Gare à la langue !

Le 6 janvier 2017, le journal le monde publiait un article intitulé Qu’est-ce que le « délit de solidarité » ? introduisant encore un peu plus l’expression dans les médias. À force de répétition, l’expression est utilisée aujourd’hui sans plus aucun guillemet. Ainsi a-t-on pu l’entendre lors des débats, par ailleurs excellents, sur la Chaîne parlementaire LCP, sans plus aucune distance, ni recul, comme un raccourci permettant d’aller à l’essentiel de la discussion. Les médias sont-ils les seuls en cause ? Non. Le GISTI lui-même dès 2009 a introduit l’expression sur son site.

Ne doutons pas qu’elle a été introduite pour heurter, réveiller, et rallier l’opinion en télescopant ces deux termes : Délit et Solidarité . Mais aujourd’hui qu’en est-il ? N’est-ce pas l’effet inverse qu’elle produit ? N’est-ce pas habituer l’opinion à la cohabitation de ces deux termes, et ainsi au glissement vers l’idée que la solidarité puisse faire plus de mal que de bien, jusqu’à constituer un délit, alors que l’expression elle-même n’est intégrée dans aucun texte juridique ?

N’y a-t-il pas là une somnolence, une apathie, ou une confiance aveugle dans la langue, de la part des organisations elles-mêmes qui contestent cette stigmatisation, auxquelles s’ajoutent les médias, contribuant à leur insu et aussi à leurs dépens à répandre et ainsi déconcerter une certaine mobilisation de l’opinion ? Et à instaurer en quelque sorte une certaine résignation par le matraquage de ces deux termes dont les significations portaient jusque-là une charge répulsive réciproque. Dit en langage simple, on s’y habitue. À quand une prise au sérieux de la langue et du discours, au-delà de sa valeur instrumentale, c’est-à-dire dans sa valeur signifiante ? À savoir prendre en compte sa plasticité qui, aujourd’hui, à une vitesse bien plus grande qu’hier, mute les significations dans l’opinion en seulement quelques années, voire quelques mois ? Il s’avère en effet qu’un mot, une expression, corrélée au contexte où elle a pris naissance, forgée pour nommer une situation, véhicule une puissance interprétative dont la justesse se mesure à l’aune du contexte où elle naît : personne ou groupe qui l’énonce, état de l’opinion à laquelle elle s’adresse, contexte social et économique, etc.

Aujourd’hui ces variables s’infléchissent en très peu temps, décontextualisant à grande vitesse ces signifiants, qui voient leur signification échapper et changer de direction interprétative, voire l’inverser, au grand dam de ceux qui les ont produits. N’est ce pas ce à quoi nous assistons avec l’expression Délit de solidarité ?


mardi 27 février 2018, par René Fiori

Lire aussi

Les chroniques de Jeanine l’orthophoniste

27 août 2024
par Isabelle Canil
Isabelle Canil nous raconte la vie de Jeanine, une orthophoniste tour à tour amusée, fatiguée, émouvante, énervée et toujours pleine d’humour, une orthophoniste humaine, vivante et donc complexe, …