Compte-rendu de la réunion du 9 avril 2009, à l’Île lettrée

Pratiques a réuni la rédaction de la revue et les lecteurs autour de Éric Hazan, de Smaïn Laacher, de Muriel Bloch et d’autres auteurs du numéro P 44, sur la place du langage et du récit dans le soin : parler et (se) soigner.

Éric Hazan précise d’emblée que la question du langage est en train de changer. Son livre paru en 2006 sur la LQR, la langue de la 5e République, en référence au livre de Victor Klemperer sur la langue du 3e Reich, évoquait l’euphémisation comme outil de pouvoir masquant les conflits et les rapports de force.

Par exemple, les pauvres deviennent des gens de condition modeste, les opprimés deviennent les exclus, l’usage du mot social, est dévoyé : plan social est l’expression employée pour dire licenciement collectif.

Mais depuis peu, il est apparu un autre langage, celui de la logique entrepreneuriale, où depuis l’Etat jusqu’à l’individu, tout est géré selon un modèle recette -dépenses, où la notion du bien commun est gommée. Si quelqu’un est confronté à des malheurs, c’est qu’il a mal géré sa vie.

Pour Éric Hazan, le pouvoir effectue des tests actuellement, pour habituer la population au contrôle et à l’asservissement, donc à une augmentation du pouvoir de la police

Il affirme que le pouvoir utilise actuellement deux concepts pour asseoir le pouvoir de ceux qui détiennent déjà richesses et pouvoir : la chasse aux étrangers et l’antiterrorisme.

La politique de reconduite aux frontières n’est pas mise en oeuvre pour régler le problème de l’emploi, 25000 personnes de plus ou non ne pèsent en rien sur les chiffres du chômage. Cette politique est faite pour habituer la police (et donc la population) à accepter l’inacceptable.

De même, le thème de l’antiterrorisme est là pour couper court à toute velléité de révolte. Le traitement par les medias de ce qui se passe consiste à faire l’amalgame entre révolte et terrorisme : dans le JT de France 2, la couverture des manifestations de Strasbourg contre l’OTAN a été suivie d’un sujet sur les Brigades Rouges et sur l’affaire de Tarnac.

De même, le gouvernement teste la population en criminalisant l’aide aux sans –papiers.

La question du langage se situe donc aujourd’hui dans un contexte de durcissement du pouvoir, dans ce qu’Éric Hazan nomme une réalité masquée de guerre civile.

Smaïn Laacher, sociologue, juge assesseur représentant le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), a tout d’abord explicité la spécificité de cette instance juridique qui examine les demandes d’asile rejetées (actuellement plus de 80%) par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). La CNDA est la seule juridiction française à ne traiter que des dossiers d’étrangers, un interprète est toujours présent. Mais dans ce lieu, des échanges de paroles vraies sont particulièrement compliqués puisque la personne qui fait une demande doit pouvoir faire état de persécutions ou de menaces sans être à même de savoir quelle présentation ou quels arguments pourront entraîner l’adhésion des juges.

Matthieu Faillot du ciné-club Cinéthique de la Faculté Pitié/Saint Antoine a fait part de la difficulté pour la majorité des étudiants qui n’ont comme préoccupation immédiate que les examens, à venir au ciné-club mais aussi de la richesse des échanges après la projection avec un invité sur des questions de société. D’autant qu’à l’hôpital, les étudiants apprennent leur métier auprès de médecins qui cantonnent parfois leur travail à l’établissement de diagnostic et d’ordonnances, sans imaginer qu’une aide au niveau du social fait aussi partie de leur tâche, comme par exemple la rédaction d’un certificat médical pour un patient qui a besoin de rester en France pour continuer ses soins.

Enfin, Muriel Bloch, avec son talent et sa générosité, a fait le cadeau à l’assistance de trois contes émouvants où il était, bien sûr, question de mort et de vie. Pour elle, le conte n’est pas fait pour soigner, mais par contre il peut apporter du réconfort et faire partager des moments de bonheur. Dans l’assistance, après avoir écouté Muriel Bloch, il a été évoqué comment le détour du conte peut aider chacun à se poser les questions vitales et ainsi aider les soignants à mieux se situer dans leur rencontre avec les patients.

Muriel Bloch, à l'Ile lettrée

D’autres auteurs qui participent de près au travail de la revue ont évoqué leurs interrogations. Notamment Christiane Vollaire, philosophe, a abordé les constructions juridiques du déni du droit à partir de la question des réfugiés et rappelé comment la parole politique ordinaire est inducteur de confiance, là tout doit pousser à la défiance. Chandra Covindassamy psychiatre psychanalyste a évoqué le notion de sérendipity, ou zadigacité, comme aptitude à accueillir une bonne surprise, une trouvaille comme un des outils précieux dans la rencontre avec l’autre.

Le débat avec le public a été large, englobant le champ du numéro depuis la dénonciation des usages du langage par ceux qui détiennent le pouvoir, à la richesse de l’appui que peut donner la création artistique. Tout cela, grâce à l’hospitalité de Samia Berramdane, qui anime la librairie de L’île lettrée, bd Magenta à Paris .

Débat qui donne envie de se retrouver lors d’autres rencontres à l’avenir.

mercredi 20 mai 2009

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