Communiqué du CIPPA – Juin 2020

Bernard GOLSE [1]

Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes et membres associés, s’occupant de Personnes Autistes

  1. Contribution au Ségur de la santé : Sauvons la pédopsychiatrie !

La pédopsychiatrie se trouve aujourd’hui en très grande difficulté alors même qu’il s’agit d’une discipline d’une richesse conceptuelle extrême qui devrait être l’honneur et le fer de lance de la médecine dans son ensemble.

Fondamentalement transdisciplinaire (ce que traduit la composition pluri-professionnelle des équipes de pédopsychiatrie), la pédopsychiatrie se réfère de plus en plus à une causalité — ni seulement endogène, ni seulement exogène — mais épigénétique incluant les effets de l’environnement dont il est tant question désormais.

Sa complexité est une richesse qui suppose des processus de formation et de transmission particuliers ainsi que des moyens financiers suffisants pour pouvoir mettre en œuvre sur le terrain clinique cette vision du sujet intégré à son environnement, de son développement et de ses troubles.

  1. La crise actuelle de la pédopsychiatrie

La pédopsychiatrie se sent perdue et décontenancée : elle peine à faire prévaloir dans le champ des troubles mentaux un modèle polyfactoriel qui tienne compte à la fois des déterminants internes (endogènes) et des déterminants externes (exogènes) du développement psychique, et de ses troubles au moment même où la vision des troubles mentaux en général — mais en particulier ceux de l’enfant et de l’adolescent — se trouve écartelée entre deux pôles diamétralement opposés.

Ainsi, ces troubles sont aujourd’hui considérés soit comme de nature purement endogène et quasi neurologique, soit considérés comme de nature purement exogène, d’origine traumatique ou réactionnelle. La pédopsychiatrie se voit alors menacée d’un clivage entre une composante biologique et une composante sociale.

À l’inverse, le défi de la psychopathologie consiste à tenter de nouer, d’intriquer, de tresser ensemble les déterminants internes et les déterminants externes de ces différents troubles afin de travailler à leur interface et de pouvoir ainsi aboutir à un diagnostic structural et à une stratégie thérapeutique qui soient véritablement spécifiques de chaque patient.

La psychopathologie continue certes à être enseignée dans les facultés de psychologie, mais il importe tout de même de souligner que ce concept est aujourd’hui en grand danger  ! Comme s’il était définitivement obsolète, bon à être ranger, sans hésitation aucune, au rayon des accessoires démodés...
Ainsi, un médecin peut, hélas, terminer ses études de médecine sans avoir même entendu le terme de « psychopathologie » sauf s’il se destine à la psychiatrie ou à la pédopsychiatrie, et encore...
Ceci est plus que regrettable car, à bien y réfléchir, le concept de psychopathologie demeure d’une indéniable modernité épistémologique.
Qui dit psychopathologie ne dit pas seulement psychopathologie psychanalytique même si c’est celle-ci qui est la plus ancienne et la plus approfondie jusqu’à maintenant.
Il existe également une psychopathologie attachementiste, une psychopathologie cognitive, une psychopathologie systémique, une psychopathologie développementale et même une psychopathologie transculturelle, d’où la nécessité d’un véritable plaidoyer pour parler de psychopathologies au pluriel et non pas de la psychopathologie au singulier.

Se référant par essence à un modèle poly factoriel (inférentiel et fondé sur une temporalité circulaire qui inclut les effets de l’après-coup), la psychopathologie ménage par ailleurs tout naturellement en son sein, nous l’avons dit, une place pour une causalité épigénétique dont l’avènement est d’ores et déjà prévisible dans des délais relativement proches.

Il est donc indispensable que les collègues les plus jeunes et ceux qui sont encore en cours de formation, puissent avoir accès à une démarche diagnostique dynamique et structurale, seule à même de leur éviter une pratique opératoire, monotone, purement descriptive, linéaire et finalement assez peu créative, et qui évacue bien trop souvent la dimension du sujet et de sa famille.

En 2014, G. Stanghellini, R. Matthew et B.R. Broome, éditorialistes du British Journal of Psychiatry [2]— prenaient clairement position en affirmant que la psychopathologie devrait constituer « le cœur de la psychiatrie et que son enseignement devrait être un passage obligé de la formation des professionnels de la santé mentale ainsi qu’un « élément-clef » partagé par les cliniciens et les chercheurs dans ce domaine. Leur argumentaire impressionnant témoigne d’un courage conceptuel en opposition avec la pensée unique du moment.

  1. Les raisons d’une telle crise

Plusieurs sources du présent malaise concernent tout particulièrement la pédopsychiatrie :
Tout d’abord, le difficulté de le pédopsychiatrie à définir son modèle de référence, qui se situe quelque part entre le modèle pédiatrique ou médical (mono factoriel, déductif et se référant à une temporalité linéaire) et le modèle psychopathologie poly factoriel évoqué ci-dessus, avec un clivage marqué, les pays anglo-saxons se référant au premier et les pays d’Europe du sud se référant plutôt au second.

