Que faire face au mutilations sexuelles féminines

Ce texte a été écrit par Maxime Catrice, jeune médecin généraliste, au cours de son troisième cycle de médecine générale. Il s’agit d’une situation vécue en consultation, qui pose question et suscite une recherche. A la faculté, ces petits textes sont appelés des « traces » et font partie des éléments qui permettent dévaluer l’acquisition de compétences des jeunes médecins en formation. Ils les écrivent alors qu’ils sont en stage sur le terrain, et en font profiter leurs collègues. Maxime a écrit sur le sujet difficile de l’excision, et sa contribution nous semble très utile pour les praticiens confrontés aux mêmes situations.

Lors de mon premier stage chez le praticien (médecin généraliste en ville) :
Je vois une patiente en consultation (seul) :
Elle vient pour avoir un certificat pour pouvoir rester sur le territoire français. Elle a été excisée dans son pays d’origine (le Sénégal). Elle a une fille née en France. Elle veut rester en France pour protéger sa fille d’éventuelles mutilations sexuelles au Sénégal.
Et là, je me rends compte que je ne connais pas grand chose sur les mutilations sexuelles et sur la procédure qu’elle doit suivre pour sa demande. Notamment je ne sais pas si je peux lui faire le certificat ou si je dois l’adresser vers un médecin habilité ?
J’essaye de me renseigner dans le livre du Comede (Prise en charge médico-psycho-sociale des migrants et étrangers), sur internet, mais je n’arrive pas à trouver de réponses précises. Je choisis alors l’appel à un ami : je téléphone à une médecin généraliste qui est bénévole à Médecins du Monde : elle me dit que je peux faire le certificat constatant les lésions, et que je peux adresser la patiente au GAMS pour qu’elle puisse recevoir des conseils.
Je décide de dire à la patiente que je vais me renseigner plus précisément avant de faire le certificat pour que ça ne réduise pas les chances d’aboutissement de son dossier. Je lui donne les coordonnées du GAMS et lui demande de revenir dans 2 jours.

LES MUTILATIONS SEXUELLES FEMININES (MSF) :
Définitions : l’ensemble des interventions aboutissant à l’ablation totale ou partielle des organes génitaux externes.
Epidémiologie :
Sur le continent africain L’UNICEF estime à 130 millions le nombre de femmes mutilées sexuellement, et à 3 millions chaque année le nombre de nouvelles victimes fillettes et adolescentes. Ces mutilations existent aussi au Moyen Orient (Yémen, Oman), en Asie (Malaisie, Indonésie), et en Amérique du sud (Amazonie Péruvienne et Vénézuélienne)
En France les femmes susceptibles d’avoir subi des mutilations sexuelles sont principalement originaires du Sénégal, du Mali, de Mauritanie, et de Guinée Conakry.
EN FRANCE en 2004 : entre 43000 et 65000 fillettes et ou Adolescentes ont été mutilées ou menacées de l’être.
Pourquoi ????
Croyances :
que le dard pouvait tuer l’homme,
un nouveau né qui touche le clitoris maternel meurt,
le nouveau né est bisexuel
Esthétique
Initiatique : rite de passage
Sexuelle : répression de la sexualité avant le mariage (par absence de plaisir)
Religieuse : sur croyances de toutes les religions, mais n’apparaissant dans aucun texte religieux
Sociale : honneur de la famille, du mari, non excisée la fille ne trouverait pas de mari

Classification clinique des mutilations sexuelles féminines :
Type 1 : Excision du prépuce clitoridien plus ou moins ablation du clitoris
Type 2 : Excision du clitoris avec excision partielle ou totale des petites lèvres (80 % des mutilations sexuelles)
Type 3 : Infibulation : excision partielle ou subtotale des OGE et sutures des grandes lèvres (15% des mutilations sexuelles)
Type 4 : Autres

Complications :
_ ? Immédiates : décès par hémorragies, douleur, infections (locales, VIH, Tétanos), rétention aigûe d’urine, fistule...
_ ? Long terme : Algies chroniques, infections urinaires répétées, chéloides...
_ ? Psychologiques : névroses traumatiques, dépressions, suicide...
_ ? Sexuelles : douleur, anorgasmie, frigidité
_ ? Gynéco-Obstétriques : stérilité, dysménorrhée, ménorragies, infections, travail long, déchirure périnéale, hémorragies du post-partum, césariennes, augmentation de la mortalité périnatale....

Rappel de la loi française : les mutilations sexuelles sont considérées comme un crime y compris les mutilations sexuelles commises à l’étranger (quand l’enfant a résidé un certain temps en France au préalable), peine de prison et amende.
Il existe une obligation légale pour les professionnels de signaler auprès du procureur de la république, lorsqu’une mutilation sexuelle a été réalisée chez un enfant résidant habituellement en France.
S’il existe une menace d’excision de fillettes et/ou adolescentes en France ou lors d’un voyage à l’étranger, le médecin a une obligation légale d’appeler soit le procureur de la république du tribunal de grande instance du lieu de résidence, soit les services sociaux et médico-sociaux, notamment PMI et aide sociale à l’enfance.

