Merci Anne de m’avoir lu. Je crois que nous ne sommes pas si différents sur l’approche de la situation qui fait la base, les bases, de ce débat. Quelques points seulement pour ne pas vouloir polémiquer puisque toi-même t’inscris dans un débat à prolonger en écoutant chacun :
- Bien sûr que je suis pour une certaine "dépénalisation" ; je ne l’ai pas évoquée car le centre du sujet était la loi, devant répondre à une demande de sujet souffrant, et qui pour certains n’est pas allée assez loin. Ce débat là mérite être prolongé. Déjà le juge peut instruire ou ne pas instruire si plainte est déposée ; notre souci est plus du côté de l’Ordre qui s’autolégitime, lui, dans son rôle, et à ses yeux son devoir, de sanction... Une seule solution, la dissolution ! J’ai écrit déjà ce que je pensais des prérogatives disciplinaires de cette institution... (In déontologie et citoyenneté)
- La dignité fait effectivement question car elle est devenue le "mot clef" utilisé même par ceux qui sont très loin de connaître le sujet et les situations que nous vivons . Il y a bien selon moi une inversion sémantique projetant sur le sujet un qualificatif qui peut résulter (pas toujours) de l’indifférence quand ce n’est pas de la maltraitance des soignants (rappelons-nous le retard dans ce pays de la prise en charge de la douleur... et encore maintenant l’abîme d’indifférence pour les mourants hospitalisés !).
Lorsque c’est le sujet lui-même qui adopte ce vocabulaire doit-on pour autant "en convenir" ou au contraire s’en indigner et conforter la personne dans son entière dignité préservée ?…Aussi difficile que ce soit lorsque sont mélangés les critères de l’hygiène corporelle par exemple, avec le respect dû à toute personne jusqu’à son dernier souffle.. !... Des bien portants vivent une autodépréciation parfois qui est déjà atteinte perçue par eux à leur dignité que le regard de l’autre doit corriger et non confirmer. N’en est-il pas de même devant la déchéance réelle des corps ?
Oui, je crains que l’indignité soit un jour "prescrite", avec ses échelles et barèmes d’appréciation qui décideront du seuil au-delà duquel même le coût des soins palliatifs sera jugé excessif et la solution la plus économique s’imposera comme une bonne pratique fondée sur une somme d’arguments de "bon sens" que nous pouvons aisément imaginer, car ils sont "déjà" dans nos têtes, même si nous ne les approuvons pas, ou pas encore, en attente seulement du déblocage que représenterait une évolution législative dont tu perçois autant que moi les dérapages possibles, sinon dans l’intention au moins dans l’interprétation évolutive...
- Le caractère "protecteur" attendu de la législation est lui-même au centre du problème ; j’avoue craindre un effet de leurre qui ne protège que les cas les plus exposés et accable le plus grand nombre des morts douces programmées de demain... Je me trompe peut-être ? Mais je suis certain de la tentation présente chez ceux qui sont convaincus que l’on peut décréter que certaines vies ne méritent plus d’être vécues, et quoi qu’en pensent les sujets concernés...
- Les expériences des pays étrangers nous semblent des modèles reproductibles car ne mettant pas en doute, semblait-il, la qualité des pratiques et des consentements confirmés après demande issue du seul sujet... Mais sommes-nous sûrs que les contraintes politico-économiques ne vont pas, au moins chez nous, changer rapidement la donne ? Le coût des soins palliatifs est déjà déclaré excessif au regard de la logique de la T2A, la productivité en soins est ici "nulle", les établissements de fins de vie pour personnes dépendantes seront financièrement de plus en plus inaccessibles au plus grand nombre et nous le savons...
- La lassitude de vivre dans un monde de moins en moins solidaire est l’état prévisible du plus grand nombre des vieillards que nous formerons les uns ou les autres, nous le savons... Et si la maladie vient en sus, le pas vers l’abandon avec assistance médicale peut-être franchi, très simplement demain.
- Dire cela n’est pas mettre en cause le comportement souvent exemplaire de ceux qui "font du soin palliatif", pas plus que de ceux qui ont franchi déjà le pas de "l’aide à mourir" ; mais dire seulement que le risque d’une loi très ouvertement permissive ouvre un gouffre abyssal d’incertitudes sur le devenir de notre société... Comme toi, j’avais refusé le choix binaire "pour ou contre" car il ne peut y avoir réponse simple et unique à des questions multiples, sauf à occulter les questions les plus dérangeantes car dépassant le champ de notre compétence et de notre pratique, pour révéler un champ d’impuissance et de responsabilité bien plus vaste encore que ce que nous pensions.
Réactions de lecteurs(trices)
Merci Jacques,d’exprimer tout ce questionnement :j’apprécie beaucoup de travailler à accepter le poids du caractère éternel de ce questionnement : il est difficile à mettre en mots.
Mireille Brouillet
On est en plein coeur du sujet.
MERCI
Françoise Ducos