La destruction progressive de la politique de sectorisation qui était porteuse d’un idéal démocratique, d’un objectif d’accessibilité aux soins pour tous et d’un souci de prévention dans le champ d’une (pédo) psychiatrie de proximité au sein de la société.

La mise en place de filières spécialisées dans le dépistage, le diagnostic et la prise en charge de troubles tels que les troubles neurodéveloppementaux qui occupent le devant de la scène au détriment des troubles et des souffrances peut-être moins spécifiques mais pourtant bien réels.
On sait que cette organisation des dispositifs de soin laisse sans solution la plus grande partie des enfants qui présentent une souffrance psychique non étiquetable au sein des classifications internationales actuelles et qui fait souvent partie de ce que l’on peut appeler les « variations de la normale ».
C’est là une conséquence nocive de ces classifications qui ne peuvent pas être conçues de la même manière pour les troubles somatiques et pour les troubles mentaux : il n’y a pas de continuum entre le normal et le pathologique pour les premiers alors que ce continuum est justement fondamental pour les seconds.

Un formidable manque de moyens : Les actions publiques menées dans le champ de l’autisme depuis une quinzaine d’années sont une source d’enseignements. Aucune recommandation, aussi utile qu’elle puisse être, ne peut avoir d’effets si elle n’est pas assortie de moyens suffisants et si elle ne s’intègre pas dans une vision globale du problème incluant les relations entre les usagers et les professionnels. Le nouveau regard porté par le ministère des solidarités et de la santé sur les difficultés de la pédopsychiatrie est évidemment une bonne nouvelle, mais il est essentiel que les mesures proposées ne soient pas des cache-misères.
La création de postes hospitalo-universitaires sur tout le territoire est d’une importante vitale tant il manque d’enseignants : dans sept régions, il n’y en a aucun aujourd’hui ce qui rend la formation des futurs
pédopsychiatres impossible !

Le manque d’attractivité des carrières hospitalières pour les professions de la santé dans leur ensemble est critique. De nombreux professionnels sont sous payés, et maintenus dans des statuts précaires sans évolution. Le recrutement de certains d’entre eux devient même impossible (les orthophonistes). Plus spécifiquement, il importe, de manière urgente, de revaloriser la profession de pédopsychiatre qui connaît aujourd’hui une grave crise des vocations.
Dans le nouveau modèle de formation des internes, l’éventuel choix de la pédopsychiatrie va se faire trop tôt dans le cursus et sur la base d’un unique stage obligatoire en pédopsychiatrie.
Au contraire, la sensibilisation à la pédopsychiatrie doit pouvoir se faire de manière plus efficace et plus stimulante dès le deuxième cycle des études médicales, et tous les externes devraient avoir la possibilité d’effectuer un stage dans un service de pédopsychiatrie.
Quant à l’attractivité de la profession, il est indispensable de repenser le système de remboursement des consultations de pédopsychiatrie, un simple rehaussement du tarif de la consultation ne suffira pas. Rappelons avec vigueur que le temps et la parole sont nos principaux outils de travail et que dans la perspective de l’éducation thérapeutique et de l’accompagnement thérapeutique, nombre d’interventions pédopsychiatriques ne peuvent être pensées que dans la durée.

Quant à la recherche en pédopsychiatrie, elle ne saurait bien sûr se résumer aux seules recherches neurobiologiques ou génétiques (essentielles mais insuffisantes). Elle doit aussi inclure des recherches dans le domaine de l’épidémiologie et des sciences humaines afin de permettre aux cliniciens de terrain de bénéficier concrètement des avancées de ces recherches.

  1. Quelques propositions de gouvernance et d’organisation

L’intégration de la pédopsychiatrie à la société est encore plus indispensable que pour les autres disciplines du champ de la santé.
C’est en effet la manière dont la société voit et considère le développement psychique des bébés, des enfants et des adolescents — ainsi que les troubles de ce développement — qui se trouve ici engagée.
Un enfant n’est pas une mosaïque de fonctions neurophysiologiques ou cognitives.
Il est un individu citoyen à part entière sur lequel l’environnement — dans toutes ses composantes (écologiques, biologiques, alimentaires, sociales, familiales, culturelles... mais aussi relationnelles tout simplement) — peut avoir une influence profonde via, notamment, de fort probables effets épigénétiques.
La vision ne peut donc être que globale et unifiée dans une approche intégrée de l’enfant et de son environnement.

