Une violence qui interroge

Un médecin manifestait - mais oui, vous avez bien lu : un médecin manifestait... - pacifiquement le 21 octobre dernier. Il témoigne : la violence viendrait-elle d’ailleurs que du côté que l’on croit ? Le lecteur appréciera.

Témoignage

Hier comme des millions de citoyens, je suis descendu dans la rue. Beaucoup de monde, moins de notables socialiste, mais plus de travailleurs, pas que les militants habituels mais beaucoup de petits groupes structurés par entreprises, pas que des fonctionnaires mais aussi des entreprises privées. Rien à voir avec les traditionnelles manifs du premier mai qui ressemblent de plus en plus à une fête du militantisme traditionnel.

Non, les manifestants étaient là pour faire du bruit, plus pour crier et gueuler que pour chanter. Beaucoup, beaucoup d’adultes entre 30 et 40 ans, ceux que le chômage menace, ceux que les fermetures d’usines conduisent à la misère et à la perte du tissu social professionnel. Comme si hier, ils prenaient une bouffée de chaleur humaine devant le risque de se retrouver dans le désert aride du chômage et d’être obligés de rester à la maison, sans travail, sans retrouver les copains du boulot.

Et puis aussi, comment les appeler ? Si je dis les enfants, je vais les vexer ! Si je dis les jeunes, ça va faire vieux con ! Et pourtant, j’ai rarement vu dans une manif des gamins aussi jeunes et virulents. Plus de lycéens que d’étudiants. Je ne sais pas pourquoi ? Ils étaient en tout cas bien présents, entre eux. Pas pour faire la fête, mais exprimant bien qu’ils ont compris les mensonges du gouvernement. Ils ont bien compris que la réforme des retraites n’a qu’une raison d’être : c’est de précariser davantage leur emploi futur en augmentant le chômage. Au plus économique cette réforme est une connerie, il faudrait mieux mettre les vieux au repos et faire travailler les jeunes puisque la seule chose qui compte, c’est la quantité de biens produite et comment elle est répartie. La manière de les produire ne compte pas économiquement, et il est plus logique que ce soient les jeunes qui produisent pour les vieux à la retraite plutôt que ce soient les vieux qui travaillent pour payer le chômage des jeunes. Cette réflexion politique était omniprésente dans la manif. Avec leurs mensonges grossiers, les gouvernants ont perdu leur combat. Ils nous imposeront peut-être leur réforme, mais ils ont perdu humainement face à la nouvelle génération.

Pendant la manif, j’ai entendu, qu’il valait mieux rester un peu après la manif, une ou deux actions spectaculaires étant prévues pour animer le centre ville bourgeois de Dijon un samedi après midi. Animations festives et pacifiques. Nous sommes restés un peu après la dispersion de la manif. Principalement les plus jeunes des manifestants, quelques centaines.

Les CRS bloquaient la place Darcy en un cordon serré, faisant face à des ados sans aucune protection. Le décalage est effarant, des jeunes sans armes, sans casques, face à l’armée. Les jeunes exprimaient une colère compréhensible, insultant les flics, leur jetant des projectiles. Mais comment exprimer la violence et l’agression policière qui bombardent des enfants avec des gaz lacrymogènes ? Qui provoquent en alignant des forces démesurées face à des manifestants qui veulent simplement faire fermer des magasins, bloquer un peu la machine économique qui a la prétention de broyer leur vie ? Bien sûr, trois poubelles ont brûlé, des plantes vertes en pot se sont retrouvées au milieu de la rue, en simulacre de barricades, mais comment exprimer autrement le refus de cette répression policière violente ? La presse qui parle de casseurs ment. Ils n’étaient pas avec nous, ils n’ont pas vu que les manifestant étaient partagés entre la peur de la violence et la colère ; entre le plaisir d’être ensemble là et l’envie de hurler la révolte. Personne n’était là pour casser, mis à part les CRS. Mais cela la presse ne peut pas le voir car elle reste au cul des CRS.

A un moment, le bruit a couru que les CRS bloquaient une rue perpendiculaire, je suis allé vérifier : la rue n’était pas bloquée mais je suis tombé sur une dizaine de mines patibulaires. Celui qui devait être leur chef a dit : « On se sépare en deux groupes, passez derrière le carrousel, on ne fait rien avant d’être au contact, faites attention ce sont des enfants, la cible, un homme d’un mètre quatre-vingt ».
J’ai essayé d’aller prévenir, mais ce n’est pas possible dans une manif, sans savoir de qui il s’agit. J’ai juste eu le temps de voir la technique d’approche de ces commandos qui arrivaient en prenant la manifestation à rebours, perpendiculairement, en se mêlant à la foule des badauds. Alignés en deux groupes de cinq, les derniers légèrement voûtés ou accroupis pour se cacher devant le premier, apparaissant ainsi anodin vu de loin. Certains avaient en main des matraques en T, d’autres avaient des Flash Ball d’une main et des vaporisateurs de gel lacrymogène de l’autre main.

