Il y a 35 ans, j’expliquais à mes patients originaires de différents pays du Sud qui étaient venus travailler dans les usines de la banlieue Nord pour satisfaire l’économie française, qu’il était préférable dès lors que leurs vies s’enracinaient en France, de demander la nationalité Française.
J’ai vu naître leurs enfants devenus Français par la loi du sol, puis je les ai vus grandir dans le brassage de l’école de la République et de la vie de la cité. Ils ont suivi des chemins variés, avec des fortunes diverses : les uns ont réussi à s’insérer dans l’économie occupant des places gratifiantes, d’autres ont plus peiné, et on rejoint le cortège des sans-emploi, et ce malgré, de bonnes études, enfin, d’autres encore, sans études, ont rejoint l’économie dite parallèle. Tous ont franchi des obstacles, il leur a fallu souvent démontrer et justifier qu’ils étaient bien Français. Ils ont fait société, ils se sont aimés, ils ont donné naissance à la nouvelle génération, que j’ai vu également naître.
La vie n’est pas simple et difficile dans nos grandes cités, mais face à l’adversité, des valeurs solides font le lien social : l’appartenance à une Nation, la solidarité des pauvres, la joie du mélange des cultures…
La religion est venue combler le vide laissé par les abandons de la République, l’espérance d’une vie meilleure s’efface devant le fatalisme d’être les mal aimés de la Nation.
Alors à longueur de consultations, j’ai donné l’espoir, j’ai encouragé mes patients à vivre leurs envies, à puiser l’énergie dans leurs savoirs et compétences, j’ai trinqué à leurs réussites, j’ai lutté contre le fatalisme et valorisé les principes de Liberté, de Fraternité et d’Égalité. Être Français cela faisait Sens et être Français avec un patrimoine de culture venue d’ailleurs était une chance pour tous et moi le premier qui soignait et m’enrichissait de ces cultures du reste du monde.
Depuis une semaine cette espérance s’effondre, je n’avais pas prévu qu’un président se réclamant des valeurs de la gauche, des Droits de l’Homme, allait trahir à ce point pour un minable jeu politique. Mes patients devenus Français par le droit du sol, et qui sont de par l’origine de leurs familles « binationaux », ne sont plus des Français comme les autres, ils ne sont plus « nés libres et égaux en droit », ils deviennent une catégorie de Français à part, et dont il faut se méfier.
Je les entends déjà me dire : « Tu vois docteur, malgré tous tes efforts, nous sommes et nous restons des boucs émissaires ».
Ma fraternité est blessée et c’est un président qui n’est plus de gauche qui me trahit.
Alors nous allons devoir nous rassembler pour protéger mes patients, c’est bien le moins que je leur dois.