Commençons par les derniers : on savait bien que le néo-libéralisme ne bornerait pas son champ d’application à la sphère proprement économique mais entendait régir l’ensemble des relations interpersonnelles, tous domaines confondus.
L’académie de Créteil, suivie récemment par celle du Val-de-Marne, a sauté le pas : désormais, les élèves verront leur assiduité rémunérée par une cagnotte collective pouvant atteindre 10 000 € par classe, en cas de résultats satisfaisants en matière de lutte contre l’absentéisme scolaire [1]
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Comment en est-on venu à bousculer de tels tabous, introduire l’intéressement au sein même de l’institution dévolue à l’apprentissage du savoir justement le plus désintéressé ? Pour y répondre, il faut percer à jour le mode opératoire de l’attaque : celui qui consiste à nous perdre dans le labyrinthe d’un puzzle, a priori indéchiffrable.
Puzzle obscur, en effet. Car, qu’est-ce qui unit :
? DEXIA, anciennement département de la Caisse des dépôts spécialisé dans le crédit aux collectivités locales, privatisé : coût récent pour les contribuables français, belges, luxembourgeois de la faillite de cette illustration parfaite de la supériorité de la gestion privée : 6.4 milliards d’€ [2]
? Gaz de France jeté à Suez, (c.f. les déclarations péremptoires de Sarkozy) [3]
: augmentation des prix du gaz : 10 % sur les trois derniers mois, pour un gaz acheté moins cher que l’an passé et un bénéfice de 2.4 milliards €. [4]
? EDF,s’acheminant doucement vers le même statut ; : 20 % d’augmentation des prix demandée récemment pour financer les futures aventures internationales de ses dirigeants [5]
? les postiers bientôt payés au nombre de foyers desservis par unité de temps (adieu la poste en milieu rural) et la Banque postale sur le chemin de DEXIA.
Ne cherchez pas plus loin ; : L’argent, l’odeur de l’argent, tout simplement
Mais l’attaquant ne se suffit pas de ces victoires faciles. Il lui en faut plus, toujours plus. Il s’essaie à des cibles plus risquées, les vrais tabous. Va pour la santé. Loi HPST : l’intéressement des praticiens hospitaliers au résultat de leur service est mis en place. Médecine de ville : le CAPI et ses 7 € par patient séduit un certain nombre de praticiens...
Divine surprise : le patient réagit mollement. Le mal s’enhardit, parvient enfin au cœur de cible : nos enfants.
Car, en effet, qu’un gamin manque l’école, ait du mal à se concentrer, ne respecte pas ses maîtres, qui osera en demander raison aux véritables auteurs, aux complices mêmes du processus de désintégration des familles causé par le chômage ? Faute de traiter le mal à la racine, considérons le donc pour ce qu’il est : incurable ! Prescription : un traitement symptomatique. On paie ses camarades pour inciter (dénoncer ?)le môme à limiter ses fugues à un niveau acceptable : désormais il sera présent, physiquement. N’est-ce pas l’objectif ? Peu importe qu’il utilise ce temps à découper des mouches ou, plus agréablement, faire du pied à sa voisine : la statistique à produire au rectorat vaudra l’avancement attendu par le proviseur…
Demain, n’attendez plus pour expliquer à vos bébés de six mois la valeur de l’argent : sûr et certain que c’en sera fini des biberons recrachés et autre maux d’estomac.
Et que fera-t-on des pédiatres mis ainsi au chômage ?
Pas compliqué, on les reconvertira en psychanalystes : ils pourront ainsi, 25 ou 30 ans plus tard, réparer les dégâts enregistrés par la fréquentation précoce des rapports marchands sur les bébés devenus adultes de la première génération-biberon et trophées du néo-libéralisme triomphant.
Et le plus fort est que, après avoir mis à la charge du contribuable les errements des institutions privatisées, après avoir toléré que celles qui ne sont pas encore tombées en faillite rémunèrent grassement leurs actionnaires au détriment de leurs usagers, après avoir méthodiquement programmé l’exclusion des plus démunis du système de soins, après avoir gardé le silence face à la perversion du sens des valeurs chez nos enfants, il en est qui nous font la leçon.
C’est ainsi que notre inénarrable ministre du Budget, évoquant l’ampleur du déficit attendu de la Sécu, oubliant avoir lui-même contribué à vider les caisses l’instant d’avant à coups de bouclier fiscal, d’exonérations indues, de suppression de taxe professionnelle et autre TVA, concluait récemment un article donné au Monde "Il faut maintenant affronter la réalité, sortir de la caricature et de la critique facile." [6]l
C’est cela, sortons de la caricature, cherchez l’erreur !
Et si, à la liste de départ des candidats à la grande braderie des services publics, on ajoutait notre vedette : "ministre à vendre", ça aurait de la gueule, non ?