Euthanasie : Emmanuelle Frayssac à Anne Perraut Soliveres : la non-dignité et ses dérives.

Je me lance dans le débat passionnant que je vois s’afficher à l’écran, merci à vous de provoquer la réflexion, soit par l’accord avec vos propositions, soit par désaccord, en tous les cas, et surtout pour un sujet pareil, ce qui importe me semble-t-il, c’est cette mise en questionnement, cette épreuve du "désaccord irréductible" qu’évoque Jacques en passant par Ricoeur, y compris avec soi-même...

Si pour un sujet pareil qui touche radicalement aux frontières délicates de la vie et de la mort, du pouvoir de guérir des médecins et de leur pouvoir corrélatif de tuer, de l’acte bienveillant d’aide de l’autre qui peut, et ce serait le même geste, être un acte homicide, on simplifiait tout par l’accord, alors il faudrait tirer la sonnette d’alarme... Il me semble que sur cette question ce sont les thèses des gens qui sont en accord avec eux-mêmes qui sont dangereuses... Car les gestes qui sont en jeu sont sur cette subtile ligne de partage entre ce qui relève du légitime et ce qui relève de l’illégitime, et d’après moi ce qui fait qu’on penche vers le légitime plutôt que dans l’illégitime ne relève que de la pure singularité du cas.

-  Alors, est-ce que la loi qui par essence dit le général, pose une norme générale, est à même de dire ce que dans l’absolue singularité des cas il convient de faire ? Cette ligne de partage voire ce point de partage doit-il devenir légal, ou bien rester un point de questionnement sur la légitimité à assumer par le médecin ? Parce qu’à situations comparables la loi peut prescrire le même traitement légal : or deux situations comparables aux yeux de la loi peuvent être totalement irréductibles dans l’ordre de l’existence, il suffit d’être passé devant un juge aux affaires familiales pour une simple affaire de divorce ou de garde d’enfants pour le savoir, et là, on n’est pas dans une question de vie ou de mort...

Je pose donc la question : quel intérêt a-t-on pour ces questions de fin de vie à passer de l’espace de questionnement sur la légitimité, espace où la loi se tait, laisse des trous, des espaces hors droit (est-elle "hypocrite" pour autant ? Ou plutôt prudente ? A mon avis, il faudrait questionner cette prétendue "hypocrisie de la loi" qui est peut-être à apprécier moins négativement) laissant la possibilité aux individus de se mouvoir sans le recours à la norme, à l’ordre de la légalité, du traitement par la norme ? Quel intérêt et l’intérêt de qui ?

-  Effectivement Jacques il me semble que de façon générale on doit se défendre d’utiliser l’argument de la non-dignité de certaines existences, parce que c’est clair que c’est la porte ouverte à toute les dérives... Postuler que tout sujet humain est digne, quel que soit son état de santé ou d’"altération" physique ou morale, je ne veux pas dire "déchéance" exprès.. Quels concepts avons-nous sous la main pour dire cela : que l’existence humaine ne déchoit pas, jamais d’elle-même ?

Il est clair que je ne nie pas du tout que soi-même, on puisse se sentir déchu, indigne, misérable, dans son expérience subjective : et c’est là effectivement que peut intervenir l’autre, qui peut ramener, rappeler l’autre à sa dignité, au-delà de ses impuissances physiques ou mentales...

Strictement séparer ce que dit le sujet de lui-même et ce que les autres disent de lui. La notion de non dignité n’est utilisable qu’à la première personne du singulier de celui qui se vit déchu. Refuser toute objectivité à cette notion. Et même Anne peut-être que l’empathie que tu évoques (tu dis que tu te positionnes face à l’autre comme pouvant être atteinte toi aussi par une vie insupportable) doit être maniée avec précaution, car c’est déjà une façon de poser objectivement que la vie d’un tel est insupportable. Tu dis insupportable, bien sûr tu ne dis pas indigne..

Et alors, du coup, par quoi remplacer d’autre l’argument de la dignité ?

Au nom de quoi demander un droit de mourir ou poser la légitimité d’un accompagnement médical vers la mort ?

mardi 6 janvier 2009

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