Vendredi 15 et samedi 16 juin 2018
La fabrique de l’ordinaire et du familier en institution
D’abord, il y a l’ordinaire, ce qui est là, sans avoir besoin de le chercher, là comme une évidence. L’ordinaire est à l’œuvre chaque jour, de jour en jour, à chaque instant, dans nos espaces, (...)

33e Rencontres de Saint-Alban : 15 et 16 juin 2018

    1. La fabrique de l’ordinaire et du familier en institution

D’abord, il y a l’ordinaire, ce qui est là, sans avoir besoin de le chercher, là comme une évidence. L’ordinaire est à l’œuvre chaque jour, de jour en jour, à chaque instant, dans nos espaces, avec nous et plus particulièrement dans notre corps. Ordinaire discret, il reste inaperçu, dans une simplicité, il rend presque toujours, évident chaque pas, chaque geste, mouvement, perception. Comme à l’ordinaire ça se règle, ça nous accorde à l’environnement, aux lieux, aux autres, aux événements et à nous-mêmes. En cela l’ordinaire, est banal mais aussi extra- ordinaire.

Mais nous savons aussi combien cet ordinaire peut se troubler, nous échapper, nous lâcher. Comme nous le rappellent Pascale Molinier et Lise Gaignard, cela « tient à un fil ». Il y a alors une rupture de l’enchaînement ordinaire de l’expérience, une perte du sens commun. W. Blankenburg parlait de « perte de l’évidence naturelle » et il ajoutait que le sujet passe alors de l’ordinaire à « l’inévidence de l’évident ». A. Tatossian nous invite à prendre la mesure d’une telle « catastrophe », le sujet est alors empêché d’être dans une dimension d’accueil de son expérience au monde et à lui-même.

Comment trouver, inventer, imaginer, conceptualiser… fabriquer d’autres rapports partagés au monde ?
Il nous faut sûrement, revenir au familier inséparable du quotidien, de l’ambiance et de la rencontre, « le point de tissage le plus important de l’existence » (J. Oury)
Tenter de retrouver un « pragmatisme de base » et le souci permanent de conceptualisation nous permettant de nous mettre au niveau de ce qui est en question, de ne pas trahir la confiance intersubjective, de ne pas perdre de vue la nécessité d’être là concrètement, dans toutes sortes de nuances et d’initiatives, dans des « polyphonies existentielles » partagées.
Fabriquer des espaces, des mouvements, des gestes, des façons d’être ensemble, une sorte de commun qui ravive l’ordinaire (La moindre des choses, Le moindre geste).
Mais ne pas perdre de vue, en fabriquant, ce qui est en question dans ce que nous faisons, pour chercher une liberté et un sens qui ne se heurtent pas au monde, mais qui inventent une logique qui n’appartient pas aux seules rationalisations techniques, financières et ségrégatives.

Et pour reprendre H. Chaigneau à qui nous souhaitons dédier ces rencontres :
« Notre réalité, notre vie quotidienne ne sont pas transparentes. Et c’est dans l’opacité que gît la sous- jacence. Ce qui est plus ou moins transparent, c’est-à-dire publiquement visible, c’est que nous sommes des propriétaires terrorisés à l’idée de voir notre pouvoir saccagé par le Pouvoir. Propriétaires nous le sommes tous, et pour travailler, nous avons à nous exproprier. Exproprier c’est légal.
Mais, nous avons, nous, à nous exproprier d’une autre façon, d’une expropriation intérieure, interne, ouvrant la place à l’interlocuteur ».

    1. « Réinventer le commun »

