...Tout semble tranquille. Des mots de bienvenue nous
accompagnent.
Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo semble couler des jours normaux : des artisans
sont installés à même le sol, sur des trottoirs poussiéreux, les rigoles regorgent de détritus, le tout à l’égout
circule le long des trottoirs non asphaltés, les échoppes construites de bouts de tôle offrent des nourritures
peu appétissantes. Parfois, derrière un mur, on aperçoit une maison bien gardée par un « costaud » à l’air
féroce et l’on imagine alors une maison en construction solide. On voit là que les richesses sont bien plus
protégées que les citoyen-es. Peu de rues sont asphaltées. Une énorme avenue où sont installées les
ambassades, les ministères et les organismes internationaux, arbore une largeur de deux fois quatre voies, ce
qui semble assez absurde compte tenu de l’état de la circulation. Cette ville chaotique et bruyante et
traversée par une incroyable vitalité.
La RDC, colonisée par la Belgique, fête cette année le 50ème anniversaire de son indépendance. Le roi
Léopold et son appareil répressif d’occupation et d’exploitation a pu piller l’immense richesse de ce pays en
toute impunité, laissant derrière eux un pays extrêmement appauvri où aucune infrastructure n’existe. Rien
n’a été laissé en « héritage »...
Depuis lors, les gouvernements corrompus qui se sont succédés ont été plus soucieux d’alimenter leurs
comptes personnels dans des paradis fiscaux que d’apporter une solution à l’état du pays. A cet égard, les
transports à Kinshasa font figure de symbole de la désorganisation et de l’absence de services publics, avec
des conséquences cependant bien réelles pour la population. Après le milieu d’après-midi, il faut souvent 3 à
4 heures pour rentrer chez soi, entassé dans des minibus bondés dont les tronçons ne dépassent pas quelques
kilomètres. Les coupures d’électricité sont quotidiennes dans la capitale, alors que le pays produit et exporte
de l’électricité grâce au débit du fleuve Congo.
La RDC est en fait un pays riche, très riche. Des mines d’or, de diamants, de coltan, minerai rare utilisé
pour la fabrication des téléphones, mais aussi de cassitérite (dont on extrait l’étain aujourd’hui essentiel à
l’industrie électronique), d’aluminium, de pétrole, ou de minerais rares utilisés dans l’industrie lourde… Le
Congo abrite aussi l’essentiel de la plus grande forêt d’Afrique, deuxième plus grande forêt du monde.
Mais cette richesse ne profite pas à la population. Au contraire, elle semble faire son malheur : au Kivu, les
bandes armées, en partie héritées du déplacement du conflit ethnique du Rwanda voisin, en partie
composées de soldats de l’armée congolaise ou de groupes rebelles des pays de la région des grands lacs,
ont orienté leur activité vers l’exploitation minière. Ils vident les villages de leurs habitants, pillant et violant
au passage, ou forçant les villageois à extraire les minerais affleurant. Les minerais passent ensuite par
contrebande dans les pays voisins où ils sont achetés par les multinationales avides de matières premières
bon marché. Multinationales indifférentes et même complices de la présence de ces forces armées diverses,
de l’absence totale de régulation et de droit (impunité pour la violence, corruption des douanes…), et des
violences que subit la population dans la région, particulièrement cruelles envers les femmes. Une violence
si présente et depuis si longtemps que, désertant les champs, la population connaît aujourd’hui des
problèmes de faim dans cette région volcanique aux terres fertiles.
Ce n’est pas un hasard si ce sont dans les régions minières que les violences envers les femmes sont les plus
nombreuses et les plus extrêmes. Là, se rejoignent la violence économique, les violences ethniques et celles
d’une armée régulière qui, dans l’impunité la plus totale, commet elle aussi, les actes les plus barbares.
Lorsque les femmes congolaises de la Marche Mondiale des Femmes nous ont demandé, lors de la réunion
internationale en 2008 à Vigo, de clôturer au Sud Kivu la 3ème MMF de 2010, nous n’avions pas mesuré
toute la détresse et l’extrême violence que vivent les femmes et les enfants dans cette région de l’Est du
Congo. Ce que nous en savions était suffisant pour nous persuader de l’importance d’aller soutenir nos
amies, compagnes de lutte, dans cette région reculée. Les femmes y sont violées par milliers (15 000 viols
en 2009 selon l’ONU) des actes de violence les plus extrêmes y sont perpétrés afin de détruire
physiquement et psychologiquement les femmes - mais aussi les hommes et les enfants, et, à travers elles,
toute capacité de lien social, de vie villageoise, de vie familiale.