Quelques Dates :
_ ? 1948 : Déclaration universelle des droits de l’homme
 ? 1984 : Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples (50 états) : principe d’intégrité physique et morale
_ ? 1990 : Convention relative aux droits de l’enfant (192 pays) : Abolition des pratiques traditionnelles
_ ? 2003 : Protocole à la charte Africaine des droits de l’homme et des peuples : interdiction de toutes formes de mutilations sexuelles féminines
_ ? Législation Africaine : 15 pays ont interdit officiellement l’excision, mais quelques exemples :
_ ? Soudan : L’infibulation est interdite depuis 1946, la prévalence des mutilations est de 86% en 2000
_ ? Egypte : Interdiction des mutilations sexuelles en 1997, Prévalence 97% en 2003
_ ? Mali : pas de loi mais campagne pour lutter contre les mutilations sexuelles

Améliorer les pratiques médicales :
Consultation avec une femme ayant subi des mutilations sexuelles féminines :
informer de l’existence de la mutilation et en évoquer avec elle les divers aspects (risques, interdit légal, protection des enfants à naître, évolution dans les pays d’origine vers l’abolition)
rechercher des séquelles : douleur, infection, troubles de la sexualité
l’informer sur la possibilité d’envisager une réparation chirurgicale.
Lorsque la consultante est enceinte ou vient d’accoucher d’une petite fille, rappeler les dispositions légales et les conséquences judiciaires.
__ A l’occasion de tout examen médical dans une famille exposée à ce risque, informer les parents des procédures de protection de l’enfant (signalement à la justice) en insistant sur les risques et les séquelles des mutilations sexuelles : ne pas omettre l’examen de la vulve

Prise en charge thérapeutique des femmes victimes de mutilations sexuelles : elle doit être multi-disciplinaire : www.gynsf.org
A Paris adresser en gynécologie à Hopital Bichat ou à l’Hopital Rothschild

Prise en charge associative :
GAMS : (Groupe femmes pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles et autres pratiques affectant la santé des femmes et des enfants)
Prévention, Sensibilisation, Soutien
66 rue des Grands-Champs 75020 Paris
Tél : (33) 01 43 48 10 87 Permanences les mardi et jeudi de 9h à12h et de 14h à 17h30

CIMADE : Association : expertise et conseil pour les demandes de droits d’asile, de séjour...
46 bvd des Batignolles 75017 M° Rome 01 40 08 05 34

Extrait d’un rapport de la CIMADE :
Soutien administratif et juridique dans les démarches liées au droit d’asile :
Actuellement, d’après la jurisprudence de la Commission des Recours des Réfugiés, peuvent obtenir le statut de réfugié si les autorités de leur Etat ne leur offre aucune protection :
• Les personnes persécutées en raison de leur orientation sexuelle,
• Les femmes entendant se soustraire à une mutilation sexuelle,
• Les femmes entendant se soustraire à un mariage forcé, si leur attitude est perçue comme transgressive par tout ou partie de la société (depuis une jurisprudence récente).
La majorité des femmes que nous avons rencontrées ont fui leur pays où ne peuvent y retourner en raison de risques liés à un mariage forcé et/ou une mutilation sexuelle. Celles qui évoquaient des risques d’excision, notamment pour leurs filles, ont majoritairement obtenu le statut de réfugié mais, beaucoup de demandes sont encore en cours d’examen. Celles qui évoquaient des risques de mariage forcé ont généralement obtenu le statut mais, plusieurs demandes sont encore en cours d’examen et nous avons eu un refus.
L’examen de la demande d’asile :
La demande peut être examinée selon deux procédures différentes : la procédure dite normale et la procédure dite prioritaire
Dans le cadre de la procédure dite normale, les personnes qui demandent l’asile sont admises au séjour durant le temps de l’examen de leur demande et bénéficient de certains droits comme une aide financière, l’accès à des structures d’hébergement spécifiques,…
Lorsque la demande d’asile est examinée dans le cadre de la procédure prioritaire, il n’y a pas d’admission au séjour, les délais sont très brefs : l’OFPRA est en principe tenu de rendre sa décision dans un délai de quinze jours et peut ne pas convoquer la personne à une audition, le recours devant la Commission des Recours des Réfugiés n’est pas suspensif,… Cette dernière procédure est mise en œuvre par les préfectures notamment si elles estiment que la demande est tardive (c’est-à-dire pour la majorité des préfectures si elle est introduite six mois après l’arrivée de la personne sur le territoire français) ou si la demande émane d’une personne ayant la nationalité d’un pays dit « sûr ». La liste des pays dits « sûrs » a été fixée par le conseil d’administration de l’OFPRA et comporte entre autres le Mali, le Sénégal, l’Inde. Un pays dit « sûr » est un Etat dans lequel les droits de la personne sont présumés être respectés. Si nous sommes opposées au principe même du concept de pays dits « sûrs », nous avons été en outre frappées de constater que parmi ces pays dits « sûrs », se trouvaient des Etats dans lesquels les droits des femmes ne sont pas respectés.
Dans les deux hypothèses, des démarches doivent être effectuées dans un premier temps
auprès des préfectures afin de se voir délivrer un formulaire de demande d’asile et, le cas échéant, d’être admis au séjour.
La plupart des femmes rencontrées voient leur demande d’asile examinée dans le cadre
de la procédure prioritaire. Elles sont en effet ressortissantes de pays dits « sûrs » et/ou en France depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Elles se trouvent donc des situations précaires durant la durée de l’examen de leur demande.

SOURCES
Livre du Comede : Prise en charge médico-psycho-sociale des migrants et étrangers
Gynécologie sans frontières : www.gynsf.org : voir dans actions GSF : diaporama, film, recommandations ...
Recommandations de l’Académie nationale de médecine visant à l’éradication des Mutilations Sexuelles Féminines
Site du GAMS, de la CIMADE

Une référence à consulter : l’article de Mélanie Horocks, Pratiques N° 45, page 36

samedi 13 mars 2010

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