C’est toute une génération de médecins qui a construit les outils de notre indépendance professionnelle :
Pourquoi écrire cela aujourd’hui ?
Comme tous les médecins abonnés au service « dgs urgent », j’ai reçu, le 10 décembre, pour application immédiate, un mail émanant du ministère de la santé :
« Compte tenu de la progression de la pandémie sur le territoire et de l’augmentation des hospitalisations et formes graves, les recommandations de prescription des antiviraux ont évolué.
Les nouvelles recommandations sont les suivantes et prendront effet le 10 décembre :
_ La prescription du traitement antiviral est systématique chez le patient présentant une grippe clinique(...) pour faciliter l’accès aux traitements, le stock d’Etat d’antiviraux va être livré dans les officines de métropole à partir du 21 décembre. Ce stock est composé de deux formes galéniques d’oseltamivir (le Tamiflu 75 mg, sous forme de gélule, à usage adulte et l’oseltamivir PG 30, sous forme de comprimé sécable dispersible, adapté à l’enfant) (…)
Aucun argumentaire scientifique, aucune explication, alors que les données concernant l’utilisation des antiviraux dans la grippe sont, dans l’état actuel des connaissances, peu établies [1]
, nous devons obéir, et immédiatement !
Que faire ?
Obéir sans réfléchir : les spécialistes savent mieux que moi ? Et c’est là que je suis brutalement projeté 30 ans en arrière. J’avoue humblement que cela ne correspond pas à mon tempérament.
Désobéir, et prendre le risque qu’un de mes patients développe une forme grave, forme qui n’aurait probablement pas été évitée par la prescription d’antiviraux, mais lui ou ses proches me croiront-ils ?
Prendre mon patient à témoin, rédiger la prescription d’antiviraux sur une ordonnance préétablie avec la mention : « cette prescription est établie sur injonction du ministère de la santé et en contradiction avec les données actuelles de la science. Je décline donc toute responsabilité » . Mais les personnes qui me consultent souhaitent être rassurées, pas inquiétées. Alors, je prendrai le temps qu’il faut pour expliquer.
Vous pensiez pouvoir m’obliger à prescrire, vous ne m’ empêcherez pas de parler à ceux qui me font confiance.
Ce que je sais, c’est que le mépris, les consignes contradictoires, l’obligation d’agir à l’encontre de ses valeurs, la nécessité de ne pas appliquer certaines procédures pour produire un travail efficace sont les déterminants connus de la souffrance morale au travail. Ce que je sais, c’est que je vis intensément cette intrusion dans mon indépendance professionnelle comme une agression.
Je sais aussi que face à la souffrance morale au travail, il y a trois issues : la fuite, le combat ou la maladie... J’ai choisi.