Aller à leur rencontre est un évènement principal, à la fois pour nous et pour elles. Notre solidarité est là
pleinement à l’oeuvre. A travers nous, dès notre retour, le témoignage de leur détresse, l’abominable
condition que vivent les femmes congolaises, sera mise à jour. La presse internationale ne pourra plus les
ignorer, et les autorités congolaises, tant locales que nationales, devront se sentir responsables d’agir pour
faire cesser ces violences qui persistent, particulièrement au Sud et Nord Kivu.
Nous avons accepté d’être leur porte voix, d’amplifier les informations, de nous tenir informées
régulièrement pour maintenir un réseau d’information, pour qu’elles sortent de l’anonymat, de l’oubli et de
l’indifférence.
Face à la récupération extrêmement bien orchestrée par les autorités locales et par le gouvernement, nous
avons maintes fois réfléchi à ce qui nous avait amenées au Congo, aux objectifs que nous nous étions fixés,
aux valeurs qui nous animent.
Le gouvernement de RDC, après avoir, dans un premier temps, refusé de recevoir ces femmes venues du
monde entier porter un oeil critique sur ce que vivent les femmes du Sud Kivu, a fait un chantage sur les
femmes de la Coordination de la MMF au Congo qui se permettaient d’amener des étrangères pouvant
« porter tort au pays ». Ne croyant pas à notre capacité de construire notre projet à Bukavu, les autorités ont
d’abord négligé la MMF puis, compte tenu de notre ténacité, elles ont décidé de s’approprier notre action en
la récupérant. Nous avons alors été complètement débordées : le protocole de la Présidence, le Ministère du
« Genre », la Femme du Président, tout était en marche pour que notre action soit entre leurs mains,
récupérable pour les élections présidentielles de l’année prochaine.
Dans les doutes et notre envie parfois de nous extraire d’une telle toile d’araignée, c’est l’intérêt des
femmes victimes qui nous a guidé. Pour elles, la présence de la presse internationale (BBC, CNN, AFP,
Reuters, etc.), la venue dans leur village de la Ministre du « Genre » et de Mme Kabila, la parole des
autorités locales qui enfin reconnaissaient les atrocités qu’elles avaient vécues, pour elles, tout cela était
d’une grande importance. Elles savaient que c’est à cause de nous que ces déplacements et ces prises de
parole ont eu lieu, elles nous ont remerciées chaque fois que nous les avons croisées.
Il nous faut maintenant être vigilantes pour que les promesses faites en notre présence ne soient pas que du
vent, pour que l’impunité cesse, pour rappeler à ceux qui ont bénéficié de notre présence au Congo que
nous sommes toujours présentes auprès des femmes congolaises pour défendre leur intégrité, leur respect et
leurs droits. Il faudra veiller à ce qu’aucune parole prononcée lors de notre Forum ne fasse l’objet d’une
quelconque répression. Nous porterons cette vigilance et cette responsabilité auprès des femmes qui ont
accepté de témoigner en public et qui ont osé dénoncer les injustices et l’impunité.
Notre mouvement, mis à l’épreuve de sa cohérence et de sa capacité de compromis sans compromission, a
mis toute son intelligence dans les réponses que nous pouvions apporter à une telle situation. Les déléguées
des différents pays ont toujours pris la parole pour réaffirmer nos principes, nos valeurs, nos choix,
politiques, féministes, anti-capitalistes et anti-militaristes.
Marquer notre différence à travers notre démarche, notre parole, notre contact avec les femmes présentes,
ne pas porter tort aux femmes qui nous recevaient à Kinshasa, à Goma ou à Bukavu, réaffirmer notre
solidarité pleine et sans frontières avec les femmes victimes des valeurs machistes, sexistes, guerrières et
haineuses, voilà ce qui nous a permis de continuer, de ne pas baisser les bras, de relever la tête et de nous
mêler à la foule des anonymes avec qui nous avons marché.
Plus que jamais, là, à BUKAVU, notre slogan prenait tout son sens :
« Tant que toutes les femmes du monde ne seront pas libres, nous marcherons »