La lecture dans les salles d’attente des médecins : Acte II !

Répondant à l’intérêt suscité par ce débat improvisé, Pratiques en publie la suite récente.

Dr M

Il m’a fallu plus d’une semaine pour réfléchir à ma pratique en qui concerne la salle d’attente et ses lectures et pouvoir en parler sans être trop rongé par le remords.

Il faut d’abord que j’explique que je travaille dans un centre médical pluridisciplinaire où nous sommes trois médecins. Même si professionnellement notre association est de qualité, nous avons des sensibilités assez différentes.

Ma salle d’attente est le reflet de ce drôle de meltingpot...
D’un côté s’accumule la littérature promotionnelle et ses petits dépliants, de l’autre Match, Gala et autres tabloïds insipides...
Au milieu de tout çà, j’avoue que je ne me sens pas très à l’aise, mais je n’ai pas le courage de bousculer ce statu quo (non, pas de groupe de Rock !). La seule chose que je fais, c’est le vide lorsque j’en ai le courage.

Ce qui me met le plus en rage ce sont les affichages sauvages que l’industrie du médicament arrive à faire, sans qu’on sache comment, avec des affiches plastifiées très légères et électrostatiques, qui se plaquent sur nos murs en un clin d’œil, ni vu ni connu... Alors là, je dis stop ! J’arrache tout, et les petites plaquettes qui vantent le traitement des mycoses unguéales avec !

La dernière en date que j’ai censurée, c’est celle qui, tel un film d’épouvante, décrit une sortie en boite qui tourne au cauchemar avec l’arrivée d’une méningite foudroyante. Vieux truc pour générer un sentiment de panique et inciter le consommateur/patient à demander à son médecin de prescrire le vaccin contre le méningocoque ! Sarko et sa bande avaient également essayé de nous embobiner sur le même registre avec l’H1N1, mais ça n’avait pas marché...

Alors je rêve !
Je rêve d’une salle d’attente où l’on pourrait passer des heures sans s’ennuyer, où l’on resterait assis confortablement dans des fauteuils moelleux ou sur des tapis accueillants, où les patients resteraient tranquilles, calmes, à discuter entre eux, à jouer avec les enfants, sans cris ni disputes, sans tentatives de resquillage.
Je rêve d’une salle où l’on pourrait avoir des jeux de qualité pour les enfants et les plus grands, où tous auraient accès à des informations de qualité sur leur santé, Avec des documentations de l’INPES très diverses qui permettraient d’initier avec nos patients des démarches de soins plus partagées. Avec des revues intelligentes comme Causette, XXI, Alternatives Économiques, Que choisir Santé, etc.
Avec des livres, des vrais, que nos patients feuilletteraient ou pourraient emporter, pour ensuite les ramener, Avec des BD qui seraient pour tous les âges et et des albums de jeunesse qui donneraient à nos familles les plus défavorisées la chance d’un accès à la lecture.
Je rêve enfin pouvoir laisser en libre service la "collection" de Pratiques, pour que chacun y puise le sens de l’énergie qui m’anime et que je désire tant partager.
Je rêve que cela soit déjà un lieu de prévention, avec l’intervention d’un _ promoteur de santé comme cela existe dans des lieux de soins telle la Case de Santé à Toulouse.

Je rêve, oui, mais les yeux grand ouverts, C’est peut être ça, ma Médecine Utopique ?

Dr N

J’ai des salles d’attente de ce type, mais je bosse en PMI ; pour mes consultations (ados surtout), j’ai ajouté, en plus des jouets et docs INPES, mes Causette, Inrocks, Fluide Glacial, des revues d’Histoire et de Philo, histoire que les mômes puissent réviser, des bouquins et BD, dont les Twilight en anglais, excellents pour motiver les minettes à travailler l’anglais

Dr K

En réponse à vos différents mails, et en particulier à celui du Dr A, je dois tout d’abord vous remercier pour ces stimulants échanges autour d’un sujet apparemment annexe, mais qui prend tout son sens actuellement même...

Je me demande pourquoi il n’y a que de la presse de droite (le point,
l’express, paris match, elle, jour de france, marie claire, Mme 
figaro...).
Je me demande aussi pourquoi c’est "normal" de ne trouver que des
revues de droite dans les salles d’attentes des toubib ? est-ce
déontologique ?

Réponse proposée : une vieillerie sociopolitique mais qui pèse lourd : en France seule la droite serait "légitime", notamment en économie, la gauche ne saurait que gaspiller et jamais faire prospérer… Les médecins sont quand même plus souvent proches de cette légitimité là que d’une autre… La question déontologique dès lors passe à la trappe… Ou encore : seule la (presse de) droite est neutre et apolitique. La presse de gauche est elle tendancieuse, partisane et idéologique, c’est bien connu…
Conclusion : dans les salles d’attente, une presse « neutre » pour la majorité silencieuse qui souffre…

Je me demande quel est l’impact de ces revues sur la population qui
inévitablement va chez le médecin et les consulte en attendant...

Nous le saurons de manière certaine à 20 heures ce soir… Je crois qu’il faut quand même créditer nos patients d’un minimum de discernement, je suis psychiatre et je m’autorise à dire que je sais de quoi je parle.
Il y a parfois de sacrées surprises, des « discordances » entre niveau d’instruction et capacité d’analyse critique de différents phénomènes sociaux, que ce soit en psychothérapie ambulatoire ou dans l’exercice intra-hospitalier. Des patients ont ainsi été très meurtris des déclarations du Président sortant sur la psychiatrie. »Nous ne sommes pas des monstres », m’a dit une patiente.

Bonne soirée électorale, c’est le dépouillement qui nous attend de toute façon…

dimanche 6 mai 2012

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