Curieusement Jacques, tes arguments me semblent invariablement ne souligner que la crainte d’une espèce de dérive que ne pourrait, selon toi, qu’entraîner un changement de législation.
Certes la loi n’est jamais parfaite et la jurisprudence en tous genres ne le démentira pas, mais il se trouve que la loi aujourd’hui pénalise ce que tu poses toi-même comme préférable, c’est à dire "Aider à mourir parfois". Sans aucun doute et en expression de la rencontre de deux libertés et de deux dignités. Ces deux termes ne concernent que le souffrant concerné et le soignant. Or, ceci tombe aujourd’hui sous le coup de la loi et est "interdit". C’est cela qui est posé aujourd’hui par la demande de certains d’entre nous d’une législation qui dépénaliserait certaines situations jugées exceptionnelles.
Ta réflexion traite de la question de la dignité comme si elle ne pouvait qu’être prescrite, comme si elle se définissait seulement comme un jugement de la société, et pire, des soignants. Là encore, quand des personnes évoquent la perte de dignité comme raison de leur envie de mourir, elles s’inscrivent évidemment dans une culture donnée, mais n’en est il pas ainsi de tous tes les prises de position de la vie ?
Pourquoi admettrait-on que nos jugements sont valides en général sauf quand on est concerné par un état pathologique qui nous rend la vie impossible ? Chaque fois que je pense à ces situations, c’est à moi que je pense, à mes propres limites, et c’est toujours en tant que personne possiblement concernée par une vie insupportable que je me positionne. Il est très clair que je ne souhaite pas plus que toi qu’une espèce de commission pourrait décréter un jour que ma vie est indigne et puisse élaborer ces critères d’indignité.
Exiger aujourd’hui un débat et une législation qui découlerait de ces éclairages multiples me semble, au contraire de ce que tu évoques, représenter une protection pour les personnes dont certains soignants ou administrations pourraient décider très bientôt qu’elles sont une trop grande charge pour l’économie de la santé.
Concevoir, dans la ligne de ce qui se pratique dans certains pays du nord, qu’une personne au bout de son désir de vie, puisse être entourée et entendue par une équipe de personnes compétentes et bienveillantes, étrangères à son environnement habituel, me semble infiniment plus préférable et digne que l’hypocrisie en vigueur aujourd’hui. Toutes les précautions qui doivent entourer une aussi grave décision demandent une grande humanité et l’éthique ne se légifère pas ni ne doit s’instrumentaliser.
Il est probable que tous les partisans d’un changement de loi ne sont pas plus que les autres dans un point de vue identique. Alors, débattons, inscrivons cette question à tous les niveaux de réflexion et ne nous laissons pas aller à être pour ou contre invariablement. Nous sommes tous de bonne volonté et ne pourrons jamais voir exactement pareil mais nous pouvons essayer d’entendre ce qui est dit par ceux qui vont mourir, y compris qu’ils ne veulent pas mourir...