Ne laissons pas asphyxier l’hôpital public

2007 : 30 Millions d’euros de déficit au CHU de Nantes, baisse de 4 % de son activité. Démission en avril 2008 de son directeur.
Rachat prochain de la clinique Brétéché à Nantes par le groupe Védici, groupe adossé à un fonds d’investissement et qui possède déjà plusieurs établissements privés de la région nantaise.

Il n’y a pas de fatalité : l’hôpital public n’est pas obligatoirement malade ni les cliniques privées bien-portantes au point de permettre à leurs actionnaires de dégager des bénéfices substantiels. Cette situation est la résultante de choix politiques antérieurs, notamment dans le plan hôpital 2007 (1).
-  Mise en place du financement des établissements publics et privés par la tarification à l’activité (T2A) avec convergence accélérée prévue pour les tarifs publics et privés (2). Ceci avantage les cliniques privés qui au sein d’un même groupe de tarification privilégient les actes programmés et rentables, les autres se faisant à l’hôpital
-  Sous-estimation de la compensation financière versée à l’hôpital public pour les missions d’intérêt général qu’il remplit : avoir des lits disponibles pou faire face aux besoins aigus, pratiquer une partie de son activité en admissions non programmées, accueillir tous les publics, mener des missions d’enseignement et de recherche…
-  Vote par le parlement d’un Objectif National de Dépenses d’Assurances Maladie (ONDAM) volontairement bas, asphyxiant ainsi les hôpitaux publics (taux d’accroissement voté à 3,2 % pour 2008, alors qu’il a été réalisé à 3,6 % en 2007).
-  Politique de « complémentarité » pour les créations de lit entre public et privé menée par les Agences Régionales de l’Hospitalisation (3).

C’est à la lumière de ces données qu’il faut analyser les principales mesures contenues dans le rapport Larcher (4).

-  Equivalence public-privé :
« Dans certains cas et pour certaines activités, l’hospitalisation privée peut alors offrir une alternative à l’hôpital public à la condition que soient strictement garantis le respect d’obligations de service public et l’accessibilité financière pour les patients ».
Quels sont ces cas ? Les bassins de population restreinte ou les investissements particulièrement coûteux.
Quelle garantie d’accessibilité proposée à la population : « un quota » d’actes effectués en secteur 1, le rapport est d’ailleurs plus hésitant sur la façon de garantir ce quota...
C’est passer sous silence qu’à l’heure actuelle « dans plus de 70 villes, des chirurgiens de secteur 2, c’est-à-dire autorisés à réclamer des dépassements d’honoraires, sont en position de monopole ou de quasi-monopole (ils réalisent plus de 90 % des opérations) (5).
Le rapport Larcher propose par ailleurs de redéfinir les missions d’intérêt général (MIG) spécifiques à l’hôpital public (ce qui est une bonne chose si cela permet un plus juste financement de l’hôpital), mais envisage de pouvoir en confier une partie au secteur privé. Tout porte à croire que celui-ci choisira celles qui seront globalement rentables pour lui (6)

-  Cette « complémentarité » du public et du privé va de pair avec la mise en place de « communautés hospitalières de territoire » avec incitations financières fortes pour encourager les rapprochements : il s’agit de redéployer des lits publics dits « sous-occupés » en lits d’hébergement médico-social.
Qui définit la sous- utilisation des lits publics ? N’est-elle pas entretenue par les autorisations récentes données par les Agences Régionales de l’Hospitalisation aux cliniques privées ? Quel accès aux soins pour les populations qui vont être privées de structure d’hospitalisation de proximité ?

-  Introduction de nouveaux modes de rémunération pour les médecins à l’hôpital public : choix possible pour les praticiens hospitaliers entre 3 statuts : l’actuel statut salarié de praticien hospitalier, un statut hybride avec une part de rémunération variable liée aux fonctions exercées mais aussi au niveau d’activité, un statut contractuel avec rémunération à l’acte.
Cette mesure censée inciter les médecins à travailler à l’hôpital public introduit au sein de celui-ci la compétition financière à la rentabilité des actes. Le changement de mode de recrutement : par les agences régionales de santé pour les praticiens statutaires et surtout pour les contractuels par le directeur de l’hôpital fragilise les statuts et l’indépendance des praticiens
-  Modification de la gouvernance à l’hôpital avec pouvoir accru pour le directeur, mais qui lui-même serait sur un siège éjectable.