L’attaque a été d’une violence inouïe, et tellement ciblée qu’il devait y avoir un éclaireur pour désigner la personne à attraper (ceci est une supposition car je n’ai pas eu le temps de le voir). Par contre la cohue à été intense, la rue s’est quasiment instantanément vidée. En quelques secondes, le tableau a changé, il ne restait que cette dizaine de policiers se répartissant les tâches. Un peu plus de la moitié en trois quart de cercle, brandissant d’une main les flash-ball, visant à l’horizontal, et de l’autre de gros vaporisateurs de lacrymo (sans doute 500ml). Ils ont projeté, à bout portants du gaz lacrymogène sur le visages des gens qui étaient autour de leur cible et qui cherchaient à s’interposer. Au centre de ce pseudo cercle, d’autres policiers (un peu moins que la moitié ?) immobilisant un jeune, le menottant bras dans le dos en lui tordant le bras. Le décalage de force démesuré ne justifiait aucunement un tel déchaînement de violence. C’était dérisoire. Etant bien habillé, je me suis approché du groupe en précisant que j’étais médecin et demandant aux policiers de ne pas forcer sur le bras et de ne pas être brutal. Un d’eux a cru nécessaire de me répondre que je n’étais pas officier de police judiciaire (avait-il un doute ?), et qu’il faisait son travail, j’ai pu lui répéter que j’étais médecin et que je veillais à ce qu’il ne brutalise pas cette personne.

La scène a été très rapide, le cordon de CRS, s’est rapidement déporté en aval de l’interpellation, il n’y avait plus de manifestant devant les flics. Ils sont alors descendus rapidement jusqu’à la place de la Libération, qu’ils ont occupée dans un déploiement de force impressionnant. Impressionnant est le mot car il ne restait que des badauds, et cette force affichée ressemblait surtout à un spectacle pour impressionner les badauds.

A proximité, j’ai rencontré un groupe de très jeunes dont trois étaient brûlés de manière importante aux yeux, ils ne pouvaient plus ouvrir les ouvrir, et heureusement étaient guidés par leurs copains qui les soutenaient. Avec l’un d’eux, nous sommes allés à la pharmacie pour acheter du phosphate d’aluminium et des serviettes hygiéniques absorbantes pour faire des pansements neutralisant l’effet des gaz lacrymogènes.

Réflexions

Voila ce dont je peux témoigner, j’ai essayé de me cantonner à la description des faits, sans interprétation. Cela n’empêche pas chacun de ressentir des émotions. En voici quelques unes.
Rien de ce que j’ai vu n’a fait croître ma révolte, Les flics ont été fidèles à eux-mêmes, toujours brutaux et provocateurs.
L’image du journaliste suivant les flics, protégé par le mot PRESSE avec sa caméra (ou appareil photo ?), et prenant les infos directement auprès des CRS est frappante.
Le comportement des dix policiers organisés en commando (divisé en deux), m’évoque les techniques d’enlèvement décrites au moment du coup d’Etat au Chili en 1973. Cette opération s’est déroulée, de la part des policiers, dans une ambiance violente et guerrière. Comme un combat de guérilla urbaine. Cela contrastait avec l’absence de défense des jeunes dans la manifestation, et le côté festif : nous étions heureux car, par peur, les boutiques chic du centre ville baissaient leurs rideaux et fermaient les magasins… rien de méchant.
J’analyse la disproportion des forces, la mise en doute d’un policier quand je l’ai calmement interpellé, comme un sentiment d’insécurité et de frustration chez eux. Il me semble que l’Etat forme ces jeunes policiers à la guérilla, avec une organisation assez performante. Et qu’au moment de passer à l’action, ils ont peur et ne sont soutenus que par la force du groupe. Pris individuellement, ce sont de grands benêts frustrés qui ne trouvent une raison de vivre que dans ces actions qui leur donnent une impression de virilité. Ils font plus pitié que peur.
Il me semble que le gouvernement, par cette répression a perdu sa guerre. Tous les lycéens de 2010 présents dans les manifs, face aux flics, ne pourront jamais se désolidariser de la révolte sous toutes ses formes. Quel que soit leur avenir, leur place dans la société, du côté de la révolte ou du côté du pouvoir, ils garderont ces images en tête, et sur ce point, le pouvoir a perdu.

lundi 1er novembre 2010

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