« L’homme est de plus en plus absent de la psychiatrie mais peu s’en aperçoivent parce que l’homme est de plus en plus en plus absent de l’homme » H. Maldiney
Au-delà de nos bricolages quotidiens réinventer le commun ne serait-ce pas, soutenir, en nous-même et avec les autres, cette conscience vive de ce qui ne cesse d’être menacé de disparaître.
Face à la mise à l’épreuve par « l’institution-entreprise » des conditions de possibilité de l’ordinaire et du familier dans nos rapports interhumains, il s’agit donc :
de soutenir le principe politique de l’usage participant comme essentiel et incontournable à tout processus d’émancipation individuelle et groupale.
et, in fine d’entretenir l’initiative collective, la coopération, et de rendre ainsi perceptibles leurs effets directs sur ceux qui y participent.
Le « vivre-ensemble » échappe, en effet, à ce qui voudrait l’instaurer, et n’existe qu’au gré ou malgré les dispositifs censés le baliser ou l’organiser qui se doivent ainsi d’être « profanés » (G. AGAMBEN) pour être rendus à l’usage commun. Les outils de la Psychothérapie Institutionnelle ne prennent de sens dans le présent de nos pratiques que pour autant qu’ils nous permettent par leur usage de revisiter leur « archéologie », d’en nourrir l’analyse sociologique dans le contexte actuel, et d’en travailler la dimension d’agir instituant (praxis) qui ne les dévoilera qu’en tant qu’ébauche d’un « à-venir ».
Dans leur réalité contemporaine les institutions dont nous participons ont séparé lieu de vie et lieu de soins, dénoncent toute ouverture à la subjectivation comme contraire aux pratiques professionnelles, cherchent à étouffer toute conflictualité derrière des consensus de surface. Cette prise de conscience nous conduit à interroger les liens et les espaces que nous entretenons, au sein de nos équipes, dans nos institutions et entre nos institutions, pour soutenir les conditions de possibilité de relations interhumaines au delà de nos statuts, rôles et fonctions.
Nous vous proposons autour du thème de cet atelier de poser les jalons de nos avancées et de nos élaborations communes dans le mouvement de « co-construction » du dispositif de ces rencontres participant de l’actualité du mouvement des Psychothérapies Institutionnelles, convaincus que nous sommes que « c’est à partir du commun que pourront surgir les inventions créatrices » F. Fanon

    1. « Ce qui suffit… »

Aujourd’hui, on est en droit de se demander si dans nos institutions nous faisons « ce qui suffit » pour dispenser le soin ou réaliser les accompagnements des personnes accueillies. Nous avons de bonnes raisons pour en douter car de multiples paramètres viennent nous inquiéter et nous donner de bonnes raisons pour, justement, renoncer à « ce qui suffit ».
Nous pouvons aussi nous demander si parfois nous n’en faisons pas de trop, c’est-à-dire, plus qu’il ne le suffit, car c’est ce qu’il semble nous être dit par des administrateurs, par des politiques ou des fonctionnaires.
Réduire les coûts au nom d’une restriction budgétaire pour limiter le trop ; réduire les moyens financiers au nom d’une rationalisation des dépenses pour limiter les excès, réduire les moyens au nom d’une organisation scientifique du travail pour éliminer les superflus. Cela nous conduit petit à petit à une certaine paupérisation du travail en l’occurrence du travail de soin et d’accompagnement.
A réduire ainsi les moyens en restera-t-il assez pour que ce qui reste soit suffisant pour réaliser les missions de service public (déléguée ou non) qui sont les nôtres ? Les « en plus » perçus comme « des en trop » se sont tellement réduits qu’à ce jour chacun se pose la question de savoir jusqu’où ces réductions vont-elles aller ? Ont- elles franchies un seuil et basculées vers l’en moins, vers le pas assez, vers le manque, vers l’insuffisant.
Par ailleurs, les personnes malades ou en situation de handicap, les patients ou les usagers ne semblent pas s’en plaindre, bâillonnés par leurs troubles ou leurs incapacités, le peu qu’il reste ce sera toujours mieux que rien. Mais peut-être que le besoin n’est pas dans les moyens certes utiles, le besoin semble plutôt tourné vers ce qui est nécessaire, vers l’indispensable peut-être simplement vers une attention respectueuse, peut-être, juste un autre regard, une place parmi les autres, ou un lieu de repli…
Alors cet atelier proposera de réfléchir sur ce qui suffit car ni le trop ni le manque ne sont appropriés à un travail d’accompagnement ou de soin. Ce qui suffit est parfois assez. Ni plus ni moins. Juste ce qu’il faut. Les témoignages et les élaborations des équipes nous montrerons que ce qui suffit c’est aussi trois fois rien, voire un
« presque rien » ou un « je ne sais quoi » chers à Jankélévitch. C’est là, à ce point d’irréductible que se tisse le lien infrangible, que se maille l’inaliénable relation.