La mise en place des dispositifs territoriaux va probablement dans le bon sens en cherchant à décliver le sanitaire et le médico-social, l’hospitalo-universitaire du non-universitaire et ceci aussi bien en matière de soins que de formation et de recherche.
La notion de secteur doit certes évoluer au regard de l’évolution des connaissances mais sans perdre de vue son ambition démocratique et ses objectifs d’une prévention prévenante et générale.
Le développement, aujourd’hui, des projets de santé de territoire adossés aux conseils de territoires de santé reprend l’esprit et les valeurs de la sectorisation. Ils peuvent être une opportunité pour accompagner l’évolution des secteurs.
Dans cette perspective, les communautés professionnelles territoriales de santé apparaissent d’ailleurs comme possiblement complémentaires d’une politique sectorielle en permettant précisément une offre de soin cordonnée avec la ville et une politique de prévention de proximité effective et juste.

Dans le champ de la santé mentale des bébés, des enfants et des adolescents, la formation des médecins et des psychologues est essentielle mais non suffisante.
Les professionnels de première ligne qui sont au contact direct des enfants et des familles dans leurs divers lieux d’accueil et de prise en charge doivent aussi être formés et ceci tout au long de leur vie professionnelle.
La référence à la psychopathologie de cette formation continue est indispensable car seule à même de soutenir authentiquement l’aspect pluri-professionnel de la démarche pédopsychiatrique.
C’est ce que propose par exemple la CIPPA en offrant désormais une formation officielle à la grille dite « de Geneviève Haag » qui permet de sensibiliser tous les professionnels impliqués dans la prise en charge des troubles autistiques au processus d’émergence selon les étapes de ce processus et selon les différents domaines du développement (langage, émotions, psychomotricité...)

Quelques leçons, enfin, peuvent sans doute être tirées de la période de confinement que nous venons de vivre.
Nous aurons à modéliser les ressorts psychodynamiques des liens à distance (visioconférences, entretiens téléphoniques...) qui se sont montrés indispensables pour certains patients et pour leurs familles mais d’une part ce type de travail (quels que soient ses éventuels avantages économiques du point de vue de nos administrations) ne remplacera jamais le vif de la rencontre directe et d’autre part, ces interventions à distance ont bien montré, pour les enfants autistes notamment, l’importance de l’aspect multidimensionnel de leurs prises en charge au sein desquelles c’était bel et bien la dimension relationnelle humaine des divers intervenants qui leur avait permis de traverser cette épreuve, plus que l’aspect strictement pédagogique, éducatif ou rééducatif de telle ou telle technique.

  1. Enfin, un contre-exemple : la question des structures

Ce qui s’est passé pour les CMPP d’Aquitaine est le contre-exemple absolu de ce qu’il faut faire, c’est -à- dire selon les termes mêmes de la Fédération française de Psychiatrie dans son communiqué du 1er juin 2020, un « anti-modèle pour la concertation entre administration et professionnels ».

La défense des structures telles que le CMMP mais de toutes les structures actuellement opérantes ne peut en effet se faire que dans le cadre d’une concertation confiante, loyale et documentée.

Mais dans le fond proprement dit de ces futures concertations, c’est la politique des filières qui doit être interrogée car elle aboutira inévitablement à l’exclusion d’un grand nombre de pathologies.

Ne parler que du champ de l’autisme, ne s’intéresser qu’aux personnes diagnostiquées « Troubles du spectre autistique », excluent d’emblée un grand nombre de patients qui ne sont pas malades au sens strict du terme mais qui souffrent de leur différence ou de leurs difficultés relationnelles et qui risquent de n’avoir plus aucun lieu où pouvoir être accueillies et écoutées.

Finalement, si la pédopsychiatrie ne veut pas mourir, il importe de ne pas la laisser aux seules mains des chercheurs ultra-spécialisés et des seules associations de parents d’enfant autistes. C’est l’ensemble de la société qui a à se prononcer sur ses demandes envers cette discipline en termes d’accessibilité, de prévention et de prise en charge des souffrances psychiques des enfants, que celles-ci soient strictement d’ordre psychiatrique ou non ».


vendredi 10 juillet 2020

Documents joints


[1Pédopsychiatre-Psychanalyste (Membre de l’Association Psychanalytique de France) / Ancien Chef du service de Pédopsychiatrie de l’Hôpital Necker-Enfants Malades (Paris) / Professeur émérite de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université René Descartes (Paris 5) / Ancien Membre du Conseil Supérieur de l’Adoption (CSA) / Ancien Président du Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) / Président de l’Association Pikler Lóczy-France / Président de l’Association pour la Formation à la Psychothérapie Psychanalytique de l’Enfant et de l’Adolescent (AFPPEA) / Président de l’Association Européenne de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent (AEPEA) /
Il préside la CIPPA depuis 2015

[2C. STANGHELLINI, R. MATTHEW et R. BROOME, Psychopathology as the basic science of psychiatry, Br. J. Psychiatry, 2014, 205, 169-170


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