Le laboratoire (Gilead) qui commercialise le sofosbuvir le propose à un prix inédit : 900 euros le comprimé, 60 000 euros pour un traitement. Les associations ont fait le calcul : si l’on traite tous les patients concernés, c’est un budget de 7 milliards d’euros pour la France, équivalent du budget des hôpitaux de Paris ( certains parlent de 12 milliards.. ) …Magnanime, le laboratoire propose un prix de 90 euros par comprimé pour les pays à revenus modérés, comme l’Egypte, durement touchée par l’épidémie en raison d’ un traitement injectable généralisé lors d’une épidémie de parasitose dans les années 6O. Si le gouvernement égyptien décidait d’adopter ce traitement pour les patients les plus atteints, cela lui coûterait 5 fois son budget de santé annuel …

Le prix demandé ne s’explique pas par le coût de revient du médicament, évalué à 700 fois moins important que le prix fixé. Il est lié à des opérations boursières réalisées par l’industriel, qui a racheté la société productrice du médicament et décidé de se rembourser sur le dos des Etats, au détriment des patients. Protégés par la politique des brevets (qui empêchent de copier un médicament pendant les vingt ans suivant sa commercialisation), les laboratoires pharmaceutiques suivent une logique purement capitaliste et jouent de leur monopole. Face à eux, les gouvernements devraient assumer leur responsabilité en termes de santé publique, en régulant les prix.

En Belgique et en Allemagne, les gouvernements ont refusé le remboursement du médicament, privant – pour le moment – le laboratoire de ce marché dans leur pays, et les patients du traitement. En France, le prix du sofosbuvir fait actuellement l’objet d’une négociation entre la firme et le gouvernement, dans le cadre du Comité économique des produits de santé.

Ce médicament est prescrit, au niveau hospitalier, « à titre temporaire », pour des malades atteints d’hépatite évoluée. Mais à l’avenir, combien de patients pourront-ils être traités ? Sur quels critères seront-ils choisis ? On parle déjà de contre-indication en cas de « mauvaise observance », comme si le comportement des patients était prévisible…On en connait les conséquences, en termes d’exclusion… Seront suspectés de non observance les usagers de drogue non sevrés, les personnes en situation précaire, les étrangers…

Les associations, très mobilisées, interpellent l’OMS et les gouvernements en les engageant à négocier avec l’industrie pharmaceutique pour obtenir des prix réalistes, et permettre la copie immédiate des médicaments. C’est ce qui a été obtenu –de haute lutte- pour les traitements du sida, accessibles actuellement pour plus de 10 millions de personnes dans le monde.

Le scandale du profit sur les progrès pharmaceutiques doit être dénoncé et démantelé. Ces produits doivent pouvoir bénéficier dès leur apparition sur le marché à tous les patients qui en ont besoin. C’est une question de santé publique et de courage politique.

Sources :

mardi 1er juillet 2014, par Marie Kayser, Martine Lalande

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