    1. « Éviter le pire »

La psychose est une catastrophe existentielle qui contraint le sujet psychotique à vivre dans une perplexité permanente qui ne lui laisse aucun repos. Privé du sens commun et des coordonnées que fournissent d’ordinaire les axiomes de la quotidienneté, le sujet psychotique, en perdant l’évidence naturelle, finit par perdre toute familiarité avec le monde-du-vivre (Lebenswelt) et montre les plus grandes difficultés à vivre dans un monde qui est aussi le monde des autres. Pour tenter de s’arrimer à ce monde partagé, le sujet psychotique doit faire activement ce qui d’ordinaire se fait sans effort, il s’épuise à fonder puis prouver son existence à chaque instant ; pour lui, rien, jamais, ne va de soi.
Et pourtant, Jean Oury, dans son livre de dialogues avec Patrick Faugeras, laisse entendre que le pire n’est pas dans cette catastrophe, car le pire, dit-il en substance, est encore à éviter et la psychiatrie c’est justement ce qui sert à éviter le pire. Le pire serait sans doute à chercher du côté de l’indifférence de notre société face aux efforts inouïs des psychotiques pour vivre dans la décence ordinaire, ou du côté de son désintérêt pour leurs réalisations si précaires, pour ces petits bouts d’existence désespérément accrochés au train de la vie et toujours en risque d’être écrasés, réduits à rien par la locomotive sociale avide de performances et de réussites éclatantes.
Si, comme le dit encore Jean Oury, la psychiatrie n’est pas là pour fabriquer des athlètes, elle ne peut, ni ne doit, se soustraire à l’obligation de « soutenir l’existence en toutes circonstances » (Hélène Chaigneau). Nous nous intéresserons donc tout particulièrement dans cet atelier à comment la psychiatrie d’aujourd’hui, malmenée, en crise, peut et doit, encore et encore, créer des dispositifs d’accueil de ces petits riens du quotidien qui comptent sans pouvoir être comptabilisés. Nous ouvrons cet atelier à celles et ceux qui veulent nous raconter de quelle façon et avec quels dispositifs inventés, ils continuent à soutenir les existences les plus précaires en soutenant un quotidien partagé, en rendant le monde plus familier. Sans ce travail c’est bien le pire qui risque d’arriver : la disparition puis l’oubli des fous dans de nouveaux asiles à la géographie carcérale.

    1. « L’inquiétante hospitalité »

Si l’hospitalité c’est rendre disponible à l’autre ce qui lui était jusqu’alors étranger, alors accueillir c’est créer les conditions d’un accès au familier, au commun. Qu’en est-il de l’hospitalité quand le fonctionnement du lieu, censé accueillir, est réglé sur des normes établies qui visent à ce que tout soit codifié, prévisible, maîtrisable ? Qu’en est-il lorsque la Parole n’est plus légitime, que seuls comptent les chiffres ?
Oury disait de l’institution qu’elle devait être la fabrique de l’événement, or nos établissements deviennent les entrepôts du non-événement, lieux organisateurs d’une stabilisation et d’une conformité mortifères.
Quant au patient il doit s’adapter à ce milieu clôturé par le savoir et la règle. Qu’en est-il du vécu des sujets hospitalisés dans ces lieux, dits de soin, où l’on dénie leur mode d’être au monde, où on les somme de renoncer à leur vie psychotique, là plus qu’ailleurs ?
Dans un tel milieu inhospitalier, sans rencontre, sans reconnaissance, l’autre reste un étranger qui fait peur, l’hostis hospitalité devient hostis hostilité. Comment accueillir les sujets qui ont à faire avec la folie dans une institution qui ne leur soit pas trop étrange et inquiétante ? Comment rendre ces lieux habitables, comment soutenir notre pratique de soignants au quotidien ?
C’est à quoi nous proposons de réfléchir ensemble dans cet atelier.

Espace librairie

  • Librairie le Rouge et le noir
  • Stand « pratiques – cahiers de la médecine utopique »
  • Stand des associations culturelles
  • Éditions Champ Social
  • Éditions d’une
  • Éditions Ères
  • Éditions Encre et Lumière (sur le lieu d’Æncrages)

Travaux en résidence : Æncrages
– Radio Escapades
– « L’Art Brut : une familiarité bien étrange… »
– « Au jour, au jour, à la nuit, la nuit »
, Film d’Anaelle Godard », production « Abacaris films »
« Mon cœur é fou »
– « Rencontre avec Patrick Laupin »
– Marco Decorpeliada, L’homme aux schizomètres
, conférence-performance, samedi 16 juin


Comité d’organisation : Association culturelle du personnel, Collectif Rencontres, Association nationale des CEMEA et CEMEA L.R.

Renseignements : Tél. : 04 66 42 55 55 / Email : assoculturelle@chft.fr


jeudi 29 mars 2018

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