L’ensemble des propositions du Rapport Larcher s’intègre à la mise en place des Agences Régionales de Santé (ARS) (7) regroupant toutes les missions d’organisation du système de santé : soins de ville, hôpital, santé publique, secteur médico-social, formations sanitaires et sociales et probablement aussi gestion des dépenses posant la question de la relégation des caisses d’assurance maladie au rôle de simple guichet payeur

Les propositions faites par la Commission Larcher ne sont pas des choix techniques mais relèvent d’orientations politiques.
Les principales propositions du rapport Larcher qui vient d’être analysées seront utilisées pour conforter les choix actuellement faits par le gouvernement : remise en cause et asphyxie du secteur public, développement du secteur privé lucratif. Ces choix sont des freins pour l’accès aux soins en raison de la pratique de plus en plus généralisée des dépassements d’honoraires dans le secteur privé.
Ce sont malheureusement ces propositions qui vont primer sur des déclarations d’intention plus générales contenues dans le rapport : sur le développement des soins programmés. La continuité des soins, la prise en charge médico- sociale, les relations avec les généralistes, l’ouverture sur les centres et les maisons de santé. Toutes perspectives qui ne peuvent être réalisées de façon intéressante que dans le cadre d’un hôpital public réellement accessible et au service de tous les citoyens

Quelles doivent être les missions de l’hôpital public dans un système de soins de qualité accessible à tous ? Cette question doit être débattue collectivement et démocratiquement.
La question du financement des hôpitaux public et au-delà celle de l’ensemble du système de soins ne peut être dissociée de la question du système de santé publique, de la recherche sur les causes environnementales des maladies et de la mise en place d’une politique publique permettant d’y remédier.
A ce titre un échelon régional de coordination de la politique de santé pourrait être intéressant, mais supposerait la volonté politique d’étudier et repérer les causes environnementales des maladies, et de mettre en place des politiques publiques permettant d’y remédier, et ainsi réduire les inégalités sociales et territoriales de santé, mais actuellement rien ne semble prévu en ce sens.

Notes :
1) « En 2007 l’activité des cliniques privées a augmenté de 9 %, les actionnaires de la Générale de santé ont reçu 420 millions d’euros tandis que les petits hôpitaux ayant une activité insuffisante et les grands hôpitaux sont en déficit. Vingt neuf des trente-deux CHU sont en déficit de 350 millions d’euros » extrait d’un texte de réflexion issu d’une rencontre récente à l’initiative de soignants dont le Professeur Grimaldi sur le thème « sauvons l’hôpital public ».
2) Sur la T2A voir article de Pierre Volovitch à paraître dans le numéro 41 de Pratiques.
3) La demande en 2005 du CHU de Nantes d’augmenter sa capacité en lits dans le cadre de la réfection de la maternité a été refusée par l’ARH qui avait préalablement autorisé la clinique Brétéché à augmenter ses lits. L’été suivant, des femmes qui voulaient accoucher au CHU étaient déroutées au dernier moment, sur la grande clinique d’accouchement privé nantaise où tous les obstétriciens sont en secteur 2…
4) Rapport Larcher :
http://www.santejeunessesports.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_Larcher_definitif.pdf
5) l’Expansion.com 10/04/2008 http://www.lexpansion.com/economie/actualite-economique/les-villes-ou-l-egalite-d-acces-aux-soins-est-menacee_150574.html
6) Certaines cliniques privées participent actuellement à l’accueil des urgences avec des patients orientés par le centre 15 et un financement forfaitaire public. Les praticiens appliquent le tarif secteur 1 pour les actes pratiqués en urgence, mais sont libres de coter des dépassements pour les actes de suivis ultérieurs.
7) Rapports Bur et Ritter non encore remis à ce jour.

mercredi 14 mai 2008, par Marie Kayser

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