À propos de la proposition de loi sur la fin de vie

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Le débat sur le texte de la proposition de loi de Messieurs Alain Claeys et Jean Léonetti « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » commence le mardi 10 mars à l’assemblée nationale.
Cette Proposition de loi sur la fin de vie modifie l’actuelle loi relative [1] au droit des malades et à la fin de vie du 22 avril 2005 dite loi Léonetti

Les modifications :

Elles portent principalement sur deux points :

1) Les directives anticipées (art 8)
« Elles s’imposent au médecin, pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation. Si les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées, le médecin, pour se délier de l’obligation de les respecter, doit consulter au moins un confrère et motiver sa décision qui est inscrite dans le dossier médical. Un décret en Conseil d’État définit les conditions d’information des patients, de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées. Leur accès est facilité par une mention inscrite sur la carte Vitale ».

Ce qui change

  • Les directives anticipées « s’imposent » au médecin, alors que jusqu’à présent il devait seulement en « tenir compte »
  • La volonté de développer la procédure des directives anticipées est affirmée

2) Le droit à une sédation profonde et continue dans les cas précisés par la loi (art 3)
« A la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement sa vie, un traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie est mis en œuvre dans les cas suivants :
-  lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire au traitement ;
-  lorsque la décision du patient, atteint d’une affection grave et incurable, d’arrêter un traitement, engage son pronostic vital à court terme.
Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et dans le cadre du refus de l’obstination déraisonnable visée à l’article L.1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, le médecin applique le traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès.
Le traitement à visée sédative et antalgique prévu au présent article est mis en œuvre selon la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale, qui permet de vérifier que les conditions d’application du présent article sont remplies.
L’ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient ».

Ce qui change :

  • La notion de sédation profonde et continue est nouvelle, la loi de 2005 parlait de soulagement de la souffrance.
  • Mais pour que cette sédation puisse être mise en œuvre pour un patient, il faut toujours que son « pronostic vital soit engagé à court terme » :
    -  soit qu’il soit dans une phase terminale d’une affection grave et incurable avec une souffrance réfractaire au traitement ;
    -  soit qu’il soit atteint d’une affection grave et incurable et que sa décision d’arrêter tout traitement engage son pronostic vital à court terme.
    La loi ne supprime pas l’interdit d’accélérer intentionnellement la mort : la sédation profonde qui doit selon la loi être combinée à l’arrêt de tout traitement (y compris nutrition et hydratation artificielle), va entraîner plus rapidement la mort (dans son rapport le Comité Consultatif National d’Éthique parle de quelques heures à deux semaines) mais elle ne doit pas avoir pour but de la donner (c’est la question du dosage des traitements sédatifs).

Commentaire :
La proposition de loi dit dans son article 1° que toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée.
Elle soulève des questions importantes :

  • Quels changements de regards de la société pour que la fin de la vie soit reconnue comme partie intégrante de la vie ?
  • Quels moyens seront réellement mis en œuvre pour lutter contre le « mal mourir » dénoncé à juste titre ? [2]
    Quels moyens pour une meilleure formation des soignants, pour supprimer le cloisonnement entre soins curatifs et soins palliatifs ? Pour passer d’une culture médicale qui est de plus en plus celle de la toute puissance et du tout curatif à une culture d’écoute de la personne et de prise en charge globale.
    Quels moyens contre l’insuffisance d’accès à des soins palliatifs, contre les inégalités majeures face à la mort (inégalités selon les pathologies, les lieux de vie, mais aussi sociales, territoriales) qui sont aussi celles face à la vie.
    C’est toute l’organisation et le fonctionnement de notre système de soin et de santé que questionne la fin de vie. L’idéologie médicale actuelle et les choix politiques tant au niveau des réductions budgétaires, des modes de tarification à l’hôpital mais aussi en médecine de ville ne vont pas dans le bon sens.
  • Pourquoi la loi n’autorise-t-elle pas, pour celles et ceux qui en font, ou en ont fait la demande, l’aide à mourir sous la forme de suicide assisté ou d’euthanasie ?
    Un tel dispositif qui existe dans des pays comme la Belgique permet d’accompagner la personne consciente qui en fait la demande dans cette prise de décision si difficile, de vérifier que tout a bien été mis en œuvre pour lui permettre de vivre au mieux, et de l’assister si son choix de mourir est maintenu. Il permet si la personne en a fait la demande dans ses directives anticipées mais n’est plus consciente de ne pas prolonger la toute fin de la vie. Un tel dispositif ne supprime pas la gravité de cet acte, mais évite les accompagnements clandestins sans protocole établi, la culpabilité attachée à ces gestes illégaux, le risque de dérives éthiques et les peines encourues face à la loi.

mardi 10 mars 2015, par Marie Kayser

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